Si près de 13 % du territoire wallon ont été désignés dans le réseau européen Natura 2000 en 2002, les premiers arrêtés de désignation ne seront probablement adoptés que ce second semestre 2008 ! Des arrêtés qui devraient s’échelonner sur plus de 5 ans – soit plus de 10 ans après leur désignation. Un retard réellement préjudiciable au vu des nombreuses infractions constatées sur le terrain. Après une modification du décret Natura 2000, le gouvernement a adopté ce qui constituera le contenu des différents arrêtés de désignation à venir ainsi que les grands principes de la sa mise en oeuvre. Un ensemble équilibré, susceptible d’amener les acteurs à adhérer au projet et de les impliquer dans la gestion active des sites afin de préserver les espèces et habitats qui ont justifié leur désignation.
Des sites vulnérables
Menace sur l’un des deux seuls sites du Coenagrion de Mercure . Fin mai, plaine de Focant. Nous sommes en Famenne dans un site Natura 2000 désigné entre autre pour sa population de Coenagrion mercuriale, une espèce de libellule. Cette demoiselle est très rare en région wallonne et menacée à plus d’un titre. Elle n’occupe actuellement plus que deux sites en Wallonie : un en Famenne l’autre en Lorraine. Cette espèce se reproduit dans les eaux courantes de faible débit avec une végétation émergente bien fournie. En Famenne, la population est établie dans un ruisseau et un réseau de drains au contexte agricole difficile. Les drains sont curés régulièrement et l’eutrophisation guette de nombreux cours d’eau. La disparition et la modification des habitats sont les seules causes de déclin probable de cette espèce. Heureusement le ruisseau et les drains qui abritent les populations larvaires de cette demoiselle bleue et noire sont protégés ! Depuis 2002, le site est désigné en Natura 2000 et bénéficie d’un régime de protection provisoire. On croyait la population sauvée ! Pourtant, il y a quelques jours la commune a décidé de curer un drain où se trouvait une importante partie des larves, à la demande d’un agriculteur et contre l’avis des naturalistes et des scientifiques !
Des mares remblayées et des prairies labourées sans permis. Ce cas est loin d’être isolé. Dans de nombreux sites, des habitats sont dégradés ou détruit au détriment des espèces qu’ils abritent. Les zones agricoles sont les plus vulnérables. La pression est telle que de nombreuses mares passent à la trappe, comme ce fut le cas dernièrement dans les communes de Comines-Warmeton et de Peronnes. La destruction de prés humides dans les Fagnes de Stavelot, ou plus récemment en Famenne à Feschaux est également illustrative du peu de respect qui est accordé aux espaces naturels en région wallonne et du non respect total de la législation.
Car il y a bien infraction ! Les sites désignés en Natura 2000 doivent être protégés contre la détérioration et les perturbations en vertu des directives européennes. Pour les contrevenants, c’est la conditionnalité qui s’applique et par là-même le risque de voir un certain pourcentage des aides à l’agriculture s’envoler. Mais ce régime de protection « provisoire » n’a pas encore permis d’expliquer localement aux agriculteurs les raisons pour lesquelles leur parcelles ont été désignées en Natura 2000 ni les modes de gestions qu’il conviendrait de pérenniser ou de développer. Ce travail de terrain aura lieu lors de l’adoption des différents arrêtés de désignation et gageons qu’il permette de mettre un terme à la situation actuelle.
En forêt aussi, des habitats menacés. Dans le « parc naturel de Furfooz », on semble avoir évité l’irréparable. En effet, d’importantes surfaces d’érablières de ravins ont été récemment marquées. Au vu des peuplements en place, le bois aurait été récolté comme bois de chauffage. Une coupe incompatible avec cet habitat naturel prioritaire. Aux dernières nouvelles, suite à de multiples pressions, le projet d’abattage des arbres a été suspendu. Mais la question demeure: comment peut-on encore en arriver à de pareilles situations ?
En attendant les arrêtés de désignation
Natura 2000, une révision décrétale importante. A l’initiative du Ministre Lutgen, le décret Natura 2000 vient d’être modifié pour y inclure les propositions formulées par les différents acteurs impliqués. Ces modifications décrétales apportent quelques correctifs qui amélioreront la mise en oeuvre de Natura 2000 et l’adhésion des propriétaires et occupants concernés. Elles habilitent notamment le gouvernement à adopter des mesures générales préventives, qui seront valables pour l’ensemble des sites dès l’adoption de leur arrêté de désignation et des mesures particulières précisées au sein des différents arrêtés de désignation. Ces mesures préventives pourront être déclinées sous forme d’interdiction, d’autorisation ou de notification selon l’impact présumé que les activités visées peuvent avoir sur les sites. Le décret organise également un recours pour les dérogations et autorisations mais celui-ci reste limité au seul demandeur. Les associations d’environnement n’auront donc pour seul recours que le Conseil d’Etat. Une lacune d’autant plus grave qu’une part importante des autorisations/dérogations seront octroyées par la DNF pour la DNF…
Un cadre relativement équilibré, entre prévention et incitation. Le gouvernement a adopté ce 29 mai une note d’orientation relative à Natura 2000 précisant le cadre de sa mise en oeuvre et son agenda. Un cadre relativement équilibré qui devrait permettre l’adhésion des acteurs au projet et surtout leur implication dans la gestion active des sites. A quoi, il faut ajouter la proposition de modification du code forestier adoptée par le gouvernement ce 5 juin et déposée au parlement, puisqu’elle contribue fortement à ce cadre positif en introduisant l’application des mesures principales[[Interdiction de planter des résineux sur sols tourbeux, paratourbeux et hydromorphes à nappe permanente, sur une largeur de 12 mètres de part et d’autre de tous les cours d’eau, distance est portée à 25 mètres dans le cas des sols alluviaux et hydromorphes à nappe temporaire ;
Maintien ou création d’un cordon d’essences arbustives d’au moins 10 mètres de large lors des plantations en bordure de massif ;
Maintien des arbres chablis de diamètre supérieur à 40 cm jusqu’à concurrence de deux gros bois par hectare, ;
Maintien d’au moins un arbre d’intérêt biologique par deux hectares et par rotation ;
Mise en place d’îlot de sénescence ou de réserves intégrales dans les peuplements feuillus, à concurrence de 3 % des forêts feuillues.]] de la circulaire biodiversité au sein des forêts publiques.
A travers sa note d’orientation sur Natura 2000, le gouvernement a adopté pour les différentes unités de gestion[[Parcelles au sein desquelles les objectifs de gestion active et les mesures préventives des sites pour les espèces et habitats présents sont identiques.]] des objectifs de gestion active et les mesures préventives particulières, complétant les mesures préventives générales, nécessaires pour assurer la préservation des habitats naturels et des habitats d’espèces. Le gouvernement a également confirmé les mesures incitatives existantes, celles créées spécifiquement pour Natura 2000 dans le cadre du Programme de Développement Rural ou sur fond propre.
Ainsi, pour la gestion des milieux ouverts, outre les mesures agro-environnementales existantes majorées de 20 % en Natura 2000, une indemnité Natura 2000 allant de 100 ¤/ha à 200¤/ha compensera, selon le niveau des contraintes, les mesures préventives parfois importantes reprises dans l’arrêté de désignation. Pour la majorité des parcelles agricoles reprises an Natura 2000, le niveau des contraintes reste cependant très faible et seul l’incitatif devrait jouer. Pour limiter l’intensification des pratiques agricoles, le gouvernement s’est engagé à revoir le programme de gestion durable de l’azote (PGDA) afin d’y intégrer les restrictions nécessaires de fertilisation en Natura 2000.
D’autres budgets sont prévus pour assurer la gestion des zones ouvertes non agricoles, au cas par cas. Les restaurations seront également possibles par le biais du PDR (pelouses et fonds de vallée) ou de budget régionaux en complément des projets Life + existants.
En forêt, les mesures principales de la circulaire biodiversité sont introduites, pour la forêt publique, dans le code forestier et s’appliqueront en forêt privée, via les mesures préventives d’application en Natura 2000 aux propriétés de 5 ha et plus. Ces dernières bénéficieront d’une indemnité compensatoire de 40¤/ha de feuillus financée via le PDR. Les plus petites propriétés pourront également bénéficier, de manière volontaire, de ce régime, de même que les propriétés allant au-delà des engagements minimaux, sur base de budgets régionaux. En forêt, l’ensemble des mesures préventives et incitatives sont relativement bien équilibrées même si l’on peut regretter que la protection des berges, un enjeu pourtant prioritaire, passe par des mesures volontaires pour les plus petites propriétés, ce qui pourrait s’avérer insuffisant dans les sites les plus morcelés.
Natura 2000, sur une bonne voie
Ce cadre général a été relativement bien perçu par l’ensemble des acteurs impliqués dans Natura 2000, ce qui annonce aussi un climat plus serein indispensable à sa mise en oeuvre sur le terrain. Les différents acteurs (IEW, la Fédération Wallonne de l’Agriculture et Nature Terre et Forêt) sont d’ailleurs partenaires au sein d’une structure d’encadrement commune dont l’objectif est d’assurer l’adhésion et l’implication des gestionnaires agricoles et forestiers. Mais si Natura est en de « bonne main » et sur la bonne voie, il importe de rester vigilant tant sur la mise en oeuvre de ce cadre que sur son évaluation car sa réussite dépendra aussi de l’implication réelle des acteurs, du bon fonctionnement des régimes de dérogations et d’autorisations, des financements annoncés… Et ce, sans compter sur le contexte extérieur qui évolue fortement tant au niveau agricole que forestier.