« Devons-nous étouffer dans l’œuf tout projet économique créateur d’emplois parce qu’il génère du trafic et de la pollution ? Si oui, nous devrions nous satisfaire de la fermeture de Ford Genk. » Dans une récente interview[[Métro, lundi 23/02/2015]], Ben Weyts (N-VA), Ministre régional flamand de la Mobilité, balayait ainsi – par ce qu’il pensait être une pirouette – une question sur son soutien au projet de centre commercial Uplace de Machelen. Sa pirouette lui faisait toucher un point essentiel : la question de la hiérarchie des valeurs.
Dans nos sociétés, la participation d’un projet à l’augmentation du PIB (quels que soient les mécanismes sous-jacents) est toujours le premier critère à l’aune duquel il sera évalué. Bien loin derrière viendront les considérations environnementales. Si d’aventure une femme ou un homme politique a l’idée saugrenue de s’écarter de cette ligne de conduite, les acteurs du monde économique et financier auront tôt fait de la ou le remettre dans le droit chemin – avec, dans nombre de cas, le soutien de l’ensemble des partenaires sociaux.
Enfermés dans un modèle de société qui, à bout de souffle, engendre la radicalisation de ses laudateurs, nous ne pouvons ni ne voulons prendre pleinement conscience de l’urgence environnementale et sociale (ce terme étant pris dans son acception la plus large, en considérant notamment que l’humanité est une et que chaque être, dès sa naissance, devrait avoir le droit à vivre dans la dignité et le respect).
Certes, il est, çà et là, question d’environnement. Certes, on « verdit » les politiques. Mais l’immense majorité de la classe politique « occidentale » se refuse à mettre en cause le mode de développement actuel, celui-là même qui a engendré des pressions insupportables sur la planète et ses habitants notamment dans les pays du sud. Un exemple emblématique en est le projet de traité transatlantique (TTIP pour les intimes). Le TTIP vise, au nom de la croissance économique et du PIB, à renforcer les échanges commerciaux entre l’Europe et les USA. Fondamentalement, il s’agit d’augmenter les flux de marchandises traversant l’Atlantique dans les deux sens. Sans aucune prise en compte du fait que cela contribuera, en vertu des lois de la physique, à augmenter les émissions de gaz à effet de serre – émissions qu’il conviendrait, pour éviter le clash climatique, de diviser par 10 en 35 ans.
Dans ce contexte, on attend – sans trop y croire, malheureusement – le sursaut moral qui amènerait femmes et hommes politiques à penser et s’exprimer avec lucidité et honnêteté.
Lucidité dans le constat sur l’état dramatique de l’environnement humain et naturel. Lucidité dans les conclusions qui s’imposent : l’entièreté de nos moyens devraient être dédicacés à réduire les pressions sur l’environnement et les sociétés humaines.
Honnêteté dans le discours pour, quittant le brouillard des actuelles circonvolutions schizophréniques à la recherche de la quadrature du cercle, communiquer clairement sur le constat, les enjeux et les solutions à mettre en œuvre. Un certain Churchill[[Il s’agit ici de faire état d’un fait historique, abstraction faite de toute autre considération sur la personne et ses méthodes]], en d’autres temps et dans d’autres conditions, a eu ce courage. Il a reconnu n’avoir rien d’autre à offrir à ces concitoyens, à court terme, que « du sang et des larmes ». Mais ceci pour éviter le pire et ouvrir la voie à des futurs meilleurs.
Lucidité et honnêteté. En en faisant pleinement preuve, femmes et hommes politiques (et derrières elles et eux, toute la société), relèveraient la tête, sortant des soins apportés à un modèle économique moribond. Découvrant le mur des limites planétaires et des limites de la souffrance endurable vers lequel l’humanité se précipite, elles et ils pourraient choisir de s’engager résolument sur le chemin menant à des futurs plus harmonieux. Chemin long, escarpé, dangereux, chemin qui engendrera « sang et larmes », mais chemin libérateur.
« Vous savez, qu’on l’avoue ou pas, dans la vie, on mise toujours sur l’arrivée des secours » écrivait Romain Gary. Lucidité et honnêteté nous permettent de sortir de ce travers fâcheux.