Pollution de l’air et transports : le couple infernal

En 2006, l’organisation mondiale de la santé (OMS) chiffrait à 12.800 le nombre de décès annuels imputables à la pollution par les particules fines en Belgique[OMS, 2006: Health risks of particulate matter from long-range transboundary air pollution, page 92 – document téléchargeable [ici.]]. Sachant qu’approximativement 25% des particules fines sont imputables aux transports, 3.200 décès annuels sont induits par le trafic – soit environ quatre fois plus que ceux induits par les accidents de la route. Les réponses politiques sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? La réponse est clairement non, mais la complexité du dossier rend très difficile la définition d’une stratégie globale. La pollution de l’air est en effet un domaine terriblement complexe du fait de la multiplicité des polluants et des sources de pollution, de l’évolution de ces dernières et de la pluralité des niveaux de pouvoir impliqués. Petit tour d’horizon pour remettre les pendules à l’heure en cette période de salon automobile. Pour une information exhaustive sur cette question, vous pouvez consulter notamment ces articles du site sante-environnement.be

Les polluants

Les principaux polluants atmosphériques affectant la santé et imputables aux activités humaines peuvent être classés en six catégories.
(1) Les particules fines (PM). Particules de taille inférieure ou égale à quelques microns (généralement 10 µm maximum), elles sont usuellement répertoriées en fonction de leur taille (PM10 = particules de taille inférieure ou égale à 10 µm, PM2,5 = particules de taille inférieure ou égale à 2,5 µm). Les limites d’émissions de particules et de concentration atmosphérique sont généralement établies en masse. La masse étant grosso-modo proportionnelle à la troisième puissance de la taille, si une particule A est 10 fois plus grosse qu’une particule B, une norme « en masse » ne fait pas la différence entre une particule A et 1000 particules B. Or, plus une particule est fine, plus elle pénètre profondément dans le système pulmonaire. Son action y est double : irritation « mécanique » et pollution chimique. Les particules les plus fines (quelques millième de µm) « passent » dans le sang à travers les parois des alvéoles pulmonaires. La composition chimique des particules est dès lors fort importante en termes d’effets sanitaires. (voir aussi ici)

(2) Les substances acidifiantes. On retrouve sous cette appellation d’une part les oxydes d’azote (NOx) et le dioxyde de souffre (SO2), tous deux principalement issus de la combustion des combustibles fossiles et de l’industrie chimique (fabrication d’acides) et d’autre part l’ammoniac (NH3), principalement issu de l’agriculture (engrais azotés). Les émissions de SO2 ont fortement baissé ces 20 dernières années, en raison de normes de plus en plus strictes sur la teneur en soufre des carburants. Le NH3 présent dans l’air n’affecte pas la santé ; le SO2, gaz irritant, peut provoquer des affections respiratoires ; au sein des NOx, si le NO a peu d’effets, le NO2 affecte la fonction respiratoire et favorise une hyperactivité bronchique.
Dans les documents relatifs à la pollution atmosphérique en relation avec la santé, on se concentre souvent sur les seuls NOx (ou NO2) et l’on parle dès lors plus souvent d’oxydes d’azote que de substances acidifiantes, catégorie de polluants prise en compte lorsque l’on met la pollution en relation avec l’environnement naturel.

(3) Les composés organiques volatils (COV), dont font partie les hydrocarbures (HC). Les COV sont des composés organiques[[C’est à dire formés de carbone (C), d’hydrogène (H) et d’oxygène (O), éventuellement en combinaison avec l’azote (N), le soufre (S), le fluor (F), le chlore (Cl), …]] qui s’évaporent à température ambiante. Seuls l’hydrogène et le carbone interviennent dans la composition des HC.
Les COV proviennent de la combustion des énergies fossiles, mais également des solvants utilisés tant dans les processus industriels que dans les colles, vernis, peintures, … De la simple gêne à un effet cancérigène (c’est le cas du benzène par exemple) en passant par une diminution de la capacité respiratoire, les effets des milliers de substances de la famille des COV sont variés. (voir aussi ici)

(4) L’ozone troposphérique. Issue d’une réaction entre COV et NOX en présence de rayonnement ultraviolet, la molécule d’ozone (O3) peut provoquer des migraines, irritations de la gorge et des yeux, altération pulmonaire. On spécifie troposphérique pour différencier cet ozone présent « à hauteur d’homme » de l’ozone stratosphérique (mieux connu sous l’appellation « couche d’ozone »), les échanges étant quasi inexistants entre les deux (l’ozone produit au sol est dégradé avant d’atteindre les hautes altitudes).

(5) Le monoxyde de carbone (CO). Toxique puissant qui peut bloquer la fixation de l’oxygène par les globules rouges, le CO est issu de la combustion incomplète des combustibles. Il n’est réellement impactant sur la santé qu’en milieu fort confiné (espace fermé – il peut alors être mortel, centre urbain à fort trafic).

(6) Les polluants organiques persistants (POPs). Les POPS, composés à longue durée de vie, sont généralement présents en faibles quantités. Il s’agit par exemple des métaux lourds, des composés organiques organochlorés (notamment dioxines), des aromatiques polycycliques (HAP), … Les POPs sont principalement issus de procédés industriels ou de la combustion de matières organiques. A noter que cette dernière catégorie est peu mentionnée dans les communications relatives à la pollution atmosphérique.

Les sources de pollution

Les principales sources – tous polluants confondus – sont l’industrie (procédés et combustion), les transports, l’agriculture, le chauffage des bâtiments (résidentiel et tertiaire). L’industrie et l’agriculture sont des secteurs sur lesquels il est plus aisé d’agir que sur le résidentiel ou le transport (qui sont des sources diffuses par nature). Cela explique que, si les émissions des deux premiers secteurs sont en diminution régulières depuis une quinzaine d’années, ce n’est pas le cas pour les deux derniers, malgré des normes de plus en plus strictes sur les carburants et combustibles.

La pollution associée au chauffage des bâtiments peut être réduite en agissant sur la réduction de la demande (isolation des bâtiments), sur le transfert (vers des sources d’énergie moins polluantes) et sur l’amélioration de l’efficacité énergétique (remplacement des systèmes de chauffage). Quoique coûteuses et peu aisées à mettre en place de manière coordonnée, les solutions sont potentiellement applicables – et appliquées dans une certaine mesure.

En matière de transport, les choses sont moins simples. La réduction de la demande constitue encore et toujours un tabou. Le transfert vers d’autres sources d’énergie implique souvent l’achat d’un nouveau véhicule et peut entraîner d’autres dommages environnementaux. L’amélioration de l’efficacité énergétique est la seule voie suivie de manière structurelle. Las ! En la matière, le pouvoir politique se retrouve « prisonnier » de l’industrie automobile du fait du non-respect (en conditions réelles) des normes d’émissions des véhicules. En effet, les normes dites Euro qui fixent des seuils pour les émissions de CO, PM, NOx et COV des motos, voitures et camions sont parfaitement respectées lors des tests en laboratoire… mais les émissions réelles (sur route) peuvent être jusque plusieurs dizaines de fois plus importantes. En effet, si les émissions de CO2 (qui sont directement proportionnelles à la consommation) sont déjà largement sous-estimées (voir ici), celles des polluants locaux peuvent l’être encore plus en raison de la possibilité technique d’optimiser les systèmes de dépollution pour obtenir de bonnes performances en laboratoire sans affecter notablement la consommation. Les pouvoirs publics régionaux, qui doivent faire respecter les seuils de concentration atmosphérique, n’ont dès lors d’autre moyen d’action que la diminution drastique du nombre de kilomètres roulés – mesure qui constitue un tabou social !

La situation se complique encore du fait que des politiques de soutien de l’une ou l’autre filière (primes à l’achat de véhicules par exemple) peuvent s’avérer contre-productives suite à l’introduction de nouvelles technologies. Les motorisations diesel ont historiquement mauvaise presse en raison de leurs émissions de NOx et de PM plus élevées que celles des motorisations essence (lesquelles génèrent plus de CO). Cependant, en matière de PM, si les diesel émettent plus de particules en masse (en mg/km), il n’en est pas de même si l’on s’intéresse au nombre de particules émises. Les moteurs à essence émettent plus de particules ultrafines que les diesel – et ceci est particulièrement vrai pour les moteurs à essence à injection directe. Cette technique d’alimentation du moteur, appliquée de longue date aux moteurs diesel, est progressivement développée sur les moteurs à essence pour améliorer leur rendement énergétique et diminuer leurs émissions de CO2. Ceux-ci, de ce fait, émettent dix fois plus de particules fines (en nombre) que les moteurs diesel (voir à ce sujet ici et ici).

Les niveaux de pouvoir

Les normes de produit et normes de qualité de l’air pour les motos, voitures et camions sont fixées au niveau européen. Les normes de produit concernent tant les combustibles que les moteurs des véhicules. Ces points sont succinctement abordés dans les fiches 5, 12 et 13 et dans l’annexe technique du dossier « l’automobile en questions » téléchargeable ici.

Les normes de qualité de l’air sont définies dans la directive cadre 96/62/CE et dans ses directives « filles » de même que dans la directive 2008/50/CE (dite CAFE – clean air for Europe)[Tous les textes législatifs ainsi que de nombreuses autres informations sont disponibles sur le site CAFE de la DG Environnement de la Commission européenne à l’adresse suivante : [http://ec.europa.eu/environment/air/index_en.htm]]. Ce 19 décembre, la Commission Européenne a publié sa proposition pour une nouvelle stratégie européenne sur la qualité de l’air. Mais sa volonté de ne plus dépasser les normes définies par l’OMS à long terme n’est assortie d’aucune proposition de timing pour la révision de la directive sur la qualité de l’air ambiant. La Commission se limite à viser un respect des normes existantes à l’horizon 2020, et ne semble pas vouloir prendre le problème à bras le corps[ [http://www.env-health.org/resources/press-releases/article/heal-welcomes-health-objective-in ]] .

Le respect des normes de qualité de l’air incombe aux autorités nationales (ou régionales, comme dans le cas de la Belgique). Le nouveau plan fédéral sur la qualité de l’air figure dans le programme de travail de l’administration pour 2014 – alors que nous sommes sans nouvelle du plan wallon « air climat énergie ».
Les outils permettant de garantir le respect des normes de qualité de l’air sont entre les mains des pouvoirs nationaux, régionaux et locaux. A titre d’exemple, en matière de mobilité :

 contrôle de la demande : aménagement du territoire (régional/local), fiscalité (national/régional), aménagements des voiries et politiques de parking (local) ;

 transfert modal : développement des transports en commun (national/régional), fiscalité (national/régional), infrastructures (national/régional/local), …
Cette multiplicité d’intervenants, associée au transport des polluants par les vents, rend très difficile la mise en place de politiques réellement efficaces de lutte contre la pollution atmosphérique à l’échelle d’une région ou d’un pays.

Dépassements de seuils

Les directives européennes fixent des seuils de pollution de l’air à ne pas dépasser. Ces seuils se rapportent à deux types d’indicateurs : d’une part des valeurs annuelles moyennes de pollution et d’autre part des nombres de jours par an durant lesquels les pollutions dépassent certaines limites. En Belgique, la cellule inter-régionale CELINE a été mise en place dans le but de gérer de manière centralisée les différents réseaux de mesure de la qualité de l’air, de collecter les données et de maintenir une base scientifique commune. On trouve notamment sur son site toutes les informations en matière de dépassement des seuils définis dans les directives européennes.

Les informations relatives aux sources de pollution et dépassements de seuil dans les différents pays européens peuvent être trouvées sur le site de l’agence européenne de l’environnement (EEA) à cette adresse.

Alors, que faire ?

Seule une approche systémique des transports est à même d’apporter une solution durable au problème de leurs incidences sur la santé humaine. Une telle approche offre l’avantage de répondre aussi aux nombreuses autres incidences des transports telles que les émissions de gaz à effet de serre, la déplétion des ressources naturelles, les impacts des infrastructures sur les milieux naturels, les rejets de métaux lourds, huiles minérales et déchets ultimes, les accidents de la route, le bruit, le manque d’activité physique et d’autonomie des enfants, la confiscation de l’espace public au détriment d’autres fonctions – sans oublier les inégalités sociales en matière d’accès à la mobilité et d’exposition aux nuisances des transports.
Dans le cadre d’une telle approche systémique, il convient de changer fondamentalement le système de pensée dans lequel on travaille. La mobilité ne doit pas constituer une fin en soi mais un outil au service de l’accessibilité (aux lieux, aux biens, aux services, …). De plus, le contrôle de la demande doit perdre son statut de tabou. Il convient, pour cela, de se rappeler que, s’il existe dans nos sociétés démocratiques un droit de circuler librement, la mobilité automobile ne constitue qu’un moyen parmi d’autres d’exercer ce droit. Elle ne peut dès lors pas être considérée comme un « droit » en soi.
Une telle modification des schémas de pensée permettrait d’enfin adopter les nombreuses mesures permettant de limiter durablement les émissions des transports en générant une diminution du nombre de véhicules, de leur taille, de leur puissance, de leur vitesse, ainsi qu’une diminution du nombre de kilomètres roulés.