Pour une fiscalité belge anti-crise

Le dernier rapport d’Eurostat sur les tendances fiscales dans l’Union européenne vient de le reconfirmer : la Belgique figure toujours parmi les cancres européens en matière de fiscalité environnementale. L’énergie y est ainsi relativement peu taxée, notre pays occupant le bas du classement européen. Pourtant, la rehausser en y internalisant les coûts environnementaux serait économiquement moins dommageable que d’autres mesures anti-crise. C’est du moins ce qui ressort d’une récente étude publiée par la Fondation européenne pour le climat et Green Budget Europe. Si, en sus, on supprime les subsides substantiels gracieusement alloués aux énergies non renouvelables, notre pays aurait à sa disposition de quoi répondre de manière consistante aux enjeux climatiques et économiques.

Après environ 4 années de crise économique et financière sans précédent, la plupart des États membres de l’Union européenne font toujours face à d’importants déficits budgétaires et tentent de résorber leurs dettes publiques élevées. La plupart des États membres, fortement influencés par les agences de notation et autres institutions bancaires internationales, estiment que seules des mesures d’austérité budgétaire peuvent les aider à sortir de cette impasse. Pourtant, beaucoup d’arguments démontrent que l’austérité ne constitue pas une alternative durable à la réforme fondamentale de nos économies.
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Pour lutter contre la crise, les Gouvernements se sont lancés dans des coupes budgétaires drastiques, entravant parfois sérieusement les acquis sociaux et paupérisant davantage certaines couches de la population. Les hausses fiscales sont a contrario rarement au rendez-vous. Pourtant, une autre fiscalité pourrait générer des recettes substantielles pouvant à leur tour être réinjectées dans des mesures visant à emmener notre société sur la nécessaire voie de la transition économique.

D’après une récente étude intitulée Carbon taxation and fiscal consolidation : the potential of carbon pricing to reduce fiscal’s deficits réalisée par la Fondation européenne pour le climat et la plate-forme Green Budget Europe, internaliser les émissions de CO2 dans les prix énergétiques serait non seulement bénéfique au climat mais également à nos économies : ces mesures permettraient de porter à la baisse les déficits publics. Une aubaine en ces temps de disette budgétaire. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :

  • les taxes énergétiques ont des impacts macroéconomiques moindres que les taxes directes tels que l’impôt sur les personnes physiques (IPP) et la TVA ;
  • les régimes de taxation de l’énergie actuels sont loin d’être optimaux (non prise en compte de considérations environnementales) et souffrent de larges disparités régionales : y résorber permettrait d’augmenter les recettes fiscales de 1 à 1,3 % du PIB (résultats d’une simulation économique pour l’Espagne, la Pologne et la Hongrie) ;
  • pour être efficace et efficient, le taux implicite de taxation doit être suffisamment élevé, de sorte que la taxe puisse effectivement induire des changements de comportements ;
  • les effets macroéconomiques – en termes d’emplois et de PIB – d’une augmentation des revenus issus du système communautaire d’échange de quotas d’émission (Emission Trading System) sont moindres que ceux générés par une hausse des taxes directes : dans cette perspective, s’attaquer à la surallocation de quotas à l’origine de l’inefficacité du système s’avère cruciale.

La Belgique : cancre fiscal

À l’heure où Eurostat, l’office européen des statistiques, vient de classer notre royaume dans le trio de tête européen des pays où le taux d’imposition sur les revenus sur les personnes physiques est le plus élevé, il y aurait également lieu d’avoir une réflexion sur la fiscalité environnementale qui prévaut chez nous. Contrairement à l’IPP et à l’impôt des sociétés (les chiffres d’Eurostat sont néanmoins à nuancer : d’après le Réseau pour la Justice fiscale, les sociétés payeraient en moyenne 11,8 % d’impôts et ce grâce aux nombreux cadeaux fiscaux que celles-ci recoivent sans conditions), la Belgique figure parmi les cancres européens en matière de fiscalité verte, occupant la 22è place du classement avec un rendement fiscal s’élevant à 2,1 % du PIB pour l’année 2010. Pourtant, certains pays ont depuis longtemps franchi le pas, se lançant dans de véritables réformes fiscales de l’environnement : les Pays-Bas et le Danemark (4 % du PIB) et la Slovénie (3,6 %) pour ne citer qu’eux.

La fiscalité environnementale peut toucher différentes sources de pollution mais le premier poste porte sans conteste sur l’énergie, en particulier via les accises sur les carburants. Et là encore notre pays est incontestablement le maillon faible, occupant – avec des recettes estimées à environ 4,7 milliards d’euros en 2010 (soit 1,3 % du PIB) – la dernière place du classement européen dont la perception moyenne issue des régimes fiscaux sur l’énergie est de 2 % du PIB. Même les pays voisins font mieux et tirent davantage de recettes de leur énergie : 2,2 % au Luxembourg, 2 % aux Pays-Bas et 1,8 % en Allemagne. Seule la France, avec 1,4 %, se situe au même niveau que la Belgique. Rien de bien neuf sous le soleil en somme puisque le Conseil Supérieur des Finances (CSF) affirmait déjà en 2009 que « le taux de taxation implicite de l’énergie est relativement faible en Belgique, tant par rapport aux pays voisins que par rapport à l’Union européenne en général. » Toujours d’après le CSF, une taxe carbone de 36 ¤ appliquée à la notre pays aurait un rendement budgétaire de 1,373 milliards d’euros, soit 0,4 % du PIB et une hausse de près d’un tiers des recettes d’accises[[Source : Conseil Supérieur des Finances (2009), La politique fiscale et l’environnement]].

Notre régime fiscal sur l’énergie fait également fi de toute préoccupation environnementale. Ainsi, ni le contenu énergétique ni le contenu carbone n’est internalisé dans le prix actuel des énergies. Cela s’observe notamment au niveau des accises sur les carburants, le diesel étant moins taxé que l’essence malgré sa plus forte incidence environnementale. Le projet de révision de la directive relative à la fiscalité énergétique – consistant à corriger les déséquilibres actuels et à prendre en considération le contenu énergétique des produits et les émissions de CO2 qu’ils génèrent – devrait changer la donne. Seulement, son entrée en vigueur nécessite, comme toute autre décision prise dans le domaine fiscal, l’unanimité des États membres. Autant dire que ce n’est pas demain la veille que nous connaîtrons une politique fiscale énergétique ambitieuse en Europe.

Pourtant, une telle internalisation permettrait quelque peu de rationaliser les comportements en matière de consommation énergétique, notamment au profit des énergies renouvelables qui souffrent de la concurrence des énergies fossiles et fissiles, celles-ci étant comme nous le verrons ci-dessous abondamment arrosées de subventions publiques. En outre, les recettes issues de cette taxation pourraient également être affectées à des projets économiseurs d’énergie (efficacité énergétique et énergies renouvelables), orientés prioritairement vers les publics défavorisés compte tenu de leur plus grande vulnérabilité face à des hausses de prix énergétiques.

Sus aux subventions aux énergies non renouvelables

Quelques jours avant le dernier sommet du G8 réunissant les dirigeants des pays les plus industrialisés de la planète, le mouvement international citoyen AVAAZ lançait une large campagne de soutien public à Obama et à son plan pour sauver la planète. Celui-ci vise à réinvestir les mannes d’argent public alloué aux grandes compagnies pétrolières et de charbon dans les énergies renouvelables au profit de la lutte contre le changement climatique et de l’économie verte. En mars dernier, le Président américain avait déjà tenté de mettre fin aux 4 milliards de dollars qu’allouent annuellement les États-Unis aux compagnies pétrolières via des allègements fiscaux. Il enjoignait ainsi le Congrès à « soit voter pour dépenser des milliards de dollars en subventions pétrolières qui nous laissent prisonniers du passé, soit mettre fin à ces subventions pour que nous puissions investir dans l’avenir ». Le Sénat américain ne l’a malheureusement pas suivi.

Pourtant, la polémique autour des subventions dommageables à l’environnement n’est pas neuve. Le Bureau Européen de l’Environnement (BEE) milite depuis des années déjà pour leur suppression. D’autres institutions internationalement reconnues ont également emboîté le pas, l’instar du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) qui dénonce fermement les subventions aux énergies fossiles qui, d’après le rapport Reforming Energy Subsidies : Opportunities to Contribute to the Climate Change Agenda, s’élèvent annuellement à près de 300 milliards de dollars, soit 0,7 % du PIB mondial. Selon Achim Steiner, Directeur exécutif du PNUE, « plusieurs subventions aux énergies fossiles voient le jour pour des raisons politiques et servent à soutenir et perpétuer des inefficiences dans l’économie mondiale – à ce titre elles font partie des échecs du marché comme le changement climatique ». Et l’expert d’appeler les gouvernements à « réexaminer leurs subventions énergétiques et supprimer celles qui sont inefficaces et portent préjudices aux ressources limitées. Celles-ci retardent l’introduction des énergies renouvelables ou d’autres formes efficaces de production d’énergie, en érigeant des barrières qui vont des transports en commun jusqu’aux appareils économes en énergie ». L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) abonde dans le même sens, arguant que la suppression des subventions aux énergies fossiles permettrait de limiter le réchauffement climatique mondial à 2°C, de réduire les émissions de CO2 et d’allouer aux énergies renouvelables une plus grande part de marché[[Source : AIE (2011), World Energy Outlook.]].

Chez nous, les subventions aux énergies non renouvelables vont aussi bon train et touchent autant l’énergie nucléaire que les modes de transport non souhaitables et hautement polluants :

  • la filière nucléaire bénéficie de divers transferts via le budget de l’État[[D’après la plate-forme Stop & Go, bien qu’étant difficile à évaluer avec précisions, les transferts dont bénéficie la filière nucléaire via le budget de l’État et via la facture des consommateurs se chiffreraient probablement en centaines de millions d’euros.]] : recherche & développement (70 % des financements publics en R&D entre 1974 et 1999, contre 5 % dans les énergies renouvelables), projet Myrrha (investissement total de 384 millions d’euros sur une période de 12 ans), financement d’institutions tels Euratom, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN) et l’Agence nationale des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (ONDRAF) ;
  • depuis 2001, ce sont 860 millions d’euros de subsides publics qui ont été versés aux aéroports de Charleroi (Ryanair) et de Liège, sans compter les investissements à consentir dans la future gare de Gosselies (740 millions d’euros) ;
  • le régime fiscal des voitures de société constitue un manque à gagner pour l’État belge estimé entre 3 et 4 milliards d’euros par an ;
  • résorber l’écart fiscal qui subsiste entre le diesel et l’essence (au profit du premier) permettrait de générer entre 300 et 600 millions d’euros ;
  • cesser d’avantager fiscalement les agrocarburants rapporterait, à consommation égale, quelques 164 millions d’euros aux caisses de l’État.
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