En adoptant le 6e Programme d’Action pour l’Environnement, le Parlement européen, la Commission et le Conseil ont reconnu la nécessité de réduire les effets des pesticides sur la santé humaine et sur l’environnement. Ils ont souligné la nécessité d’utiliser ces produits de manière moins dommageable pour l’environnement et ont plaidé pour une double approche: la révision du cadre juridique existant[[Concrétisé par le projet de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques]], et l’élaboration d’une stratégie thématique d’utilisation durable des pesticides[[Concrétisé par le projet de directive du Parlement européen et du Conseil instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation durable des pesticides]]. Repris sous le terme de « paquet pesticide », ces deux textes passent cet automne en seconde lecture au parlement européen. Mais face au lobby du secteur phytopharmaceutique, la bataille est loin d’être gagnée.
Étant donné les impacts sérieux, aigus et à long terme, associés aux pesticides, il est essentiel que la santé publique et l’environnement soient placés au centre de la politique de l’Union européenne en matière de pesticides. Si des points positifs peuvent être soulignés dans le projet actuel de règlement, qui retient tout particulièrement notre attention, quelques casseroles d’importance subsistent néanmoins.
La première d’entre elles est la division des Etats membres en trois « zones » d’autorisations multinationales[[Zone A: Danemark, Estonie, Lettonie, Lituanie, Finlande, Suède.
Zone B: Belgique, République tchèque, Allemagne, Irlande, Luxembourg, Hongrie, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Royaume-Uni.
Zone C: Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Malte, Portugal.]]: dès qu’un Etat autorise un produit, ce dernier est reconnu dans les autres Etats membres de la même zone. Or ce principe pose plusieurs problèmes: tout d’abord le fait que la division de l’Union européenne en zones définies arbitrairement ne répond à aucun critère écologique ou d’espace naturel, alors que l’évaluation et la gestion des risques doivent se baser sur des espaces naturels de petites dimensions ainsi que sur les données locales des sols et du climat. De plus, les Etats membres perdent ainsi la possibilité d’aller au-delà des normes communautaires, particulièrement au niveau des prises de décisions relatives à l’approbation des produits, menaçant ainsi la réalisation des objectifs des plans d’actions nationaux relatifs aux pesticides, des programmes de santé ou des mesures de protection de l’environnement.
La seconde, et non des moindres, est l’absence de critères stricts d’exclusion des pesticides les plus dangereux, que ce soit pour la santé humaine ou pour l’environnement ; nous visons ici tout particulièrement les substances persistantes ou bioaccumulatives possédant des propriétés cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ainsi que les substances à effet perturbateur endocrinien, neurotoxiques ou immunotoxiques. De tels critères sont indispensables à la fois pour éliminer les produits les plus problématiques et pour fournir un signal clair aux entreprises phytopharmaceutiques. L’introduction du principe de substitution et l’évaluation comparative dans le projet de règlement sont donc fondamentales. Il ne s’agit pas seulement de remplacer les substances préoccupantes par d’autres qui le soient moins, mais aussi et surtout de tenir compte de méthodes de lutte et de prévention non chimiques, comme cela est énoncé dans la stratégie thématique consistant à réduire la dépendance à l’égard des pesticides chimiques de synthèse en agriculture.
Un troisième point concerne l’indépendance de l’évaluation. Actuellement, ce sont les sociétés pharmaceutiques qui fournissent elle-mêmes les études scientifiques relatives aux effets de leurs produits. A tout le moins, une revue de la littérature scientifique devrait être fournie – le texte prévoit l’obligation pour l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de réaliser cette revue, mais cette obligation n’est pas formellement formulée pour tous les chapitres, et notamment pas en matière d’écotoxicologie.
Outre l’indépendance de l’évaluation, l’accès du public à tous les dossiers devrait être mieux garanti à notre sens que ne le fait le texte actuel. En effet, il est actuellement possible d’obtenir les dossiers d’autorisations par le droit d’accès à l’information en environnement (directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil). Néanmoins, ce droit est mal connu, tant des citoyens que des autorités responsables de certains Etats membres. Dans la pratique, il n’est pas toujours évident d’avoir accès aux dossiers des substances et produits, du moins dans certains autres Etats d’Europe – soulignons que la Belgique s’est montrée, jusqu’à présent, exemplaire en la matière.
Le dernier point que nous aborderons ici concerne le cas des semences traitées par enrobage ou pelliculage, technique tout à fait particulière qui consiste à enrober la semence elle-même par un produit phytopharmaceutique. Le traitement des cultures de tout type est donc réalisé d’emblée et à grande échelle, sans savoir si cela sera nécessaire. Or certaines des substances utilisées en enrobage de semence ont des conséquences environnementales importantes: persistance dans les sols, dérive importante des poussières de semis et présence des substances actives dans la flore tant sauvage que de culture. De plus, certains traitements de semences sont réalisés avec des substances systémiques destinées à protéger la plante pendant toute sa croissance (cas des Régent®, Gaucho®, etc.). Il en résulte un « bruit de fond » de contaminations dans l’environnement, phénomène favorable au développement de résistances chez les nuisibles ainsi qu’à l’apparition d’effets toxiques chroniques à très long terme, y compris en matière de santé humaine. Peu sélectifs et très toxiques pour les insectes, ces produits anéantissent les populations de pollinisateurs et auxiliaires très utiles pour diminuer la pression des parasites, et donc contribuer à la réduction de l’usage des pesticides. Ce ne sont donc pas là les produits d’avenir dont notre agriculture a besoin. Le texte en projet prévoit la libre circulation des semences traitées et la reconnaissance automatique des produits de traitement par tous les pays de l’Union dès qu’un Etat membre aura donné l’autorisation – c’est un peu le principe des zones, mais dans le cas des semences l’Union ne formera qu’une seule zone. Ceci laisse à penser que les traitements de semences sont plus anodins que les autres. Il n’en est rien, et il est donc essentiel que les semences traitées soient soumises aux mêmes impositions que les produits phytopharmaceutiques eux-mêmes.
Ce point est d’autant plus interpellant que les traitements de semences sont fondamentalement contraires à l’option de lutte intégrée. Or dans le projet de Directive instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation durable des pesticides, négocié parallèlement au projet de règlement, la promotion des méthodes de lutte intégrée est clairement exposée. Le concept même de lutte intégrée postule des traitements ponctuels et ciblés. A l’opposé, les traitements précités sont, par nature, systématiques, systémiques, persistants, et, la plupart du temps, ubiquistes. La contradiction actuelle entre les deux textes pose donc une sérieuse question.
A l’heure actuelle, rien n’est encore joué. Les parlementaires européens ont jusqu’au 10 octobre pour déposer leurs amendements au projet de texte. Début novembre auront lieu les discussions sur ces mêmes amendements. De nombreuses associations européennes, dont la Fédération, feront d’ici là tout ce qu’elle peuvent pour soutenir un acte des parlementaires aussi enthousiasmant que celui de ce 25 septembre en matière d’émissions de CO2 des voitures (voir la nIEWs mobilité dans le présent numéro).
Pour avoir plus d’informations, tant sur le projet de directive que le projet de règlement, ainsi que l’évolution de ces dossiers, ou savoir comment nous aider, n’hésitez pas à nous contacter!