Pourquoi ferais-je un effort si les autres n’en font pas ? La participation de chacun·e et de chaque secteurs est essentielle pour progresser sur la question du climat et ce, à hauteur de ses émissions. Nous sommes en effet à l’heure où le Gouvernement Wallon prépare le nouveau Plan Air Climat Energie (PACE) pour que 2030 soit l’étape décisive pour atteindre la neutralité climatique en 2050. Les cris de désespoir du dernier rapport du GIEC et de l’ONU doivent nous inciter à y voir clair pour bien agir. Ce premier article est consacré aux « secteurs » émetteurs et un second portera davantage sur les ménages.
IEW a réalisé un rapport de la version préliminaire du nouveau PACE, émis en 2021 par l’administration et le gouvernement wallon, en vue notamment d’alimenter le panel wallon pour le Climat.
Une bonne nouvelle toute relative : les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont stables en Wallonie depuis 2012. La mauvaise nouvelle : iI faut diminuer d’un tiers nos émissions d’ici 2030 en vue d’atteindre la neutralité pour 2050. Laissez-vous imprégnier par ces mots : un tiers pour la Wallonie en 8 années. Le dernier rapport du GIEC est formel : 2030 est un cap primordial et tous les secteurs doivent contribuer. Chaque secteur et/ou chaque ministre en charge doivent participer activement : l’industrie et la logistique, les particuliers à travers leur mobilité et leur logement, l’agriculture et l’élevage, la production d’électricité. Maintenant, c’est fini, il faut y aller. Et ça ne se fera pas sans bousculer.
Les émissions totales ne diminuent plus depuis 2012
Avant 2012, la Wallonie a diminué ses émissions par rapport à 1990. Mais depuis lors, c’est le calme plat : les émissions restent désespérément constantes, avec environ 37 Mt CO2-eq.
Malheureusement, la réduction d’avant 2012, de 18 Mt CO2-eq, n’est que minoritairement due à du volontarisme. Le principal est une conséquence du contexte international relatif à l’industrie :
- la fermeture de la phase à chaud de l’acier en Wallonie : réduction de 9 Mt CO2-eq (voir l’historique ici)
- l’arrêt d’autres entreprises et l’amélioration énergétique (cependant souvent compensée par une augmentation des volumes de production, comme c’est le cas depuis 2012) : réduction de 5 Mt CO2-eq
- pour la production d’électricité, la cause n’est pas claire avec le gros de la diminution des GES qui a eu lieu avant 2012 alors que le renouvelable n’en était qu’à 1,6 TWh/an (3,7 TWh en 2020) et que le nucléaire a baissé en 2012 de 14% : réduction de 4 Mt CO2-eq
2030 l’étape décisive vers la neutralité climatique en 2050
Comme le montre la figure ci-avant, notre objectif long terme est de parvenir en 2050 à la neutralité climatique, c’est-à-dire à aucune émission nette.
2030 est l’étape intermédiaire décisive qui doit permettre d’engranger les réductions de GES les plus faciles. La Déclaration de Politique Régionale du gouvernement wallon de 2019 était cohérente par rapport à cette nécessité. Elle visait pour 2030 à réduire de 55% nos émissions par rapport à 1990. Concrètement, il s’agit d’atteindre 25 Mt CO2-eq, c’est-à-dire une réduction de 32% par rapport à 2019 qui totalise 37 Mt CO2-eq.
L’objectif wallon doit s’inscrire dans l’objectif belge
Les objectifs climatiques sont difficiles à suivre, surtout en Belgique. La figure suivante tente de les résumer. Il est important de distinguer le niveau de pouvoir, mais également s’il porte sur toutes les émissions du territoire (global) ou bien sur un des deux grands domaines définis par l’Europe . L’ETS est le domaine des industries, des entreprises et de la production d’électricité, tandis que l’ESR est tout le reste : transport, logement, tertiaire, agriculture, déchets. Enfin, l’Europe et chaque état membre sont en train de renforcer leur ambition climatique, via le fameux « Pacte vert pour l’Europe » et son plan « Fit for 55 ». La dernière subtilité concerne les années de référence, soit 1990 soit 2005. Cette dernière est utilisée car certaines données ne sont pas disponibles depuis 1990 en Europe.
L’industrie : l’ETS et le prix du carbone
Le domaine « ETS » fait référence au « Emission Trading Scheme » ou « Système d’Echanges de Quotas d’Emissions » de carbone (SEQE) en français.
Directement contrôlé par l’Europe et hors de contrôle des états, l’ETS s’est accompagné de la création d’un marché du carbone qui a mis un prix au carbone émis par les industriels. L’Europe est en cours d’augmentation de l’ambition sur ce domaine de -43% à -61% d’émissions en 2030 par rapport à 2005. Par ailleurs, le prix du carbone a augmenté depuis 2021 de 20 € à 90 € la tonne de CO2 échangée, assurant enfin son rôle, après des années d’excès de quotas gratuits distribués aux entreprises. Mentionnons que la diminution des quotas gratuits a démarré en 2019 et doit s’accompagner du mécanisme de compensation carbone aux frontières (CBAM) pour éviter la délocalisation d’activité, ce qui est en âpres discussions, notamment avec l’OMC .
D’après nos calculs, le gouvernement entendait dans sa précédente vision du plan climat demander à l’industrie de baisser ces émissions de 32%/2005. Cela semble important. Mais c’est oublier deux choses. Tout d’abord, cet objectif a été atteint dès 2010 principalement par la fermeture de nos aciéries. Et malgré cela, ce chiffre demeure bien inférieur à ce que demande l’UE en moyenne au secteur industriel (-61%/2005). Dans ces conditions il semblerait inacceptable que la Wallonie ne fixe pas un objectif bien plus important au secteur industriel.
Hors industrie, le secteur ESR
Le second domaine « ESR » vient de l’anglais « Emission Sharing Regulation », c’est-à-dire à le règlement du « partage de l’effort » entre les états membres. Il couvre tous les secteurs hors industrie : transport de personnes et de marchandises, logement, agriculture, tertiaire (public et privé), la gestion des déchets (incinération) et les émissions de gaz fluorés. C’est là que se situent la plupart des leviers directement activables par les autorités wallonnes et belges.
Pour l’ESR, chaque pays doit apporter une contribution propre de réduction de GES en fonction de l’état de développement de son économie. L’Europe vise une moyenne à répartir entre tous les états membres (voir ci-dessous), en cours d’augmentation de -30% à -40%. La contribution belge est envisagée à -47%, à répartir entre les régions et communautés.
Juste avant la COP26, la Flandre a proposé en grande pompe sa contribution… la fixant à la moyenne européenne de -40%, bien loin des contributions des économies européennes développées à 50%. Les négociations inter-régionales sont en cours mais très difficiles sur cette base.
Aucun secteur ne diminue depuis 2012
Pour concevoir son PACE, la Wallonie doit identifier les priorités : les secteurs les plus émetteurs. On peut les voir dans la figure suivante par ordre d’importance (Mt CO2-eq) : l’industrie avec 11 Mt ; le transport avec 9 Mt, dont 2/3 pour la voiture et 1/3 pour les camions ; le logement avec 6 Mt ; l’agriculture avec 4,6 Mt et enfin la production d’électricité avec 3,6 Mt.
On remarque aussi que, non seulement les émissions globales sont stables depuis 2012, mais celles de tous les secteurs le sont aussi.
L’industrie et l’agriculture ne respectent pas la loi
Dans l’avant-projet de nouveau PACE reçu par IEW en 2021, la disparité d’ambition est très marquée entre les secteurs, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous. Transport, résidentiel, tertiaire et gaz fluorés visent des réductions de 40% jusqu’à 66%, tandis qu’industrie, production d’électricité et agriculture sont complètement épargnées par l’ambition.
Pour l’industrie et l’agriculture, la Wallonie ne respecte pas sa propre législation. La Wallonie s’est dotée en 2014 d’un décret Climat qui impose un budget carbone pour chaque secteur. Or l’industrie et l’agriculture n’en ont toujours pas aujourd’hui en 2022.
L’industrie aussi doit contribuer
Les fédérations industrielles défendent de ne rien imposer d’autre que le système européen ETS. Cependant le risque est double. D’une part, un secteur industriel qui n’est pas stimulé sera à la traine et perdra en compétitivité sur le marché européen. Tous les sous-secteurs industriels wallons stagnent en effet dans leur décarbonation depuis 2013 (figure ci-dessous). D’autre part, un manque de contribution de l’industrie imposera des efforts supplémentaires injustes aux ménages, à l’agriculture et au tertiaire.
Notre évaluation d’une contribution appropriée du secteur serait une réduction de 20% d’ici 2030, soit atteindre 8,7 Mt CO2-eq. Pour plus de détail, voir notre dossier.
L’agriculture est à la traine
La nouvelle version de l’application de la Politique Agricole Commune (PAC) au niveau wallon n’intègre aucune évaluation des émissions de GES. A politique actuelle, une évolution tendancielle est fort probable, qui nous amènerait à 4,3 Mt CO2-eq en 2030, au lieu des 3,2 Mt CO2-eq (soit -30% p/ 2019) que IEW a identifié comme contribution juste pour le secteur dans son dossier.
La moitié de ces émissions sont dues à l’élevage bovin intensif (fermentation entérique) et l’autre moitié à l’épandage d’engrais sur les sols agricoles. Sans oublier que les engrais de synthèse ont des émissions importantes à la fabrication (0,8 Mt CO2-eq/an en Wallonie), qui ne sont pas incluses dans le bilan agricole et qui sont en plus a priori difficilement décarbonables.
Les mesures à prendre sont donc claires : favoriser une réduction des cheptels via un élevage extensif en soutenant les éleveurs et diminuer sérieusement le recours aux engrais de synthèse.
Le gouvernement wallon doit arbitrer
Tout en assurant la justice sociale, la balle est à présent dans les mains de l’ensemble du gouvernement wallon. Ce chantier du siècle ne peut en effet pas être porté par un ou même quelques ministres. La coalition gouvernementale PS-MR-Ecolo doit porter de concert ce projet et le Ministre-Président en faire une cause nationale à l’échelle de la région.