Le 20 mars dernier, la publication du rapport de synthèse a clôturé le 6ème rapport d’évaluation du GIEC. Un moment important de visibilité pour le dérèglement climatique. Comme on le sait, les nouvelles ne sont pas bonnes. Comment agir ? L’efficacité, les énergies renouvelables et la sobriété sont les pistes privilégiées par les scientifiques. Pourtant, cette dernière est le plus souvent absente des discussions. Prenons l’exemple d’un secteur très émetteur de gaz à effet de serre : le bâtiment.
2015, Paris. L’ensemble des pays assistant à la COP 21 approuve un consensus historique. L’Accord de Paris les engage tous à « maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en deçà de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et poursuivre les efforts visant à limiter la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels »1. Huit ans plus tard, le constat posé par les chercheurs est amer. D’une part, ce que les pays mettent en place pour atteindre leur contribution nationale n’est pas suffisantr. D’autre part, la somme des contributions nationales est largement insuffisante par rapport à une trajectoire limitant le réchauffement à 1,5°C2.
Le secteur du bâtiment
Le constat est posé, mais comment faire ? Il faut absolument agir à tout niveau, que ce soit au niveau de l’alimentation, du transport, du secteur du bâtiment ou encore de l’industrie. En Wallonie, le chauffage du bâtiment comptait en 2020 pour 20 pourcents des émissions de gaz à effet de serre, résidentiel et tertiaire compris. Cela en fait le troisième secteur le plus émetteur, derrière l’industrie (31 pourcents) et la mobilité (22 pourcents).
Quand on parle de l’impact du bâtiment sur le climat, les solutions qui émergent sont presque systématiquement liées à une recherche d’efficacité et aux énergies renouvelables. Mais une troisième voie, peu discutée et pourtant pleine de potentiel, existe : la sobriété. Celle-ci est définie par les experts du GIEC comme « un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter la demande en énergie, matériaux, terres et eau, tout en assurant le bien-être de tous dans les limites de la planète »3.
Comprenons bien la différence entre l’efficacité et la sobriété : « La sobriété est une question d’actions à long terme basées sur des solutions non technologiques, qui consomment moins d’énergie en termes absolus. L’efficacité, en revanche, consiste en des améliorations technologiques continues et à court terme »4. Si des mesures d’efficacité permettent théoriquement des diminutions significatives d’émissions de gaz à effet de serre pour un même bâtiment, les économies d’énergie sont souvent en partie compensées par l’effet rebond. Un gain d’efficacité résultant en une diminution des coûts d’énergie, il entraîne souvent également une consommation accrue. Le GIEC note par exemple que dans la plupart des régions, les améliorations liées à l’efficacité ont été compensées par une augmentation de surface au sol par habitant. Au total, la consommation ne diminue donc pas ou peu.
La sobriété en pratique
C’est là que la sobriété entre en jeu. Celle-ci est nécessaire en appui aux mesures d’efficacité et d’utilisation d’énergies renouvelables en limitant la demande en énergie et en matériaux. Quelques exemples pratiques de mesures de sobriété dans le bâtiment ? La crise énergétique de cet hiver a beaucoup joué pour mettre en avant les changements d’habitude. L’ADEME a par exemple calculé une économie d’environ 7% de la consommation en diminuant d’un degré la température des bâtiments. L’inspirant projet Slow Heat, issu de chercheurs de l’UCLouvain, met également en avant l’inutilité de chauffer les pièces en entier alors que le besoin de chaleur est centré autour des occupants.
La conception bioclimatique, qui optimise l’usage de solutions inspirées de la nature, est une autre piste de sobriété dans le secteur du bâtiment. Pour lutter contre la surchauffe estivale par exemple, la ventilation est loin d’être la seule solution existante. En s’assurant que le bâtiment ait suffisamment d’inertie thermique, bénéficie d’ombrage pour protéger certaines fenêtres des rayons du soleil, ou encore utilise les arbres et plantes, on peut éviter une hausse trop importante des températures à l’intérieur.
La compacité de l’habitat, la multifonctionnalité de l’espace grâce à des espaces partagés pour permettre d’adapter la taille des bâtiments aux besoins changeant des ménages, la réaffectation de buildings inoccupés sont d’autres pistes. La « brique dans le ventre », le manque de mobilité résidentielle ou le modèle de logement « 4 façades » doivent absolument être questionnés, comme expliqué dans cette carte blanche, rédigée par des collègues de Canopea. Enfin, l’usage circulaire des matériaux est une nécessité.
Les mesures de sobriété ont un faible coût et un grand potentiel. Au niveau mondial, jusqu’à 17 % du potentiel d’atténuation dans le secteur du bâtiment pourrait être capturé d’ici 2050 grâce à des mesures de sobriété3.
La sobriété, grande absente du PACE !
Ramenons le débat en Wallonie. Le Plan air-climat-énergie wallon pour 2030 a été approuvé en seconde lecture le 21 mars. Quelles y sont les mesures liées au bâtiment ? Et surtout, se répartissent-elles dans les trois catégories : sobriété, efficacité et renouvelable ?
C’est au niveau de l’efficacité que les mesures sont les plus radicales. En effet, un calendrier de mise en place d’obligations de rénovation a été approuvé. Par exemple, les biens de PEB F ne pourront plus être loués, en cas de changement de locataire, à partir de 2027. Pour réussir un tel défi, le gouvernement devra mettre en place de nombreux mécanismes de soutien et d’accompagnement.
S’il n’y a pas d’obligation stricte d’installation de sources d’énergie renouvelable, plusieurs mesures y sont liées. L’interdiction d’installer des chaudières au mazout à partir de 2026 en fait partie, afin de favoriser des systèmes renouvelables (pompe à chaleur, chauffe-eau solaire, chaudière biomasse,…) ou un raccordement à un réseau de chaleur.
Par contre, le PACE passe complètement à côté de l’enjeu de la sobriété, en ne prévoyant aucune mesure liée. Ce plan nous prive donc d’un axe efficace, en misant tout sur les deux autres axes, plus compliqués et coûteux à mettre en place (mais bel et bien absolument nécessaires eux aussi).
Un autre point de vue sur la sobriété
Pour conclure, revenons un instant sur un point important de la définition de la sobriété : « un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter la demande en énergie, matériaux, terres et eau, tout en assurant le bien-être de tous dans les limites de la planète ».Si la sobriété permet de réduire la pression sur les ressources naturelles et autres limites planétaires, elle vise également à permettre à tous d’accéder à un niveau suffisant de consommation pour assurer le bien-être. Les mesures de sobriété permettent donc de reconnaître l’équité comme un principe directeur. Ainsi, elles ne visent pas à diminuer encore plus le confort des ménages précarisés, mais simplement, question de bon sens, de limiter le superflu de ceux qui peuvent se le permettre.
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