L’autre jour, une amie me racontait qu’elle s’était mobilisée pendant plusieurs mois avec d’autres citoyens pour s’opposer à la construction de la méga-usine à frites à Frameries. Elle était dépitée car malgré les actions de protestations citoyennes, l’usine allait probablement sortir de terre, certes pas à Frameries mais ailleurs sous couvert de nouveaux emplois wallons créés… Et ce, sans débat démocratique autour de cet enjeu bien plus systémique que la seule création d’emplois. Elle concluait qu’elle avait de moins en moins confiance dans les politiques et dans leur capacité à écouter les citoyens.
Son cas n’est malheureusement pas isolé. Selon un baromètre de confiance réalisé par l’IWEPS en 2018, à la question « quel degré de confiance avez-vous dans les personnes ou institutions suivantes? », les politicien.ne.s et partis politiques recueillent les plus mauvaises notes avec un niveau de confiance de 36% et 32% respectivement. Cette fâcheuse tendance s’aggrave chaque année depuis 2012 et il y a fort à parier que la crise COVID n’améliore pas ces chiffres.
Une des stratégies testée par certaines autorités publiques pour améliorer la confiance des citoyens est de renforcer la participation citoyenne. Depuis un an et demi, Periferia et IEW organisent des rencontres pour mieux comprendre les enjeux liés à la démocratie participative, découvrir des initiatives et expérimenter des outils avec pour objectif de renforcer la culture de la participation auprès des autorités, des institutions, des citoyens.
Le terreau pour renforcer la démocratie participative semble fécond en Belgique. Selon une étude rapportée par Jean-Benoit Pilet, professeur à l’ULB, rencontré en octobre dernier, environ 75% des citoyens belges pensent que des référendums consultatifs ou décisionnels, des assemblées citoyennes consultatives tirées au sort ou encore des budgets participatifs devraient être généralisés. La place des experts devrait également être renforcée. Derrière ces chiffres se cache une disparité de points de vue. Ainsi, sur base d’une enquête belge, Jean-Benoît Pilet a catégorisé 7 profils de citoyens. 34% des belges sont des « démocrates hybrides » qui soutiennent les élu.e.s, les citoyen.ne.s et les expert.e.s de façon équivalente. A l’autre extrême, les citoyens apathiques – 20% tout de même ! – ont un niveau de confiance très bas envers tous les acteurs. Entre les deux, les démocrates délégatifs (15%) font surtout confiance aux experts, les anti-élus (13%) aux citoyens et aux experts ; les démocrates représentatifs (10%) donnent essentiellement leur confiance aux les élus et les démocrates participatifs (8%) évaluent très positivement les citoyens et très négativement les élus et experts. Pour en savoir plus notamment sur ces différents profils sociologiques, (re)visionnez la rencontre ici.
Un des outils de démocratie participative délibérative qui intéresse un nombre grandissant d’acteurs politiques est le panel de citoyens tirés au sort. Dans ce type d’assemblée, des personnes aux profils variés sont réunis plusieurs fois sur une période de temps déterminée pour délibérer autour d’un thème choisi. En général, pour nourrir ces discussions, des experts viennent présenter différents points de vue sur la question traitée. Les citoyens discutent et proposent des recommandations. Les panels ou assemblées citoyennes sont potentiellement intéressants pour plusieurs raisons. Contrairement à la plupart des débats au sein de nos instances politiques, les assemblées citoyennes portent en général une attention à la qualité de la délibération grâce à la présence de modérateurs et facilitateurs formés et de temps d’échanges suffisamment longs. Cette approche facilite l’émergence d’arguments qualitatifs intégrant une vision à long terme limitant ainsi le court-termisme électoraliste. En rassemblant une diversité de points de vue et de citoyens, les discussions peuvent être plus facilement appropriables par la population mais aussi plus transparentes sur l’argumentation.
Pour que cette approche fonctionne, il est indispensable que le porteur de l’initiative, idéalement une autorité publique, soit clair et transparent sur l’objectif politique et sur l’impact que vont avoir in fine les recommandations sur les décisions. Cette condition n’a pas été remplie lors du Parlement citoyen éphémère organisé par le parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB) en 2017 sur le thème « de l’avenir de l’Europe ». Deux citoyens parmi les 94 citoyen·ne·s participant.e.s sont venu.e.s nous raconter leur expérience. Si les petits fours et petits déjeuners étaient excellents, l’expérience leur a laissé un goût amer. Les recommandations proposées par les citoyens sont restées lettre morte malgré leur interpellation auprès de l’instance organisatrice et leur volonté de poursuivre les échanges avec la création d’un collectif citoyen « Citoyen Parlement 23-09-2017… Et après. …? » Il faut dire que le thème choisi, vu les compétences de la FWB, ne laissait guère de place à une suite… Découvrez leur expérience ici et ici.
Un autre travers de cette expérience observé par les citoyens était l’homogénéité des profils des participants recrutés via les réseaux sociaux essentiellement. Une des clés pour obtenir une plus grande diversité de citoyens serait donc de recourir au tirage au sort. Même si ce procédé demande du temps et des moyens: en moyenne entre 3 et 10% des personnes tirées au sort participent effectivement, contre 50% dans le cadre des jurys d’assise, où la participation est obligatoire, cette approche permet de toucher des citoyens UN PEU plus éloignés de la politique que les « usual suspect » ou les tlm « toujours les mêmes » comme disent les français. Mais il ne touche certainement pas les plus éloignés… Une part non négligeable des citoyens refusent en effet de participer pour diverses raisons que vous découvrirez en écoutant l’intervention de Vincent Jacquet, chercheur à L’UNamur que nous avons eu le plaisir de recevoir, au mois de janvier, pour nous parler des avantages et limites du tirage au sort.
On peut espérer diminuer la proportion de refus citoyens dans les panels et ainsi améliorer encore leur diversité en les inscrivant sur la durée. Un exemple est la proposition d’Assemblée citoyenne interfédérale délibérative et participative pour la transition soutenues par des académiques, des associations, des entreprises. En Communauté germanophone, une assemblée citoyenne pérenne existe depuis février 2019, le « permanenter Bürgerdialog » ou dialogue citoyen permanent. Celle-ci devrait permettre tôt ou tard aux quelques 60000 électeurs de participer avec comme effet potentiel de renforcer la culture de la délibération. C’est en tout cas le pari de Christoph Niessen, doctorant à l’Université de Namur qui suit cette initiative de près et qui est venu nous expliquer le contexte de sa création, son mode de fonctionnement, le choix des thèmes, les modes de délibération, de prise de décision etc. Vous pouvez découvrir cette expérience citée en exemple partout dans le monde en cliquant ici. La vidéo de la rencontre est disponible sur demande.
Un autre exemple d’assemblée permanente est celui des commissions délibératives du parlement bruxellois francophone. Celles-ci incluent 45 citoyens tirés au sort et 15 élus qui vont délibérer et proposer des recommandations sur des sujets choisis par les citoyens ou les autorités. Selon Magali Plovie, députée à l’initiative de ces commissions, l’avantage d’inclure des élus autour de la table est que ceux-ci, en co-construisant les recommandations, seront de meilleurs porte-paroles au sein du Parlement. Une attention toute particulière devra être apportée pour créer un climat de confiance suffisant dans ce groupe mixte « citoyens-élus » où les différences d’aisance orale ou de compétences risquent de créer des rapports de force en faveur des élus. Deux commissions auront lieu en 2021 : une sur le thème du sans-abrisme qui a été choisi par les citoyens et une autre, sur le thème de la 5G choisi par les élus qui ont également formulé la question de départ « Comment voulons-nous que la 5G soit implantée en Région de Bruxelles-Capitale, en tenant compte de l’environnement, de la santé, de l’économie, de l’emploi et des aspects technologiques ? ». La question… pose question et est critiquée par des citoyens qui estime « qu’ elle impose à elle seule la soi-disant « urgence » et le caractère soi-disant inévitable de la 5G, en contradiction profonde avec le temps nécessaire au « bon » exercice de la démocratie et condamne les citoyen.ne.s au fatalisme, au non-choix, au pis-aller. » Affaire à suivre donc …
Découvrez la suite de nos rencontres dans cette nIEWs …
Nos prochains rendez-vous « démocratie participative » :
- Le 31 mai : Gérer des crises sans restreindre la démocratie et les libertés : impossible ?
Lois d’exceptions, état d’urgence, mesures exceptionnelles… Tous ces termes avec lesquels nous sommes malheureusement aujourd’hui familier.e.s riment bien souvent avec perte de liberté et répression. Et s’il était possible de gérer les crises (sanitaires, économiques, écologiques…) d’une autre façon ? - Le 1er juillet : Quel(le)s mécanismes et logiques pour disposer de temps de “citoyenneté” et permettre aux citoyen·ne·s de participer ? Nous rencontrerons l’associationTempo Territorial (un réseau constitué d’acteur.rice.s qui s’intéressent aux moyens de concilier vie professionnelle et personnelle) et le conseiller politique Michel Cermak, co-auteur de l’ouvrage « Partageons le temps de travail ».
- Spirale dynamique : comprendre différents modes de gouvernance au regard du modèle de Clare Graves.
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