S’il est indispensable que soient définis des objectifs globaux en termes de réduction des émissions de CO2, il est aussi nécessaire que ces objectifs globaux soient accompagnés d’objectifs sectoriels.
Prenons le cas du secteur des transports. Il est urgent d’en maîtriser davantage les émissions vu qu’elles ont augmenté de plus 38% entre 1990 et 2007 ! C’est de toute évidence un des secteurs les plus problématiques.
Des mesures telles que le système d’éco-bonus/malus qui a permis de réduire de 3% le taux moyen d’émissions CO2 du parc de voitures en Wallonie sont très couteuses au regard de leur efficacité. De même, les améliorations technologiques sur les véhicules particuliers n’ont jamais été et ne seront jamais suffisantes pour limiter les émissions du secteur.
Investir dans les alternatives à la voiture individuelle permettrait d’obtenir des résultats plus probants.
L’UITP (Union internationale des transports publics) en est consciente et propose d’emblée aux autorités responsables et aux opérateurs de transport public de doubler les parts modales du transport en commun d’ici 2025.
Voilà un bel objectif à intégrer dans le contrat de service public qui se négocie actuellement entre le TEC et son autorité de tutelle !
Lisez l’interview ci-dessous de Hans Rat, Secrétaire général de Union Internationale des Transports Publics par la rédaction de Transflash, Bulletin d’information des déplacements urbains départementaux et régionaux, publié par le Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques).
La Rédaction : Qu’est-ce qui se cache derrière «2025 = PT x 2» ?
H.R. Cette formule, certes quelque peu énigmatique au premier abord, traduit l’ambition de doubler la part de marché mondiale du transport public d’ici 2025. «PT x 2» se lit, en anglais «Public Transport times two». Nous savons que plus de 60% de la population mondiale vivra en ville d’ici 2030. Si nous n’agissons pas dès maintenant pour favoriser la mobilité dans les villes, la situation de congestion que nous connaissons déjà aujourd’hui ne fera qu’empirer.
L.R. On comprend bien le côté «mobilisateur» et fort de ce message, mais par rapport aux fort nombreuses initiatives, plans, communications, projets européens sur ce thème, en quoi vous différenciez-vous ? Quoi de différent, quoi d’innovant ?
H.R. La multiplicité des initiatives dans ce domaine confirme l’urgence d’agir ; plus nous sommes nombreux à porter le message, plus il a de chances d’aboutir. «PT x 2» s’adresse à la fois au monde politique, aux autorités organisatrices, aux organismes de financement, aux exploitants et au monde industriel. Car c’est ensemble qu’il faut travailler. Sa spécificité est qu’au-delà des messages de communication, il y a d’une part un appel à l’actionavec une prise de conscience de l’ensemble de la société et un changement du secteur lui -même ; et d’autre part, il y a des arguments concrets et factuels appuyés par des cas de bonnes pratiques et des statistiques. À titre d’exemple, le coût de la congestion dans l’Union européenne est estimé de 2% à 8% du PIB ce qui représente 200 milliards d’euros ! C’est énorme sur le plan économique. Sur le plan environnemental, notre étude statistique «Mobility in Cities Database» révèle que dans des villes où la
part de marché du transport public et des modes «doux» dépasse les 55%, on émet 2,4t de CO2 en moins par habitant et par an par rapport aux villes où la part du transport motorisé privé
dépasse les 75%. Sur le plan économique, elle révèle que le coût des déplacements pour la collectivité varie de 5% dans les villes denses à forte utilisation du transport public à plus de 12%
dans les villes peu denses où l’automobile est le mode de transport quasi exclusif. «PT x 2» se décline essentiellement en deux volets : les atouts du transport public et les mesures
essentielles à mettre en place pour atteindre cet objectif commun.
L.R. Les situations de départ des villes ou des pays sont fort diverses… comment travailler à partir de cultures si différentes ? La Suède, Téhéran, Londres, Perth,… vaste programme !
H.R. En effet… Aussi, l’ambition fédératrice de «PT x 2» est une moyenne mondiale, tout à fait réalisable dans certaines régions, pas assez ambitieuse dans d’autres, difficile, voire impossible à
atteindre ailleurs…
Dans les grandes métropoles européennes, la part de marché du transport public est déjà élevée et des réseaux sont parfois déjà saturés. Dans ce cas, les priorités porteront davantage sur une adaptation de l’offre de service (heures creuses), un développement de banlieues à banlieues, comme c’est le cas à Paris ou à Madrid par exemple. Mais il y a encore de la marge de développement, notamment dans les villes de taille moyenne. Hors Europe, les enjeux sont différents et la priorité pourra être de formaliser le transport public ou de mettre sur pied une autorité organisatrice. Le progrès du transport public est possible – et nécessaire – partout. À travers «PT x 2», l’UITP veut proposer des solutions concrètes à mettre en place autour des 5 axes stratégiques que sont le financement, l’intégration urbaine, le changement de culture d’entreprise, les politiques urbaines en matière de mobilité (politique de stationnement, etc.) et les développements vers des services «lifestyle» qui feront du transport public le choix privilégié. Chaque ville choisira de reprendre et d’adapter selon son contexte, politique, socio-économique, historique, topographique, etc.
Pour ne citer que quelques exemples, parmi les solutions et outils d’aide, l’UITP a publié des recommandations sur les appels d’offres, elle vient de sortir une brochure sur la marche à suivre pour former une autorité organisatrice, avec exemples à l’appui. Elle va publier un manuel sur les méthodes de financement, des statistiques sur le poids du secteur en matière d’emplois. En réalité la diversité culturelle est un vrai atout : les solutions ne sont pas forcément transférables telles quelles d’un continent à l’autre, mais elles sont de véritables cas de bonnes pratiques adaptables selon les contextes.
L.R. Pouvez-vous nous citer des exemples précis d’expériences déjà lancées, de programmes particulièrement prometteurs ?
H.R. Je commencerai par la France où Lille a l’ambition de doubler la part modale du transport public d’ici 2020 en travaillant à freiner l’étalement urbain, en développant l’offre de transport (métro, bus, vélo) et en rendant les services plus intégrés, notamment par le biais de la billettique sans contact – le tout en menant une politique stricte vis-à-vis de l’automobile. Pour répondre à une forte demande croissante, Genève a augmenté son offre de 50% sur les dix dernières années et va l’augmenter de 35% d’ici 2014, notamment par l’extension de son réseau de tramway et la création d’un RER en liaison avec Annemasse en France. La Suède a lancé son projet «Doubling» à l’échelle nationale à l’horizon 2020 et pour ce faire, elle a développé un nouveau modèle économique pour le transport public et sensibilisé les décideurs et le grand public. La province de l’Ontario, au Canada, a créé l’autorité Metrolinx, et lancé son plan d’expansion «Big Move» (37 milliards d’euros sur 25 ans) qui vise à fournir à plus de la moitié des habitants un accès à une connexion ferroviaire rapide à moins de 2 km. Le programme ExpansionSP (2007-2014 ; 8 milliards d’euros) de Sao Paulo porte sur l’extension du réseau de métro (pour passer de 60 à 370 km), sur l’augmentation de la fréquence et de la flotte et sur la construction et la modernisation des stations. Dubaï va tripler sa part de marché et Salt Lake City a l’ambition de quadrupler, voire quintupler la part de marché ! Au vu des quelques 160 candidatures reçues pour les prix «PT x 2» qui seront remis lors du Congrès UITP qui se tiendra à Dubaï du 10 au 15 avril 2011, cette liste est loin d’être exhaustive.
L.R. Les principaux obstacles ou blocages ?
H.R. Le vrai blocage est un problème de conscience et de volonté. La clé est la volonté politique. La difficulté est que les projets de transport public s’étalent sur des dizaines d’années, périodes beaucoup plus longues que les mandats politiques. Il faut donc d’abord une vraie volonté politique qui garantisse la pérennité des projets. La deuxième clé est un financement stable. En matière de financement, il faut que les parties prenantes du transport public mettent en place des stratégies innovantes comme l’optimisation des recettes tarifaires en fonction des segments de marché, le développement de revenus non tarifaires, le reversement au transport public de taxes ou de revenus générés par le stationnement ou la congestion et ce dans un cadre fiscal cohérent, des partenariats avec le secteur privé dans un cadre adéquat, avec un partage des risques clairs.
L.R. Un message fort ?
H.R. Le maître -mot est le changement : changement dans la conception des villes, changements dans les priorités budgétaires, changement de la culture des entreprises de transport public et changement dans nos habitudes de déplacement. C’est possible et c’est surtout indispensable si l’on veut continuer à vivre et à bouger dans les villes.