Les nanomatériaux font partie de ces substances dites « émergentes » qui présentent un risque potentiel pour la santé et l’environnement. Malgré toutes les préoccupations qu’ils génèrent, ils sont utilisés dans un nombre croissant de produits. Si des questions légitimes se posent quant à leurs impacts en phase d’usage du produit, en fin de vie, leur présence dans nos déchets constitue également une problématique. Sans être alarmiste, il est grand temps de se préoccuper du devenir des nano dans nos déchets.
Les nanomatériaux sont présents dans quantité de produits malgré les incertitudes quant à leur innocuité sur la santé et l’environnement. Même si de par leurs propriétés physiques et chimiques, les nano peuvent apporter des réponses technologiques à certains problèmes médicaux ou environnementaux, des effets néfastes de certains nanomatériaux ont déjà été établis et reconnus par la communauté scientifique qui fait plus qu’appeler à la vigilance. En absence de l’application du principe de précaution, l’utilisation des nano est exponentielle puisque le nombre de produits en contenant a augmenté de 521% entre 2006 et 2011 avec une présence recencée dans plus de 1300 produits d’usage courant.
Si les nano peuvent être problématique pour la santé et l’environnement lors de l’utilisation, il est impératif de s’interroger sur le devenir de ces substances en fin de vie du produit. Même présents en quantité infime par unité de produit, on retrouve une importantes quantité de nanomatériaux manufacturés dans la chaîne de traitement de déchets. L’OCDE a sorti dernièrement un rapport appelant à l’urgence de conduire des recherches sur les risques liés à la présence de nanomatériaux dans les déchets ménagers. L’institution voit en effet différents problèmes, actuels et en devenir, générés par les nanomatériaux entrant dans les flux de déchets, leur influence sur les procédés de traitement et les impacts potentiels des déchets résiduels contenant des substances.
La première difficulté réside dans l’absence de traçabilité des nanosubstances et le manque d’information concernant le type et la quantité de nanomatériaux dans les déchets. Car pour suivre le destin des nano dans les déchets, encore faudrait-il identifier les produits susceptibles d’en contenir ! Il est donc impératif de garantir une totale transparence et une traçabilité des nanomatériaux. Au-delà des dangers liés à l’étape d’utilisation des produits, la problématique des déchets « contaminés » vient renforcer la nécessité de disposer d’un registre qui consignerait toute trace de nanomatériaux et des produits qui en contiennent et qui permettrait un meilleur suivi des impacts potentiels de ces substances. A l’heure actuelle, ce suivi n’est toujours pas assuré au niveau européen, le règlement REACH ne couvrant qu’imparfaitement les nanomatériaux et la Commission rechignant à y apporter les modifications nécessaires pour y parvenir. Plusieurs Etats-Membres ont décidé de pallier à cette lacune en instaurant des registres nationaux, dont la Belgique !
Une autre difficulté pour évaluer le devenir des nano dans les déchets subsiste dans la diversité des substances utilisées et leur interaction avec les différents process de traitement des eaux et des déchets. Vu la multitude de produits qui en contiennent, les nano peuvent se retrouver dans les déchets ménagers solides et contaminer les sols de décharges, dans les eaux résiduelles urbaines et industrielles, les boues d’épuration et lixiviats de décharge. IIs pourraient également subsister dans les cendres et laitiers d’incinérateurs. Même si le rapport de l’OCDE se veut rassurant en indiquant qu’une grande partie des nanomatériaux sont captés et éliminés au niveau des différents procédés de traitement de l’eau et des déchets, il semble qu’une part significative de nano puisse s’échapper dans l’environnement. Ainsi, les études indiquent que les stations d’épuration (STEP) pourraient « neutraliser » jusqu’à 80% de certaines nanosubstances pour être concentrées dans les boues de STEP tandis qu’une autre partie subsiste dans les eaux traitées et renvoyées en eau de surface.
La présence de nanomatériaux dans les boues d’épuration est particulièrement préoccupante puisque celles-ci peuvent être épandues sur des terres agricoles. Or le comportement de ces substances dans le sol, en interaction avec les plantes et la flore rhizosphérique ou encore les risques de lessivage vers les nappes sont largement méconnus. Des scientifiques se penchent toutefois sur la question et diverses études révèlent des constats inquiétants. Ainsi les particules de sulfures d’argent nanométriques épandues sur sols agricoles auraient des propriétés oxydantes et pourraient relâcher des ions toxiques qui détruiraient les microorganismes utiles au bon équilibre des sols[[Potera, C. (2010), NANOMATERIALS: Transformation of Silver Nanoparticles in Sewage Sludge. Environ Health Perspect. 2010 Dec; 118(12): A526–A527.]]. D’autres types de nanosubstances altéreraient la croissance des légumineuses en perturbant la fixation biologique de l’azote[[Prieste, J. H. et al. (2012) , Soybean susceptibility to manufactured nanomaterials with evidence for food quality and soil fertility interruption. http://www.pnas.org/content/109/37/E2451.full.pdf]].
Par ailleurs, il faut aussi s’inquiéter des produits secondaires extraits du recyclage des déchets qui peuvent contenir des nanomatériaux et altérer la nouvelle finalité du produit. Bref, il y a bien un risque que ces petites merveilles de technologie nous échappent totalement, et dans l’environnement et dans des produits où elles ne devraient pas se trouver.
Enfin, on doit craindre également des effets négatifs sur les procédés de traitement des eaux et des déchets. Par leur surface fonctionnalisée, les nanosubstances pourraient inhiber certains procédés de dénitrification ou de fermentation anaérobie. Elles pourraient également interagir avec les composés organiques des lixiviats et diminuer l’efficacité des traitements.
Face à toutes ces incertitudes quant au devenir des nano dans nos déchets, à leurs impacts et aux risques qu’ils génèrent, l’OCDE préconise l’application des meilleures technologies disponibles (MTD) en matière de traitement des flux de déchets. L’organisation appelle aussi à étudier étroitement ce que deviennent les nanosubstances contenues dans les déchets et rejets une fois ceux-ci traités.
Mais recommander des actions en aval de la filière est loin d’être satisfaisant ! Les précautions à l’égard des nanotechnologies doivent s’appliquer bien plus tôt et dès la mise sur le marché des produits. Différents organismes européens dont IEW veulent attirer l’attention des autorités sur cette problématique. Ils ont récemment lancé un appel à prendre des actions immédiates, notamment :
Une réduction à la source de la quantité de déchets produits ;
La création d’un registre européen public des nano-produits de manière à identifier le type de déchets susceptibles d’en contenir, d’évaluer leur quantité et de suivre leurs flux ;
Un contrôle plus strict de la gestion des déchets contenant des nanomatériaux en les classifiant comme déchets dangereux ;
L’établissement de critères vérifiables déterminant la sortie du statut de « déchet » (end-of-waste) pour tous les produits recyclables qui contiennent des nanomatériaux.
Avec la profusion des nanotechnologies, une boite de Pandore a été ouverte et c’est jusque dans nos poubelles et nos égouts qu’il faudra y traquer les conséquences.