Contre toute attente, le CoDT fut voté en commission parlementaire par un petit matin du vendredi 27 mai dernier au terme d’une session parlementaire digne des mers les plus déchainées. En débutant la séance le jeudi après-midi, ils étaient certainement peu nombreux à penser que le CoDT serait emballé et pesé 15h plus tard. Et pour cause…
Avant que la tempête ne s’abatte sur le navire CoDT, une bonne dizaine de réunions venaient d’être fixées à l’agenda de la commission de l’aménagement du territoire en vue d’un passage présumé du texte en séance plénière du Parlement avant les vacances parlementaires. Au terme des huit premiers mois de débats parlementaires, la commission avait examiné trois livres sur huit, et le plat de résistance venait à peine de commencer avec l’entame du quatrième livre, relatif aux permis.
Un boulet de canon nommé permis parlementaire fait chavirer les débats
Il suffit de lire les derniers comptes rendus de la commission pour s’apercevoir que l’ambiance entre les différentes flottes tournait tout doucement au vinaigre. En cause, le calendrier des réunions et l’heure de fin de ces dernières. 1h15 de palabres le 9 mai, 1h30 de joutes verbales le 19 mai. Mais qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ce jeudi 26 mai ? Le PeP, l’explosif permis parlementaire bien évidemment !
Rétroactes : tout récemment, deux députés de la majorité déposaient une proposition de décret en vue d’étendre le champ d’application des projets concernés par la procédure du permis parlementaire. Grosse discussion en commission le jeudi 26 mai : la majorité veut postposer les discussions sur le permis parlementaire prévu dans le CoDT et en discuter conjointement avec la proposition de décret une fois celle-ci fixée à l’ordre du jour de la commission. De son côté, l’opposition souhaite ne pas saucissonner les débats sur le CoDT et que la discussion sur le permis parlementaire soit abordée immédiatement dans le cadre des travaux. Faute de consensus, un vote intervient en séance afin de trancher. Au terme d’un vote majorité contre opposition sans surprise, la discussion relative au permis parlementaire est postposée. Dans la foulée, le groupe MR hisse la grand-voile et prend le large, rejoint quelques temps plus tard par Ecolo. Malgré la désertion de l’opposition, la majorité parlementaire décide de border son foc et d’avancer, avec une rentabilité défiant toute concurrence. Elle examine alors en huit heures les cinq derniers livres du code et vote le projet de décret sans attendre. On ne peut s’empêcher de rappeler qu’en début de séance, pas moins de treize séances venaient d’être prévues pour l’examen du texte. Quand je vous parlais de rentabilité….
Un bateau CoDT sabordé par son propre équipage ?
Les travaux sur le CoDT sont en cours depuis le début de législature avec un processus de consultation des différentes parties prenantes (administrations, acteurs de terrain, notamment) qui a eu le mérite d’exister et une volonté d’aboutir à la finalisation d’un texte rapidement, vu les attentes de toutes les parties prenantes. Selon les secteurs concernés et leurs positionnements respectifs, le CoDT Bis est sujet à avancées sur certains aspects et reculs sur d’autres. De son côté, si le capitaine du navire a bien en tête le cap qu’il poursuit à travers la philosophie du code, il a malgré tout laissé la porte ouverte aux autres formations politiques pour proposer des amendements.
Et puis… le DAR, le permis parlementaire (PeP) – appelez-le comme vous voulez – repasse par là et le bateau CoDT se met à tanguer. Qu’on le vante ou qu’on le fustige, voilà des mois que le PeP était enfui dans les abysses parlementaires, histoire de ne pas réveiller le monstre des océans. En effet, tout le monde sait que qui s’y frotte s’y pique. Et pourtant, les premiers coups de semonce sont tirés au sein même de l’équipage du capitaine Di Antonio. Les choses s’enchaînent alors très vite :
un article dans la presse du 13 mai sur la volonté de certains de vouloir survitaminer le permis parlementaire et l’étendre à d’autres projets que ceux prévus dans le projet de CoDT.
le dépôt d’une proposition de décret pour étendre les hypothèses d’application du PeP.
l’affrontement en commission le jeudi 26 mai et l’issue que l’on connaît désormais.
De nombreuses questions demeurent à ce stade: quel(s) objectif(s) est (sont) poursuivi(s) à travers ces démarches ? Pourquoi une proposition de décret qui court-circuite la procédure classique, au lieu de déposer un amendement ? Faut-il y voir une volonté d’exister médiatiquement sur des sujets porteurs comme les « routes de l’emploi » ? Une volonté de ne pas « encombrer les débats en cours » comme a pu l’affirmer l’un des auteurs de la proposition en séance plénière le 10 juin dernier ? Nous laisserons chacun se forger son opinion, mais deux constats s’imposent.
Tout d’abord, n’en déplaise à certains, l’affirmation selon laquelle le DAR n’aurait pas été si conflictuel que cela, comme on a pu le lire récemment dans la presse, est manifestement erronée ; les événements de ces derniers jours le démontrent amplement, alors que la nouvelle version du DAR n’avait pas encore été réellement débattue.
Ensuite : visiblement, la maxime « Pour vivre heureux, vivons cachés » ne semble pas faire partie du vocabulaire parlementaire de certains élus wallons. Bien-sûr, ils doivent se mettre en avant pour exister médiatiquement, c’est le jeu… Faut-il pour autant lancer des bouteilles à la mer à tout va ? Plusieurs député(e)s – tous partis confondus – probablement moins omniprésents médiatiquement n’en font pas moins de l’excellent travail. Las d’astiquer les planchers du navire CoDT du capitaine Di Antonio, certains mousses de l’équipage ont-ils voulu reprendre la barre ?
Flibuste or not flibuste ?
A l’occasion des discussions parlementaires des dernières semaines, un nouveau concept s’est invité dans les débats : la flibuste. Les uns reprochant aux autres de faire de la flibuste pour faire traîner les choses. Le concept est décliné sous toutes ses formes possibles et imaginables (utilisé à plus de 30 reprises lors de la séance du 19 mai). Des joutes verbales à n’en pas finir, dignes des plus grands prétoires, des heures de palabres sur l’agenda et le timing des futures séances de travail, sur la prétendue volonté des uns de vouloir avancer à un rythme effréné en dépit du raisonnable, sur la prétendue volonté des autres de vouloir retarder à tout prix l’avancée des travaux. Malgré une volonté permanente du Président de la commission de rechercher des consensus et des compromis entre les différentes familles politiques, les débats ont tourné court.
La grande bataille ! Toutes les flottes sur le pont
La porte semblait rester ouverte malgré le vote du CoDT en commission ; au lendemain de l’affrontement, l’on apprenait en effet que la discussion se poursuivrait en plénière du Parlement. Quand bien même cela n’aurait pas été le cas, il est évident que le débat se serait invité tout seul. Quoiqu’il en soit, cette séance plénière s’annonçait houleuse ; les différentes flottes ne semblant visiblement pas prêtes à hisser le drapeau blanc de l’apaisement.
Chaque équipage affrétait son navire : baril de poudre, révision des canons, entretien des mousquets. A l’issue de la grande bagarre, la question était de voir quels navires resteraient à flot et lesquels seraient touchés / coulés. La bataille navale fut féroce : alors que quelques jours plus tôt, le texte était voté en commission par la majorité, cette dernière s’empressait en plénière de proposer une centaine de nouveaux amendements ; l’opposition parlait quant à elle de naufrage parlementaire ou de pantalonnade. Que ressort-il de tout cela ? Un code dont l’adoption est reportée de quelques semaines afin d’examiner les amendements déposés en séance et de soumettre certaines dispositions à l’analyse complémentaire de la section de législation du Conseil d’Etat.
La moitié du CoDT sur une jambe de bois
Il n’est pas question de jeter l’opprobre sur l’un ou l’autre groupe politique. L’opposition assumera le fait d’avoir quitté prématurément les bancs parlementaires. La majorité, quant à elle, assumera la responsabilité politique d’avoir voulu avancer après le départ de l’opposition et de boucler fissa les cinq derniers livres du texte alors que probablement rien n’empêchait une suspension des travaux pour tenter de remettre l’ensemble des familles politiques autour de la table. Peut-être qu’à son estime, cela aurait donné trop d’importance à l’opposition. Au final, une partie importante du CoDT est amputée d’un vrai débat parlementaire. Certaines mauvaises langues diront que, vu le niveau peu constructif de certaines discussions par moment, l’optimalisation du code à travers les débats aurait été limitée. La Fédération ne partage certainement pas ce constat au sein d’une instance qui incarne le cœur de notre démocratie. Au terme de la plénière du 8 juin, on apprend que le texte devrait repasser à nouveau au Parlement avant les vacances parlementaires soit, ni plus ni moins, ce qui était envisagé au début de la séance en commission du 26 mai dernier déduction faite de la dizaine de sessions de travail prévues en commission évidemment!
Au lendemain de ce dénouement politique totalement inattendu en commission de l’aménagement du territoire, chacun y allait de sa petite phrase assassine pour fustiger l’attitude irresponsable de l’autre même si, aussi étonnant que cela puisse paraître, majorité et opposition se rejoignent sur un point : c’est la démocratie qui trinque. A qui la faute ? Poser la question c’est probablement y répondre.