C’est délicat de parler de responsabilité, c’est même un véritable exercice d’équilibriste. Pointer des responsabilités ou les rappeler aux autres est souvent perçu comme arrogant ou méprisant ; et pour celui à qui s’adresse le message c’est souvent vécu comme un affront.
C’est vraiment délicat comme sujet ; et pourtant je voudrais nous en parler, mais simplement comme une valeur commune à cultiver et à partager, parce que la responsabilité n’est pas un gros mot, que son absence n’est pas sans conséquence et qu’elle est avec la coopération et l’altruisme des valeurs à mettre en actes de toute urgence face aux enjeux environnementaux.
De la responsabilité sans culpabilité
Pour André Comte Sponville, être responsable « c’est pouvoir ou devoir répondre de ses actes, aussi suis-je responsable de tout ce que j’ai fait volontairement, et même, quoique dans une moindre mesure, de tout ce que j’ai laissé faire et que j’aurais pu empêcher. C’est en quoi je suis responsable de mes erreurs1 ». Il nous propose une différence entre responsabilité et culpabilité : « je suis responsable de mes erreurs et de mes échecs. Je ne suis coupable que des fautes que j’ai accomplies délibérément, en sachant qu’elles étaient des fautes ».
Il nous propose également de spécifier ce qu’est l’éthique de responsabilité, qui, en ne se contentant pas d’appliquer des principes, exige qu’on tienne compte aussi, avant toute décision, des conséquences prévisibles de l’acte envisagé. Bref qu’on tienne compte des conséquences de nos actes.
Et c’est peut-être ce qui nous semble douloureux quand nous sommes mis face à « nos responsabilités », de devoir prendre sur soi les conséquences négatives, voire néfastes, des actes que nous avons posés ; de comprendre que nous n’avons pas réfléchi (ou pas assez, ou pas de façon appropriée) ; de constater l’écart entre nos intentions initiales et le résultat. C’est sans aucun doute plus simple, quand nous ne pouvions véritablement pas connaître à l’avance les conséquences de nos actes.
Ce qui peut aussi nous déranger aux entournures de cette responsabilité c’est la culpabilité qui souvent l’accompagne. Bien que nous ne devrions pas nous sentir coupables d’actes dont nous ne connaissions sincèrement pas les conséquences, elle émerge spontanément pour la plupart d’entre nous et peut nous vriller l’estomac avec une intensité variable selon les personnes.
Le GIEC et l’IPBES nous le confirment dans leurs rapports respectifs, la responsabilité humaine dans les changements climatiques et l’effondrement de la biodiversité est établie et cela ne pourra pas s’atténuer sans un changement profond de nos modes de vie.
Cette responsabilité, nous la partageons, à des degrés divers, en fonction de nos modes de vies et de nos fonctions dans la société. Certaines choses ne sont pas de la responsabilité citoyenne, comme légiférer sur l’interdiction de certaines substances chimiques. Cela n’empêche pas que nous partagions la responsabilité de l’état général de l’environnement. Prendre notre part de responsabilité dans cette situation est éminemment difficile, demande du courage et est urgente.
Commencer par limiter les dommages
La biodiversité n’a pas demandé à subir une 6è extinction de masse. Selon l’IPBES environ 1 million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction au cours des prochaines décennies. En Belgique, ce sont 31% des espèces animales et végétales étudiées qui sont menacées de disparition et près de 9% ont déjà disparu de notre territoire. Les changements climatiques sont une force de pression supplémentaire sur la biodiversité – comme le sont la pollution, la surexploitation des ressources, le changement d’affection des sols, etc. – de nombreuses espèces animales et végétales sont impactées dans leur cycle de vie, et leurs aires de répartition se modifient. Outre l’impact que cela a pour les espèces touchées – et cela étant en soi suffisant pour souhaiter limiter les dommages – cela affectera aussi les services écosystémiques dont nous bénéficions.
La philosophie bouddhiste nous propose d’au moins essayer de ne pas faire de mal aux autres si nous ne sommes pas en capacité de leur faire du bien. C’est un conseil que nous pouvons appliquer à l’environnement : si nous ne sommes pas en capacité, pour le moment, de lui faire du bien, commençons par ne plus lui faire de mal.
Pour limiter les dommages à l’environnement, nous n’avons plus d’autres choix que de remettre en cause notre mode de vie, les « petits gestes » ne sont plus suffisants – et ne l’ont sans doute jamais été. Nous devons limiter notre demande d’énergie, de mobilité et de consommation, chacun à son niveau. Sans cela, nous continuerons à avoir des actions délétères pour l’environnement. Et c’est urgent. Chaque année, l’overshoot day (le jour où l’humanité a épuisé les ressources de la planète pour l’année) arrive de plus en plus tôt ; en 2019 c’était le 29 juillet, soit 5 mois avant la fin de l’année.
La première chose que nous pouvons faire est de prendre véritablement conscience que notre mode de vie porte atteinte au Vivant et que l’humain … est dans le vivant.
Au niveau politique, limiter les dommages pourrait être, dans un premier temps, d’informer sans détour les citoyens des impacts de leurs comportements sur l’environnement et de s’assurer que cette information est claire, simple, compréhensible et permet à tout un chacun de faire des choix éclairés. Ensuite, il s’agit, sans aucun doute, de mettre la préservation et l’amélioration du vivant au cœur des décisions politiques. Ce qui permettrait d’abandonner des projets de construction de routes (contournement Nord de Wavre), de stopper un projet d’abattage d’arbres pour la construction d’un centre commercial, comme par exemple à Namur, de stopper la construction de nouveaux quartiers et tout projet d’artificialisation des sols en général et aussi d’interdire ou limiter l’usage de substances chimiques qui ne sont pas dégradables par notre environnement- « on a 50 000 molécules que la nature ne sait pas dégrader2 »-, etc.
Au niveau individuel, il s’agit avant tout de modifier les comportements que nous avons et qui ne sont pas strictement nécessaires (une partie ou une forme de vacances et/ou de loisirs, la surconsommation, etc.). Et pour les comportements nécessaires de mettre en œuvre, quand c’est possible, une alternative moins nocive pour l’environnement. Cela pourrait passer par une modification de notre rapport aux vacances en se mettant au défi de ne plus prendre l’avion, en choisissant des destinations plus proches ou en prenant le temps de se déplacer autrement quand on veut vraiment aller loin. Cela pourrait aussi être le choix de limiter ses déplacements en voiture de moitié pour les trajets qui ne sont pas indispensables ou qui ont une alternative, cela pourrait être de choisir une consommation locale et de saison pour son alimentation, de refuser le plastique sous toutes ses formes, etc. Chacun, selon ses moyens et chacun de son point de départ.
Il s’agit donc de changer son rapport à l’économie, au confort et à ce qu’on pense être constitutif de son bonheur. C’est, finalement, accepter pleinement les limites planétaires, non pas comme une contrainte, mais comme la sécurité indispensable à notre bien-être individuel et collectif.
Faire du bien
Après avoir limité les dommages que nous faisons à l’environnement nous pouvons apprendre à lui faire bien. Pour ça, il suffit de prendre soin du vivant et prendre soin du vivant c’est aussi « nous faire du bien ». Il s’agit principalement de recréer de la nature et de limiter ses émissions de GES à la biocapacité de la Terre.
Au niveau communal, il s’agit de connaître le réseau écologique de son territoire et sur cette base de préserver et d’améliorer l’état de la biodiversité en y subordonnant tous les plans et projets. Pour les communes dotées d’un PCDN, c’est leur donner les moyens de développer une stratégie biodiversité basée sur l’étude du réseau écologique et de les aider à la mettre en œuvre. C’est donner une plus grande place à la nature, favoriser la fonction nourricière de l’agriculture, favoriser les circuits courts, limiter la place de la voiture et particulièrement des voitures les plus lourdes et les plus puissantes (Charte LiSa Car), c’est assumer le « stop béton » en usant et en abusant des huit balises proposées par IEW à cet effet, c’est intégrer des clauses favorables à la nature dans les permis, c’est ne plus permettre la compensation pour favoriser l’économie au détriment de la nature.
Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Et il ne s’agit pas non plus de choisir une ou deux de ces actions, il s’agit de les mettre toutes en œuvre, rapidement mais sans précipitation. Cela demandera d’être soutenu par des actions politiques fortes en faveur des communes, échelle territoriale incontournable en matière d’environnement.
Au niveau individuel il s’agit aussi de donner plus de place à la nature. Pour ceux qui ont un carré de jardin c’est favoriser les essences mellifères et indigènes, c’est faire un potager si vous en avez la place et le goût. C’est proposer à votre commune de prendre soin d’un espace public, en le végétalisant, et pourquoi pas avec un groupe de voisins pour créer des liens – certaines communes proposent déjà des chartes de végétalisation. C’est vous engager bénévolement dans des associations. C’est surtout, oser modifier ce qui nous semble essentiel dans notre vie pour que notre essentiel devienne bio-compatible (en terme de mobilité, d’alimentation, d’habillement, de logement, de relations, de voyages, etc.) et c’est en toute chose devenir tempérant – « être tempérant c’est pouvoir se contenter de peu ; mais ce n’est pas le peu qui importe ; c’est le pouvoir et c’est le contentement3 ». De nouveau, chacun selon ses moyens, et chacun selon son point de départ.
N’attendons pas, quand nous le pouvons, que le politique soutienne notre action mais par nos actions incitons le politique à une plus grande responsabilité environnementale.
Mettre ses valeurs en actes
Je vous disais que je voulais nous parler de la responsabilité, comme une valeur à cultiver, à partager et à mettre en actes face aux enjeux environnementaux. Mais transformer ses valeurs en actes est souvent complexe. Ce n’est pas parce que nous nous déclarons responsable, que nous le sommes en tout temps et en tout lieu. Avoir une valeur morale et la mettre en acte sont deux choses différentes qui ne vont pas forcément de soi. Il ne suffit pas de dire que je vais perdre du poids pour que ma balance affiche 10 kg de moins, ce serait trop beau. Il va falloir diminuer les apports caloriques en mangeant moins et mieux et il va falloir, enfer et damnation, faire du sport. Cela paraît évident à chacun.
Pour transformer une valeur morale en actes concrets, il va falloir procéder de la même façon, c’est-à-dire qu’il va être nécessaire de s’entraîner, sur une longue période en plus, pour que cela devienne une habitude bien ancrée. Pour devenir responsable sur le plan environnemental, nous devrons imaginer dans le concret ce que cela signifie pour nous. Cela nous demandera de nous asseoir simplement et d’imaginer les diverses situations de sa vie quotidienne, d’en comprendre les impacts environnementaux, sans se blâmer, et d’imaginer les solutions possibles et d’accepter que, parfois, il n’y a pas de solutions. Ensuite, il s’agira de se donner des objectifs réalistes et des limites acceptables, de s’encourager, de se féliciter quand on y arrive et surtout de ne pas se blâmer quand on fait un écart ou qu’on échoue, mais simplement de se remettre en selle, en toute humilité, et de recommencer.
Prendre sa part de responsabilité sur le plan environnemental, c’est s’alléger, du poids de la culpabilité ou de la tension mentale du déni ; c’est se rendre la vie plus simple avec soi et avec les autres ; c’est agir, en sachant que l’action a cette vertu merveilleuse de diminuer l’anxiété. Prendre sa juste part de responsabilité environnementale c’est aussi augmenter l’estime de soi, augmenter sa capacité de résilience et sa capacité à venir en aide aux autres.
Cultivons la responsabilité, la coopération et l’altruisme pour qu’elles deviennent des valeurs pivots de nos sociétés qui, inévitablement, doivent entrer en transition.