Depuis le mois de mai 2013, la Commission européenne négocie au nom des 28 États membres de l’Union européenne un « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) ou (TAFTA) » avec les États-Unis. Son but ? Conclure un accord qui vise à éliminer les barrières commerciales dans de nombreux secteurs économiques afin de faciliter l’achat et la vente de biens et de services. En plus de réduire, voire de supprimer, les droits de douane dans divers secteurs, l’UE et les USA veulent s’attaquer aux obstacles existant au-delà des frontières – comme les différences de règlements techniques, normes et procédures d’approbation. Selon la Commission, ce partenariat permettra un gain économique significatif de l’ordre de 119 milliards d’euros pour l’UE, et cela annuellement. Transposés aux ménages, le revenu d’une famille de 4 personnes devrait augmenter en moyenne de 545 euros en Europe et de 655 euros de l’autre côté de l’Atlantique[[CEPC (2013), « Reducing Transatlantic Barriers to Trade and Investment. An Economic Assessment », London.]]. Dans les faits, les négociations entre américains et européens vont principalement s’attarder sur les barrières non tarifaires plutôt que sur les droits de douanes, déjà très faibles (de l’ordre de 4%).
En s’attaquant aux différentes normes dans des secteurs aussi divers que le commerce, l’agriculture, la santé ou encore l’environnement, c’est notre modèle de société qui en jeu. Or « les sociétés des États membres de l’UE, prises ensemble comme individuellement, sont beaucoup plus protectrices et adoptent des normes plus restrictives que la société américaine, qui prône l’initiative privée, le libéralisme déréglementé »[B. Coriat (2013), « [Accord de libre-échange transatlantique : Les normes européennes risquent d’être plus laxistes »]]. Dans le domaine environnemental, cela se traduit, notamment par le fait, que, contrairement aux européens. les Américains mangent du bœuf aux hormones, des volailles chlorées interdites dans l’UE et des OGM[[Mrs Christiane Gerstetter (2013), « Legal implications of the EU-US trade and investment partnership (TTIP) for the Acquis Communautaire and the ENVI relevant sectors that could be addressed during negotiations », Parlement Européen, Policy Department A: Economic and Scientific Policy]].
OGM
L’Union européenne possède un cadre légal spécifique pour réguler l’usage des OGM dans la nourriture ou dans l’agriculture qui est beaucoup plus stricte que le cadre légal américain basique en ce qu’il se limite à de simples déclarations politiques non contraignantes sur l’application des lois relatives aux produits existants contenants des OGM. Dans l’UE, le principe de précaution joue un rôle important dans la gestion des risques, et de ce fait l’autorisation de mettre des OGM sur le marché est sujette à une procédure d’autorisation qui doit être conforme à des règles spécifiques, telles que la soumission par le demandeur d’une évaluation de risques complète incluant une évaluation des risques environnementaux. La consultation du public est elle aussi obligatoire. A l’opposé, les OGM aux Etats-Unis sont soumis aux mêmes règles que les produits conventionnels, du fait de l’assomption de leur « substantielle équivalence ». La FDA[[Federal Drug Administration]] a en effet classé les OGM comme « généralement reconnu comme sûrs », appelant rarement à une autorisation préalable et se reposant sur les notifications et auto-évaluations réalisées par les producteurs. Il n’existe aucun régime qui requerrait un suivi sur le long terme des impacts environnementaux. Les consultations se font aux USA sur base volontaire uniquement.
L’existence en Europe d’un registre public où sont enregistrés les OGM autorisés constitue également une différence majeure avec les Etats Unis. Il n’existe aucun registre comparable aux USA où la liste des différentes variétés de semences n’est soumises à aucune forme de supervision gouvernementale et n’est pas accessible au public. Si l’étiquetage des OGM et des produits destinés à l’alimentation est obligatoire dans l’UE (si la proportion d’OGM est supérieur à 0,9%), cette démarche est volontaire selon la loi américaine bien que des initiatives commencent à être prises par certains Etats (2 à ce jour) pour introduire un étiquetage obligatoire dans le but d’informer le consommateur.
Régulation des substances toxiques
Contrairement au « Toxic Substances Control Act » (TSCA) aux États-Unis, la réglementation européenne REACH prévoit l’enregistrement de toutes les substances chimiques sur le marché, établissant plusieurs dates limites d’inscription et faisant la distinction entre les substances « phase-in » (c’est à dire celles qui existaient sur le marché avant l’entrée en vigueur de REACH) et des substances « non phase-in » (c’est à dire de nouveaux produits chimiques). Inversement, la procédure américaine de notification (PMN), établie en vertu du TSCA, s’applique uniquement aux substances chimiques qui entrent sur le marché ou qui ont été produites pour un usage différent après la loi adoptée en 1976. Les produits chimiques qui étaient déjà sur le marché ne sont pas automatiquement soumis aux exigences prévues par la réglementation. En outre, REACH est beaucoup plus stricte que le TSCA pour les données à soumettre: l’information technique qui doit accompagner le dossier d’enregistrement est très complète, avec les informations notamment sur les propriétés des produits chimiques, leur classification et les conseils d’utilisation, alors que sous le TSCA, les demandes ne nécessitent que la présentation des données préexistantes sur les qualités d’une substance et ne contient pas en fin de compte toutes les données de santé ou de sécurité. Par conséquent, si l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) est en mesure de recueillir des données complètes de sécurité sur tous les produits chimiques par les exigences imposées aux personnes inscrites dans l’UE, aux Etats-Unis, l’Agence de Protection de l’Environnement (Environnemental Protection Agency,EPA) n’a pas une telle information complète, s’appuyant plutôt sur des modèles créé à partir des informations connues sur les substances similaires. Une autre différence importante est que le TSCA impose seulement un petit nombre de restrictions spécifiques (conditions d’utilisation ou interdiction) sur les produits chimiques, au lieu de donner à l’EPA le pouvoir d’imposer de telles restrictions s’il détermine qu’une substance chimique présente un risque inacceptable pour la santé humaine ou l’environnement.
Il est possible que TPCI offre un nouvel élan aux législateurs américains pour renforcer leur régime de réglementation des produits chimiques, afin de l’aligner sur celui de REACH, bien que cette option ait été repoussée au sein du Congrès depuis 2005. Il y a actuellement un projet de loi sur la table, qui renforcerait la collecte de données sur les produits chimiques existants et créerait un meilleur alignement avec le règlement REACH, mais rien ne garantit que les choses vont aller dans le bon sens. Il y a par contre un réel risque de voir un ralentissement de l’évolution de la législation REACH du fait de ces accords (Voir analyse complète ici), risque que ne souhaite pas courir les associations qui se préoccupent des questions de santé environnementales.
Conclusions
Les négociations débutent, et la Commission va devoir lâcher du lest face aux Etats-Unis. Deux éléments peuvent cependant offrir une éclaircie dans ces négociations. Grâce notamment à la pression française, le secteur audiovisuel est retiré du mandat de négociations commerciales avec les Etats-Unis, au nom de l’exception culturelle européenne. Enfin, on se souvient du récent rejet de l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) par le Parlement européen. C’est la première fois que le Parlement exerce ce pouvoir, conféré par le traité de Lisbonne, de rejeter un accord international sur le commerce. Les Députés européens devront également avaliser le projet d’accord de libre échange pour qu’il entre en vigueur, rien ne dit que tout comme pour ACTA, les députés ne rejetteront pas ce nouveau traité