Ne dites plus la rue d’Andrimont, dites « le RUE d’Andrimont » !

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Faute de certitudes sur les besoins futurs de la Belgique, les concepteurs du plan de secteur avaient, fin des années septante, laissé de larges zones libres d’affectation. Comme l’habitat semblait alors la fonction au plus fort potentiel de développement, ces zones se sont appelées « zones d’extension d’habitat ». Pour rester raisonnable dans la consommation de territoire, il était prévu qu’elles ne seraient activées que lorsqu’un certain seuil de densité aurait été franchi ; or ce seuil n’a jamais été officiellement décrété. Après moult péripéties, ces zones s’appellent de nos jours « zones d’aménagement communal concerté » et peuvent être désormais activées moyennant la rédaction d’un rapport urbanistique et environnemental, le RUE. Examinons cette procédure à l’aide d’un exemple pris sur le vif : Dison, commune voisine de Verviers, actuellement en plein processus d’activation de ZACC.

Le RUE ou rapport urbanistique et environnemental se trouve à mi-chemin entre une étude d’incidences sur l’environnement ultra légère et un argumentaire délimitant des options d’aménagement[Institué dès le début de la précédente législature et confirmé via le le décret RESAter en 2009, le rapport urbanistique et environnemental est décrit à l’[article 33 du Code Wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie. ]]. Il fait partie des outils auxquels une commune peut recourir pour aménager des portions de son territoire. Il ne doit pas être rédigé par un bureau d’étude agréé. Ce rapport est obligatoire dans un cas très précis : afin de mettre en ½uvre une ZACC ou zone d’aménagement communal concerté. Dison compte dix ZACC, qui représentent une surface totale de 200 hectares. La commune se plie actuellement à l’exercice du RUE pour l’une d’entre elles, la ZACC dite de Wesny, d’environ 40 hectares.

Toute ZACC est par définition une zone en attente d’affectation au plan de secteur. Beaucoup la considèrent comme une zone de réserve foncière ; il faut savoir en tout cas qu’elle peut appartenir à un seul propriétaire, à quelques uns, voire à une myriade de propriétaires qui détiennent chacun une ou plusieurs parcelles. Ce sont les pouvoirs publics qui décident de l’opportunité de la mise en ½uvre d’une ZACC, même si la commune n’est pas propriétaire du moindre mètre carré. L’initiative vient de la commune ou du gouvernement régional. A Dison, la commune a décidé de se lancer, non sans avoir au préalable défini pour toutes ses ZACC un ordre de priorité[[Cet ordre n’a pas encore été rendu public, mais il a été communiqué aux propriétaires des parcelles concernées.]].

La ZACC de Wesny se présente comme une vaste pente herbeuse descendant du Nord-Est vers la Vesdre, composée de buttes au relief arrondi et accentué, que parcourent ça et là des saules têtards et des haies typiques du paysage bocager du pays de Herve. Elle est entourée d’habitations le long des rues du versant et du plateau ; celles-ci sont reprises en zone d’habitat. Le périmètre de la ZACC englobe plusieurs voiries : au Nord, la rue d’Andrimont, qui monte du fond de la vallée ; au Nord-Est, le chemin de Botister et le chemin de Brossi ainsi que plusieurs allées desservant les lotissements qui ont fleuri sur la moitié Est de cette ZACC, peut-être établis avant le tracé du plan de secteur. Parlant de plan de secteur, la ZACC voisine sur toute sa moitié Nord-Est avec une zone agricole.

En attente, mais pas nécessairement inoccupée

Jusqu’à la décision officielle de l’affectation d’une ZACC, aucune construction n’est autorisée, mais l’utilisation quotidienne des terrains – en termes juridiques la « situation de fait » – peut se poursuivre, et même au-delà. Il est ainsi courant que les terrains soient gérés par l’une ou l’autre activité de type agricole ou forestier. On trouvera aussi, qui s’en étonnerait, des terrains dûment clôturés, mais laissés à l’abandon. Dans le cas de la ZACC de Wesny, la plupart des terrains situés entre la rue d’Andrimont et la rue Maurice Duesberg ont été utilisés comme pâturage jusqu’à l’été 2008 ; il y a eu fauchage dans le courant de 2009 puis épandage en 2010. Cette occupation comme pâture et comme pré de fauche a eu pour avantage de maintenir un paysage ouvert qui joue évidemment aujourd’hui en faveur du projet d’aménagement… mais aussi contre lui.

Avant (2008)

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La mare de Wesny en hiver. 2008

Après (2010)

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La mare de Wesny au printemps. Travaux de terrassement illégaux. 2010

D’une part, l’impression de tranquillité et de pureté que dégage le panorama, l’aspect verdoyant, les multiples vues plongeantes ou à longue distance vers les collines environnantes, tout cela s’additionne pour composer un cadre idyllique terriblement tentant pour les candidats bâtisseurs. D’autre part, ces mêmes qualités, ainsi que la présence d’un point de captage grevé d’une servitude, la présence d’une mare naturelle, d’un arbre centenaire, d’une ligne de crête intacte, d’hectares sans urbanisation, amènent la réaction inverse : pourquoi bâtir sur cette zone si préservée, qui à elle seule fait respirer tout le versant de la colline d’Ottomont vers Verviers ?

L’opportunité (re)mise en questions

Pourquoi supprimer ce qui fait le charme d’un endroit, en le remplissant d’habitations qui pourraient tout aussi bien se mettre ailleurs ? Les constructions ne vont-elles pas nécessiter un aplanissement qui banalisera le site ? Sur un terrain aussi pentu, quelles solutions seront disponibles pour le déplacement des personnes à mobilité réduite dans l’espace public et aux abords des habitations? L’entame du plateau par un lotissement tout récent au sommet de la pente de Wesny ne se distingue pas par une urbanisation originale et intégrée : serait-ce là un triste précédent que le nouveau quartier va imiter ? Enfin, qui dit nouveau quartier d’habitat dit d’une part sols artificialisés par la construction des voiries et des habitations, d’autre part charge supplémentaire sur le réseau d’égouttage ; ces facteurs rendus plus aigus par la configuration particulière de la ZACC de Wesny amènent à se demander sérieusement si, au regard des risques et des mesures techniques à prendre, le jeu de l’urbanisation en vaut la peine.

Autant de réflexions que le rapport urbanistique et environnemental devra faire siennes pour définir un mode d’aménagement et estimer ses conséquences d’une manière convaincante. A défaut, par voie d’enquête publique et lors de la consultation des services techniques, du CWEDD[[Conseil Wallon de l’Environnement pour le Développement Durable.]], de la CCATM[[Commission communale d’aménagement du territoire et de mobilité. Il en existe plus de 165 en Wallonie.]] ou de la CRAT[[Commission régionale d’aménagement du territoire. Il en existe une seule pour la Wallonie ; elle est subdivisée en différentes sections.]], il pourra être estimé que le rapport urbanistique et environnemental manque son but et que les choses devraient plutôt rester en l’état ou partir dans une autre direction. Il ne s’agira là que d’avis et de réclamations mais, dans son acte administratif final, la commune devra motiver pourquoi elle s’écarte de ces observations et en quoi l’aménagement proposé lui semble effectivement bénéfique à l’environnement et au développement urbanistique de Dison. En amont de l’élaboration du RUE, le collège communal a, il y a quelques mois déjà, pris la peine de contacter la DNF[[Direction Nature et Forêts du Service Public de Wallonie, administration régionale.]] afin de déterminer des critères dont le rapport devrait tenir compte quant au lieu d’implantation et à ses caractéristiques naturelles. Par ailleurs, un quart environ de la surface comprise dans la ZACC, situé au nord de la rue d’Andrimont, a été considéré par le conseil communal comme devant être exclu de la réflexion, à cause du relief trop escarpé et d’une urbanisation déjà en place.

Tout chaud !

Le rapport urbanistique et environnemental sur la mise en ½uvre de la ZACC de Wesny vient d’être déposé à la commune de Dison. Reste à vérifier s’il correspond au contenu prévu par l’article 33 du CWATUPE et s’il s’est conformé aux indications de la DNF. Dans l’affirmative, le conseil communal verra tout bientôt le dossier et le mettra à l’enquête publique, annoncée par affichage adéquat. Les Disonais disposeront alors de 30 jours calendrier pour examiner le dossier. Avec les vacances scolaires qui approchent, on peut espérer que le temps libre n’empêchera pas la participation citoyenne et que les plus courageux bénéficieront d’un accueil adéquat quand ils visiteront l’administration communale pour voir le texte et ses illustrations…

Pour ce qui est de la suite des événements, la procédure prévoit qu’à l’issue de l’enquête et des consultations, le conseil communal adopte le RUE, accompagné d’une déclaration environnementale résumant la manière dont les considérations environnementales ont été intégrées dans le rapport, la manière dont les avis, réclamations et observations ont été pris en considération ainsi que les raisons des choix du rapport urbanistique et environnemental compte tenu des autres solutions raisonnables envisagées. Ensuite, le conseil enverra le rapport, accompagné de cette déclaration environnementale, au fonctionnaire délégué. Dans les trente jours suivant la réception du dossier, le fonctionnaire délégué le transmettra au gouvernement régional. Le gouvernement vérifiera la conformité puis approuvera ou refusera le rapport urbanistique et environnemental. L’arrêté du gouvernement sera envoyé au collège communal dans un autre délai de trente jours. À défaut de l’envoi de l’arrêté, le collège communal pourra adresser un rappel au gouvernement. Si, à l’expiration d’un nouveau délai de trente jours prenant cours à la date de l’envoi de la lettre contenant le rappel, le collège communal n’a pas reçu l’arrêté, le rapport urbanistique et environnemental sera réputé approuvé.

C’est seulement à partir de l’approbation du RUE par le gouvernement que les candidats promoteurs pourront déposer leur demande de permis d’urbanisme à la commune. Toute demande de permis d’urbanisme portant sur une surface de plus de deux hectares devra être accompagnée d’une étude d’incidences sur l’environnement, et sera soumise à son tour à une enquête publique, de quinze jours cette fois.

Un urbanisme ad hoc ?

Bien que le législateur n’ait – jusqu’à présent – pas obligé le rapport urbanistique et environnemental à appliquer les principes méthodologiques d’un schéma de structure à l’échelon local, il lui a donné le statut d’un outil d’orientation, puisque les demandes de permis pour des parcelles inscrites dans la zone devenue urbanisable sont tenues de s’y référer. De là à dire que le RUE se fait fort de rendre lisibles quelques principes d’urbanisation adaptés au lieu, il y a un pas que l’examen des documents produits depuis les cinq années d’existence de l’outil ne permet pas de franchir. Au contraire, une confusion semble fréquente entre cette mission d’orientation adaptée au lieu, et l’établissement d’un schéma banal reproductible n’importe où. Dès lors, le rapport urbanistique et environnemental s’avère souvent un simple expédient pour satisfaire la boulimie galopante de nos contemporains en matière d’immobilier et de surface habitable.

Dans le cas de Dison, les possibilités pour promouvoir la vie en ville ne manquent pas, et les zones dédiées à l’habitat comportent encore des réserves. Une part très importante du patrimoine construit de la commune demande à être réhabilitée et pourrait offrir des solutions de logement novatrices. Les principes d’urbanisation proposés par le RUE devront donc se montrer à la fois sensibles au site et à ses environs bâtis, mais aussi tenir compte de la réalité de la commune en démontrant que le passage du Wesny de l’état d’espace vert à l’état de quartier résidentiel repose sur une demande avérée qui ne peut se satisfaire de l’offre existant par ailleurs.

Quant au problème aujourd’hui très débattu des paysages et de leur imbrication dans la logique d’urbanisation, il amène la question des périmètres protégés et des points de vue remarquables. Oui, la ZACC Wesny présente des aspects paysagers exceptionnels, non elle n’est pas reprise dans les périmètres d’ADESA[[ADESA : Action et Défense de l’Environnement de la Vallée de la Senne et de ses Affluents, association membre de la fédération IEW, à qui l’administration régionale a confié, au début des années 1990, la mission d’élaborer une méthode d’inventaire des périmètres d’intérêt paysager et des points de vue remarquables dans la perspective de la révision globale des plans de secteur.]], au motif que l’association a parcouru la Wallonie jusqu’à la limite orientale du plan de secteur de Liège et n’estime pas pouvoir lancer sa campagne d’exploration sur les environs de Verviers avant trois ans.

Pour aller plus loin :

Andrimont, Mont, Ottomont, vus à travers le prisme coloré du plan de secteur : sélectionnez la planche 42/8. Ensuite, choisissez la version coordonnée en pdf.

Ne manquez pas la rencontre citoyenne du 24 novembre 2010 autour du RUE et de la ZACC ! L’exposé suivi d’un débat est ouvert à tous les publics, et s’adresse en particulier aux participants passés et futurs de nos formations à l’aménagement du territoire. Il se déroulera à l’Arsenal de Namur de 10 à 13h. Réservation souhaitée auprès de Sabine Rouard, 081/ 255 280 ou s.rouard@iewonline.be.

Pourquoi pas adopter un paysage ? Devenez acteur de votre territoire !

A propos de Dison…

Un article de Sophie Dawance sur le site d’Interlac de Dison en voie de reconversion, publié le 5 janvier 2009 dans La lettre des CCATM, Réflexion de terrain.

… et du pays de Herve

Le n°1 de l’Atlas des paysages de Wallonie, publié par la Conférence Permanente de Développement Territorial, est consacré à l’Entre Vesdre-et-Meuse. Il est consultable en ligne.

Concernant le CWATUPE

Un article de Sophie Dawance sur les innovations du décret RESAter, paru le 11 juin 2009 sur le site de la fédération IEW.

Un numéro complet de la revue Symbioses, éditée par le Réseau Idée, à propos de l’aménagement du territoire et de ses multiples implications sur la vie quotidienne. Très divertissant et instructif !