Pour faire face à la triple dette à laquelle la Belgique fait face, à savoir sur les plans budgétaire, social et environnemental, notre pays ne peut qu’augmenter ses impôts. C’est du moins en substance le message donné par les économistes Etienne de Callataÿ et Bruno Colmant dans leur récent ouvrage intitulé « L’impôt en Belgique après la crise ». La Fédération Inter-Environnement Wallonie se réjouit que ces deux économistes de renom osent briser les tabous et appeler à une véritable réforme de notre fiscalité, quitte à bousculer les esprits et les idées reçues. Au nom d’une justice fiscale et environnementale.
Une triple dette ? Il s’agit tout d’abord d’une dette publique, laquelle frise pour l’heure 100 % du PIB, mais également d’une dette sociale imputée au paiement des pensions et, last but not least, une crise écologique liée à la dégradation de l’environnement. Et le constat porté par les deux auteurs n’est guère réjouissant :« La crise financière n’a servi que de révélateur à une immense dette publique, héritée des années septante, augmentée d’une explosion des dépenses de santé et de pensions. Le délitement budgétaire risque de générer des tensions générationnelles dès lors que la vague du coût du vieillissement va submerger les finances publiques. Or rien ne dit que les générations suivantes accepteront de servir de variable d’ajustement aux pensions de celles qui les ont précédées, ni même qu’elles seront en état de le faire».
Hausse des recettes fiscales, sinon rien
D’après Bruno Colmant, professeur à l’UCL et à la Vlérick School, et Etienne de Callataÿ, économiste en chef à la banque Degroof et chargé de cours aux FUNDP et à l’UCL, la situation budgétaire à laquelle la Belgique doit faire face est exceptionnelle. Une sortie de crise ne permettra selon eux pas à faire reculer le déficit, profond et structurel, que notre pays présente. Et de rajouter que sans hausse de recettes fiscales, il sera difficile de s’en sortir. Le ton est donné.
Or, lors des précédentes années, voire décennies, c’est tout l’inverse que l’on a observé en Belgique. «Les années d’avant la crise ont été autant d’occasions manquées en matière de fiscalité», regrette Bruno Colmant. «Les réformes de l’IPP (impôts des personnes physiques) et de l’Isoc (impôts des sociétés) n’ont pas été envisagées dans le cadre d’une remise à plat globale d’un système fiscal devenu aussi injuste qu’inefficace, au fil des détricotages», en témoignent par exemple les intérêts notionnels et autre précompte mobilier libératoire si chers à notre Vice-Premier Didier Reynders.
S’agissant de l’IPP, nos deux économistes appellent à revenir au principe fondamental du modèle fiscal belge bâti en 1962 dans un contexte de redistribution des moyens et d’alignement des contributions fiscales propre au pacte social d’après-guerre. Ce modèle, devenu aujourd’hui l’ombre de lui-même, préconisait une globalisation des revenus. Ainsi, l’ensemble des revenus d’un contribuable, que ceux-ci soient issus du travail ou de l’épargne, devait constituer une base imposable. On en est bien loin aujourd’hui…. Colmant et de Callataÿ plaident dès lors, et ce tant pour des motifs d’équité que d’efficacité, pour que les efforts qui seront demandés à tous les Belges (cf. contexte d’austérité qui plane sur toute l’Europe) soient proportionnels à leur capacité contributive. Bref, un retour en arrière puisque «aujourd’hui, les revenus mobiliers et immobiliers sont taxés de manière presque autonome. Et les revenus professionnels sont presque les seuls à subir une progressivité trop rapide» , ajoute Bruno Colmant.
Pour une TVA sociale
Face aux cotisations sociales, jugées trop élevées en Belgique et décourageant de ce fait l’engagement des travailleurs, les deux économistes suggèrent de sensiblement les porter à la baisse et, en contre-partie, d’augmenter la TVA (surtout sur les produits polluants). Le débat fait actuellement rage chez nos voisins français, la Commission Attali (également connue sous la dénomination «Commission pour la libération de la croissance»), chargée par le Président Sarkozy de trouver des pistes de sortie de crise, préconisant un rééquilibrage de la fiscalité où la baisse des charges salariales seraient compensée par une hausse de la TVA sociale. Etienne de Callataÿ paraît séduit par l’idée : «ainsi conçue, la TVA sociale n’est pas un mauvais jeu de mots. Elle finance la Sécurité sociale ; elle a un effet globalement favorable au travail, notamment peu qualifié». «Et elle rétablit une certaine égalité de traitement entre les producteurs belges et leurs concurrents qui produisent dans des pays où la protection sociale est faible», renchérit Bruno Colmant. Enfin, outre sa facilité de mise en ½uvre, les exemples de pays ayant développé des réformes similaires ne manquent pas : Allemagne, Royaume-Uni, Portugal…
N’oublions néanmoins pas que toute hausse de TVA n’est pas sans conséquences, sociales avant tout. Ainsi, une telle mesure aura des effets sur l’indice des prix (et par là sur les salaires), sur l’impact redistributif ainsi que sur le risque de «détournements de trafic» au profit des pays voisins. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les syndicats appellent plutôt à financer (durablement) la sécurité sociale par le biais de la cotisation sociale généralisée, en y faisant contribuer toutes les sources de revenus.
Et la fiscalité environnementale, dans tout ça ?
Même si les deux économistes ne s’accordent pas sur tout, notamment sur l’épineuse question visant à taxer les revenus issus du capital (taxation des plus-values, taxation des loyers réels, etc.), on ne peut que se féliciter de leur courage à lancer publiquement un débat plus que nécessaire. En effet, cela fait de longues années déjà que la Fédération Inter-Environnement Wallonie plaide pour une réforme globale de notre système fiscal, impliquant une baisse des charges pesant sur l’emploi et, en parallèle, une hausse de la fiscalité sur les ressources naturelles et sur les revenus issus du capital.
On ne peut en effet dire que notre pays soit un as de la fiscalité environnementale, et ce en dépit des recommandations que lui a déjà à plusieurs reprises enjoint l’OCDE (Examens environnementaux : Belgique, 2007) : «la Belgique devra renforcer et/ou élargir ses efforts de protection de l’environnement et améliorer leur rapport coût-efficacité en recourant davantage aux instruments économiques (taxes,
redevances, mécanismes d’échanges de permis d’émissions, par exemple)». Le produit des taxes liées à l’environnement y représentait ainsi en 2007 2.1 % du PIB, soit bien en-deçà des 2.7 % de l’Union européenne (des 27) mais surtout du Danemark qui affichait alors un taux de près de 6 %. En outre, comme le rappelle Vincent Sépulchre, conseiller auprès de la Cellule fiscale de la Région wallonne et professeur à HEC, bon nombre de taxes environnementales y ont été instaurées en vue d’accroître les recettes fiscales, et non dans la perspective de préserver l’environnement. «C’est d’ailleurs pour cette raison que certaines de ces taxes portent sur des produits dont la demande est inélastique, assurant ainsi les recettes budgétaires», ajoute-t-il.
Pourtant, l’efficacité de l’instrument fiscal n’est plus à démontrer, permettant, grâce au fameux «signal-prix», de réorienter les comportements des agents économiques vers des modes de production et de consommation plus respectueux de l’environnement.
La Fédération Inter-Environnement Wallonie demande que nos gouvernements se lancent sur la voie d’une réforme fiscale globale, rééquilibrant les charges pesant sur le travail, le capital et l’utilisation des ressources naturelles et ce dans un souci de justice environnementale et sociale.
Consciente des effets distributifs que pourrait avoir une réforme fiscale de l’environnement au détriment de certains secteurs et des moins nantis, la Fédération IEW estime primordial d’assortir ladite réforme de mesures compensatoires et de développer, en parallèle, des politiques d’accompagnement. Les mesures fiscales peuvent en outre être aussi accompagnées d’autres instruments, de type réglementaire par exemple. Une réforme de la fiscalité doit s’insérer dans l’ensemble des politiques menées par les gouvernements pour préparer notre société au futur qui nous attend (effets et conséquences des changements climatiques, pic pétrolier et énergie rare et chère, crise alimentaire, …).
Sans exempter les ménages les moins nantis de taxes environnementales, il s’agit d’accompagner la réforme de mesures qui permettent de préserver le signal des prix transmis par la taxe tout en atténuant l’impact négatif de celle-ci sur ces ménages (mesures compensatoires, politiques d’accompagnement, …).
Les citations reprises dans le présent article sont tirées des articles suivants :
- «Fiscalité / Etienne de Callataÿ et Bruno Colmant : Nous devrons payer plus d’impôts,» Le Soir, 27 octobre 2010.
- «Un message adressé aux décideurs par Bruno Colmant et : Pour une grande réforme fiscale», L’Echo, 27 octobre 2010.
En savoir plus
- « L’impôt en Belgique après la crise », Bruno Colmant et Etienne de Callataÿ
- « Une fiscalité verte ? Non : socio-environnementale !« , Inter-Environnement Wallonie
- « La fiscalité environnementale en Belgique« , Vincent Sépulchre
- « Baisse du coût du travail et financement alternatif de la sécurité sociale : de nouvelles solidarités pour l’emploi ?« , Christian Valenduc
- « Les aspects sociaux de la fiscalité environnementale« , Inter-Environnement Wallonie