La Cour des comptes européenne (ECA « European Court of Auditors ») a récemment publié un rapport[Rapport de la Cour des Comptes Européenne sur la qualité de l’air [https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_23/SR_AIR_QUALITY_FR.pdf]][Rapport de la Cour des Comptes résumé en vidéo (EN): [https://www.youtube.com/watch?v=R0deLckNv9g ]] relatif à la pollution de l’air au sein de l’Union Européenne (UE). Dans les 57 pages qui le compose, la Cour formule des observations relatives à 6 villes européennes, dont Bruxelles, en termes de lutte contre la pollution de l’air en se focalisant principalement sur la Directive 2008/50/CE sur la qualité de l’air ambiant[DIRECTIVE 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32008L0050]]. Elle propose ensuite une série de recommandations. La Cour estime que, malgré les efforts fournis, l’action de l’UE visant à protéger la santé humaine demeure insuffisante en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.
I. Constats de la Cour des comptes
Constat n°1 « Les normes établies dans la directive sont trop peu contraignantes au regard des effets avérés de la pollution atmosphérique sur la santé »
D’après la Cour, la directive sur la qualité de l’air ambiant 2009 se base sur des normes qui étaient d’actualité il y a 15 ou 20 ans, dont certaines sont clairement en dessous des valeurs limites préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En outre, la directive autorise des dépassements fréquents des limites. Les calculs de mesure de qualité de l’air se faisant sur une période allant jusqu’un an, elle ne prend pas en compte de potentiels pics de pollution, notamment en hiver avec l’utilisation intensive de chauffages à bois. Cela implique que, sur une période mesurée d’un an, les chiffres peuvent paraitre bons en moyenne alors que la population a connu des moments de pollution bien au-dessus des normes.
Constat n°2 « La plupart des États membres n’ont pas efficacement mis en œuvre la directive sur la qualité de l’air ambiant et les dispositions régissant la mesure de la qualité de l’air laissent une latitude qui rend les vérifications difficiles à quoi s’ajoute que les plans relatifs à la qualité de l’air ne sont pas conçus de manière à permettre un contrôle efficace »
Dès le moment où les critères définis dans la directive manquent de précision, la Cour considère qu’il n’y a actuellement pas de garanties suffisantes que les États membres contrôlent la qualité de l’air aux endroits appropriés et pertinents tels qu’à proximité des grands sites industriels ou des principales voies de circulation urbaines. En outre, la directive accorde aux États membres un délai de transmission des données moins contraignant que celui qu’imposent les instructions de l’OMS puisqu’ils ont jusqu’au 30 septembre, soit 9 mois après la période de mesure pour partager les résultats de ces mesures.
Constat n°3 « Le contrôle de la conformité par la Commission se heurte à certaines limites, et la prise de mesures coercitives demande beaucoup de temps »
Non seulement la conception des plans relatifs à la qualité de l’air est habituellement un travail de longue haleine, mais une fois réalisés, ils courent sur 4 ou 5 ans, sans obligation pour les Etats de rendre compte de leur réalisation ou de les actualiser en cours de route. Ces plans doivent uniquement être mis à jour une fois expirés.
En termes de contrôle de conformité, la Cour estime que certaines dispositions de la directive se prêtent difficilement au contrôle de leur respect. A titre d’exemple, il est très difficile de quantifier la quantité et la qualité d’informations transmises au public.
La longueur de la procédure de sanction est aussi pointée du doigt par la Cour. La Commission européenne poursuit en effet les États membres devant la Cour de justice de l’Union européenne après un long dialogue, pouvant s’étaler sur 2 ans, uniquement si elle conclut que l’État membre a manqué à son devoir de proposer des mesures suffisamment ambitieuses et convaincantes.
Constat n°4 « Certaines politiques de l’UE ne tiennent pas suffisamment compte de l’importance de la pollution atmosphérique et le financement apporté par l’UE est utile, mais n’est pas toujours ciblé »
La Cour relève que les politiques menées par l’UE en matière de climat, d’énergie, de transports, d’industrie et d’agriculture comportent des éléments susceptibles de nuire à la qualité de l’air. Pourtant, l’UE est loin d’adopter une approche systémique lors de la conception des lois dans ces différents domaines.
Le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds de cohésion et le programme LIFE sont les principales sources de financements pour la qualité de l’air. La Cour indique que les projets LIFE sont généralement bien utilisé pour aider les citoyens à engager des actions destinées à l’amélioration de la qualité de l’air à travers l’Europe. Cependant, les 2 autres fonds ne permettent ni de cibler suffisamment les projets financés par l’UE, ni de servir d’appui aux plans des États membres.
Constat n°5 « L’action des citoyens joue un rôle croissant mais la directive ne protège pas expressément les droits du public en matière d’accès à la justice et les informations sur la qualité de l’air manquent parfois de clarté. »
La Cour souligne aussi que les citoyens se sont de plus en plus intéressés aux questions liées à la qualité de l’air et que, dans plusieurs États membres, des juridictions nationales ont rendu des décisions reconnaissant leur droit à l’air pur. Cependant, contrairement à d’autres directives relatives à l’environnement, celle sur la qualité de l’air ambiant ne comporte pas de dispositions spécifiques qui garantissent le droit des citoyens à accéder à la justice, conformément à la convention d’Aarhus. De plus les informations sur la qualité de l’air mises à la disposition des citoyens manquent parfois de clarté, notamment du fait que les formes d’évaluation de qualité de l’air varient en fonction des pays et des villes. Les États membres, régions et villes définissent chacun à leur façon les indices de qualité de l’air, de sorte que, pour une même qualité d’air, les évaluations seront différentes, comme observé dans le tableau ci-dessous extrait du rapport.
II. Recommandations de la Cour des comptes
Dans un premier temps, la Cour recommande « une action plus efficace de la part de la Commission ». D’une part, au travers du partage de bonnes pratiques des États membres dont les plans relatifs à la qualité de l’air ont été plus exigeants et de meilleure qualité[[Par exemple, Bruxelles est cité comme un exemple dans le développement des notifications lors des pics de pollution (SMS, courrier électronique ou autres) envers ses citoyens]]. D’autre part, en gérant activement chaque étape de la procédure d’infraction ou en saisissant la Cour de Justice Européenne dans un délai plus court.
A moyen terme, d’ici 2022, la Cour plaide en faveur d’« une révision ambitieuse de le directive sur la qualité de l’air ambiant de manière à s’aligner sur les plus récentes lignes directrices de l’OMS; de réduire le nombre de dépassements des valeurs standards autorisés pour les particules (PM), le dioxyde d’azote (No2), le souffre (So2) et l’ozone (O3) et d’établir une valeur limite à court terme pour les particules fines (PM 2.5), ainsi que des seuils d’alerte pour les particules ». Cela inclut une amélioration, ainsi qu’une actualisation chaque fois que cela s’avère nécessaire, des plans relatifs à la qualité de l’air. La Cour insiste aussi sur la nécessité de préciser les exigences relatives au choix de l’emplacement et au nombre des stations de mesure de la pollution industrielle et de la pollution par la circulation.
Par ailleurs, la Cour souhaite que, d’ici 2022, l’UE « intègre la qualité de l’air en tant qu’aspect prioritaire dans les politiques de l’UE » en procédant, notamment, à des évaluations des autres politiques comportant des éléments susceptibles de nuire à la qualité de l’air.
Enfin, elle souligne la nécessité d’« améliorer la sensibilisation et l’information du public » au travers d’une variété de mesures. Premièrement, en assurant une meilleure compilation des données et un meilleur partage d’informations vers les citoyens grâce à une collaboration avec les professionnels de la santé. Ensuite, la Commission européenne doit apporter son soutien aux États membres pour qu’ils adoptent de bonnes pratiques en matière de communication et participation citoyenne, notamment en publiant des classements des zones de contrôle de la qualité de l’air. De plus, la Cour suggère de développer des outils en ligne qui permettraient d’informer le public et leur permette de notifier directement les violations des normes de qualité de l’air.
III. Que pensez de ce rapport de la Cour ?
Inter-Environnement Wallonie salue ce rapport de la Cour de Comptes et partage une grande majorité des constats et suggestions qui y sont formulés. Ce rapport tombe d’autant plus à point nommé qu’un processus de révision de la directive sur la qualité de l’air ambiant est actuellement en cours. Aussi, il est important que la directive révisée intègre les recommandations faites dans l’analyse proposée par la Cour. Cela étant, aux yeux d’IEW, l’amélioration de la qualité de l’air est un enjeu qui s’étend bien au-delà de la cette seule directive puisque cela implique, par exemple, le respect de la directive 2016/2284 sur les émissions nationales de certains polluants atmosphériques[[DIRECTIVE (EU) 2016/2284 du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, modifiant la directive 2003/35/CE
et abrogeant la directive 2001/81/CE]].
La Fédération insiste également sur l’absolue nécessité d’inclure les citoyens et la société civile dans ce processus d’amélioration de la qualité de l’air. Bien que des normes plus strictes soient indispensables comme en atteste le rapport, la conscientisation collective a aussi une place importante à prendre. Si les autorités peuvent édicter des règles contraignantes, il importe également d’inciter les gens à développer des comportements davantage raisonnés et raisonnables pour réduire, voire supprimer les émissions qui polluent notre quotidien et, in fine, notre air ambiant (pesticides, particules fines issues des systèmes de chauffages, des véhicules, etc.).
Enfin, afin d’assurer l’efficacité du contrôle du respect des normes et améliorer le partage d’informations envers le citoyen, il serait intéressant de créer un organe centralisé tel que l’« Agence Européenne de la qualité de l’air ». Elle s’assurerait à la fois de la bonne implémentation et du respect des différentes directives européennes mais fonctionnerait aussi comme un organisme consultatif majeur pour la Commission lors de ses Fitness Check et autres procédures consultatives. Cette agence européenne fonctionnerait en étroite collaboration avec les agences nationales.