Chroniquement mises à mal dans un contexte dominé par la pensée libérale, les finances publiques ont du mal à se maintenir à un niveau décent pour assumer les charges collectives qui leur reviennent. L’examen de certains subsides et leur réévaluation (voire leur suppression) au regard des enjeux actuels permettraient d’apporter une bouffée d’air frais et autoriseraient le développement de politiques publiques mieux adaptées aux priorités : défis énergétiques et climatiques, maintien de la biodiversité… dans un contexte de justice sociale renforcée.
Communément appelés « subventions à la pollution », les subsides dommageables à l’environnement sont de véritables incitants à polluer, résultant des politiques d’aides publiques peu réfléchies. Celles-ci peuvent revêtir différentes formes[CERNA, 1999, [Les subventions à la pollution.]] : tantôt subvention directe (paiement direct de l’État pour soutenir la production, la vente ou l’achat d’un bien), tantôt crédit d’impôt (exemptions aux règles générales de la fiscalité qui sont accordées au bénéfice d’un secteur, d’une activité ou d’une catégorie d’usagers[[Citons par exemple les exonérations et allègements de TVA, les déductions d’impôts, les crédits d’impôts ou encore l’exemption de certaines taxes.]] ou encore non-paiement par l’usager de l’entièreté du coût de certains « services » publics sources d’activités polluantes (les infrastructures de transport routier par exemple).
Ces subventions grèvent inévitablement les budgets publics. En 1997, l’OCDE estimait le coût annuel de ces aides à 100 milliards d’euros, soit 0,75 % du PIB[[OCDE, 1997, Réformer les subventions à l’énergie et aux transports, implications environnementales et économiques.]].
Lors du dernier examen environnemental de la Belgique (Examens environnementaux de l’OCDE : Belgique, 2007), l’organisation avait préconisé de mettre fin à ses subsides préjudiciables à l’environnement, arguant que « un certain nombre d’allègements fiscaux entraînent des effets pervers sur l’environnement ». Trois ans se sont écoulés sans que le moindre effet de la recommandation n’ait vu le jour.
En matière d’énergie
En 2001 en Europe, les subventions en matière d’énergie allaient à 75% aux énergies fossiles, dont une large part au charbon. En 2004, ces mêmes énergies fossiles étaient subsidiées à concurrence de 24 milliards d’euros pour 5,3 milliards aux énergies renouvelables. Au total, on estime à 500 milliards de dollars le montant des subsides alloués chaque année dans le monde aux énergies fossiles, soit 1% du PIB mondial.[Extrait de l’article [Supprimer les subventions dommageables à l’environnement ? Oui, mais… paru en avril 2010 sur le site d’IEW.]]
Au niveau de la Belgique, les « windfall profits » (bénéfices illégitimes consécutifs à un amortissement accéléré des centrales nucléaires) et le différentiel d’accises entre le diesel et l’essence peuvent être considérés comme des subventions en matière d’énergie. Le fait que le kérosène ne soit toujours pas taxé en est une autre.
Les windfall profits
Les belges ont été mis à contribution pendant plus de 30 ans pour rembourser anticipativement les investissements dans le secteur électrique nucléaire. L’amortissement des centrales est aujourd’hui réalisé, mais les contributions restent d’application et en 2025, elles s’élèveront, selon les estimations de la CREG (Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz), à plus de 11 milliards d’euros (de 1,75 à 1,95 milliards d’euros/an)… de bénéfice net pour l’entreprise privée Electrabel/Suez.
De tels montants permettraient la mise sur pieds immédiate de politiques publiques efficaces notamment dans le secteur de l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements. La Fédération IEW recommande par exemple un montant de 100 millions d’euros/an destinés à l’amélioration de la performance énergétique des logements wallons[Extrait de la position d’IEW sur les mesures fiscales et autres incitants en matière d’investissements économiseurs d’énergie dans les logement, [Résoudre la question des économies d’énergie dans le résidentiel d’ici 2030, juin 2009.]].
Accises diesel-essence
Un différentiel important entre les accises sur le diesel et l’essence existe toujours chez nous. Il est à l’origine de la forte « diésélisation » de notre parc automobile. Pourtant, sur le plan environnemental, rien ne justifie la chose, bien au contraire : les émissions du diesel que ce soit de CO2 (2,63 kg/l pour le diesel, contre 2,36 kg/l pour l’essence), ou de polluants locaux – exception faite du monoxyde de carbone – sont supérieures à celles de l’essence par litre brulé. Aligner les accises du diesel sur celles de l’essence (augmentation de l’ordre de 4 cents au litre) – mesure prônée de longue date par la mouvance environnementale – générerait 240 millions d’euros (sur base de la consommation annuelle de diesel en Belgique, soit 6 milliards de litres). Et, si l’on augmente de 4 autres cents en 2011, les recettes générées atteindraient 285 millions d’euros. Voilà qui par exemple permettrait d’assurer au niveau de la mobilité des personnes et des marchandises un solide transfert modal salutaire pour notre santé (physique et mentale) et celle de la planète.
En matière de transport
Les subventions à la pollution dans le domaine du transport sont légion. Le régime fiscal favorable auxquelles sont soumises les voitures de société, les subsides octroyés au secteur aérien et les investissements dans de nouvelles capacités routières en sont quelques exemples.
Les voitures de société bénéficient d’un régime fiscal de faveur qui coûte 4,1 milliards d’euros à l’État belge, soit 1,2 % de son produit national brut (étude du bureau Copenhagen Economics commandée par la Commission européenne, 2010). Qu’il s’agisse avant tout d’une manière pour les entreprises d’éluder un impôt sur le travail considéré comme fort élevé dans notre pays ne justifie en rien une telle faveur au coût environnemental conséquent. Les véhicules de société, de plus grosses cylindrées que la moyenne du parc, parcourent également plus de kilomètres. Étant en outre moins chères (de 4.000 à 8.000 euros) que les voitures privées, elles contribuent à l’augmentation inquiétante de ce parc (nombre de voitures vendues). L’annulation de cet avantage permettrait par exemple au nouveau gouvernement de dégager des fonds pour réduire le déficit de l’État ou diminuer le coût du travail, mais aussi pour améliorer la qualité de l’air, pour assumer ses engagements en matière de climat ou encore pour décongestionner quelque peu le réseau routier belge (à titre indicatif, 37 % des véhicules circulant à Bruxelles en 2003 étaient des voitures de société).
Le transport aérien est lui aussi destinataire privilégié de subsides contestables dont bénéficient tant les compagnies que les gestionnaires d’aéroports. La manne publique dont jouit par exemple la compagnie low-cost Ryanair est estimée à environ 660 millions d’euros en Europe (aides au démarrage, ristournes sur l’assistance aux escales ou sur les redevances aéroportuaires). En Wallonie, la compagnie a bénéficié d’aides substantielles, dont l’octroi, en 2001, d’un tarif préférentiel pour les redevances d’atterrissage à Charleroi d’un euro par passager embarqué, soit une réduction de 50 % environ sur le tarif public fixé par arrêté publié au Journal Officiel. On estime que la « facture aéroportuaire » wallonne dépasse le milliard d’euros.[[Extrait du dossier Les limites du ciel – Enjeux du développement incontrôlé du transport aérien, d’IEW, décembre 2008, pp.20-21.]]
Que dire encore des investissements routiers qui au niveau régional, s’élèvent à quelques 180 millions d’euros par an et ne sont que partiellement pris en charge par les utilisateurs de la route par le biais des taxes automobiles. Au niveau communal, d’après l’Union des Villes et Communes de Wallonie (UVCW), « les travaux de voiries représentants 12,5 % des budgets communaux, soit plus de 480 millions d’euros par an ».[[Extrait de l’article Mobilité, infrastructures, budgets publics : faits, chiffres et… questionnements ! paru sur le site d’IEW, juillet 2008.]]
En matière d’agriculture
L’agriculture est l’une des activités les plus traditionnellement aidées. Or, elle n’est pas sans conséquences sur l’environnement : pollution par les nitrates de l’eau, érosion des sols agricoles et gestion des boues en aval, production du méthane par les bovins, pour ne citer que quelques exemples. Si des aides sont nécessaires pour assurer le maintien de l’activité agricole, elles devraient être davantage balisées pour répondre au mieux aux enjeux environnementaux.
Historiquement, le mécanisme de soutien agricole reposait sur la fixation d’un prix réglementé au-dessus du cours mondial, accompagnée de garanties à l’achat des excédents de production et de versement de restitution aux exportations. Il garantissait aux agriculteurs des prix stables, rémunérateurs (au-delà des prix mondiaux) et incitatifs pour les produits concernés. Ce mécanisme de subvention par les prix, fortement critiqué à l’époque (notamment par les pays tiers), n’a aujourd’hui plus court. Autrefois attribuées en fonction de la production, les aides agricoles sont désormais basées sur les superficies et conditionnées à un certain nombre d’exigences réglementaires en matière d’environnement, de santé et de bien-être animal ainsi qu’au maintien des terres consacrées aux pâturages permanents et au respect des bonnes conditions agricoles et environnementales (lutte contre l’érosion, protection de la biodiversité, …).
Sur le volet environnemental, cette règlementation implique donc le respect par tout agriculteur des dispositions relatives à la conservation des sites Natura 2000, à la protection des eaux contre la pollution par le nitrate et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ainsi qu’au disposition relatives au bien-être des animaux. La conditionnalité est très souvent décriée, et à juste titre, par le secteur agricole notamment pour l’interprétation très pointilleuse des exigences relatives à l’hygiène des denrée alimentaires, incompatibles avec une production artisanale. Mais si ce champs de la conditionnalité est réellement excessif (sous l’autorité de l’Agence Fédéral pour la sécurité de la chaine alimentaire), celles relatives à l’environnement, gérée par les Régions, sont encore nettement insuffisantes. Le niveau de contrainte environnementale est relativement faible par rapport au montant des aides octroyées aux agriculteurs et ses subvention ne sont pas conçue pour faire évoluer les modes de production agricoles vers une meilleure prise en compte de l’environnement.
Plus globalement, même si les réformes successives de la PAC (Politique Agricole Commune) ont veillé à intégrer des considérations environnementales, force est de constater que celles-ci ne représentent que 20 % de l’enveloppe globale, ce qui est clairement insuffisant.
Un effort important est donc nécessaire pour éviter que les aides agricoles ne soient octroyées au détriment de l’environnement. Pour cela, deux options sont possibles : renforcer la part du budget au profit des mesures favorables à l’environnement (aide à l’agriculture biologique, biodiversité, … ) ou mieux encore renforcer la conditionnalité de ces aides via le respect de pratiques agricoles plus responsables à l’échelle de l’exploitation d’une part et en dédicaçant au sein de chaque exploitation, un taux minimal de surface de prestation environnementales d’autre part. Ces surfaces seraient dédiées à la protection de l’eau, des paysage et de la biodiversité, une manière d’inciter chaque agriculteur à s’impliquer dans la protection de l’environnement. Cette option est celle adoptée en France suite au grenelle mais il importe qu’elle soit renforcée au niveau européen.
Enfin, le soutien à l’agriculture devrait progressivement être réorienté vers un soutien à une alimentation plus durable, à l’échelle des territoires. Les aides ne seraient plus attribuées à l’agriculture mais bien aux collectivités locales dans le cadre de plan d’approvisionnement de la restauration collective. Les aides bénéficieraient donc toujours aux agriculteurs mais le cadre d’une production de qualité « négociée » avec les territoires concernés dans l’esprit d’une alimentation durable.
Vers une réforme des subventions dommageables à l’environnement (SDE) ?
On le voit donc clairement : qu’il s’agisse du système d’exemption de taxes pour les agrocarburants en Allemagne, de la taxation différentiée du diesel et de l’essence sans plomb en Belgique, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, des subventions à l’irrigation en Espagne ou à la production d’énergie nucléaire en Allemagne, les moyens mis en ½uvre par les États européens pour soutenir un secteur ou accorder des avantages aux consommateurs ont parfois des conséquences négatives non négligeables sur l’environnement. Consciente de ce fait depuis plusieurs années, la Commission européenne a voulu se doter d’une méthodologie pour identifier, analyser et, à terme, réformer les subventions en cause.
Première étape donc, travailler cette méthodologie d’identification et d’évaluation. Le rapport détaillé de l’étude commandée par la Commission est en ligne depuis mars 2010.
En mobilisant ses forces pour reprendre en main le dossier des SDE, la Commission répond avant tout au contexte actuel de crise financière, poussant les États à revoir leurs budgets et augmenter leurs revenus. « Faire disparaître des SDE permettrait de créer des revenus, de réduire les émissions de CO2 et d’autres impacts environnementaux. »
La crise apportait une opportunité unique de restructurer fondamentalement l’économie, de l’ancrer dans le durable en travaillant les investissements permettant une transition vers une économie à basse intensité carbone. Les auteurs de l’étude concluent à une occasion manquée.
Les visions « court-termistes » l’ont emporté une fois de plus et aucune reformulation profonde de l’utilisation de l’argent public n’a été proposée.
Les Ministres de l’environnement appellent pourtant la Commission à réviser les SDE de manière urgente, secteur par secteur, et à les éliminer graduellement. Les révisions à venir de la Stratégie en faveur du développement durable et de la Stratégie de Lisbonne pourraient également être l’occasion de (enfin) réformer ces subsides dommageables à l’environnement, tout en s’inscrivant dans les priorités politiques de la Commission européenne.
L’auteur de cet article remercie vivement Alain Geerts et Lionel Delvaux pour leur relecture avisée.
Extrait de nIEWs 80, (du 30 septembre au 14 octobre 2010),
la Lettre d’information de la Fédération.
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