Dans ce second volet, nous poursuivons le partage des apprentissages et réflexions issus des rencontres mensuelles organisées par IEW et Periferia autour de l’enjeu de démocratie participative. (Re)découvrez la première partie ici.
Un des enjeux clés pour aller vers plus de démocratie participative directe ou délibérative est la place donnée aux citoyens dans la prise de décision. Dans notre démocratie représentative, les assemblées ou panels citoyens sont consultatifs et les décisions reviennent in fine aux élus. En effet, comme nous l’a rappelé Sophie Devillers, doctorante à L’UNamur, lors d’une rencontre en mars dernier, l’article 36 de la constitution précise que « le pouvoir législatif fédéral s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat ». Il en est de même pour les autres niveaux de pouvoir. Une conséquence de ces dispositions est l’interdiction de référendum contraignant en Belgique. Cette situation ne pourra fondamentalement évoluer que si l’article 1951 qui organise la modification de notre constitution – une des plus rigides au monde – évolue substantiellement. Le gouvernement fédéral actuel va prochainement proposer une « plateforme de dialogue sur l’avenir du fédéralisme belge » afin de préparer la réforme de l’état de 2024 mais la révision de l’article 195 n’est pas à l’ordre du jour. Et pourtant…. L’expérience d’autres pays montre que permettre aux citoyens de décider peut débloquer des situations où les différentes familles politiques n’arrivent pas à se mettre d’accord. Ainsi en Irlande2, un référendum contraignant couplé à la mise sur pied d’un panel mixte citoyens-élus et à une communication importante sur le processus a permis une réforme de la constitution – notamment l’autorisation du mariage homosexuel – alignée avec les valeurs d’une majorité de citoyens. Pour en savoir plus, (re)visionnez la rencontre avec Sophie Devillers ici.
Contrairement à la Belgique, la Suisse pratique le référendum contraignant– ce qu’ils appellent les votations- très régulièrement. Ce petit pays qui ressemble au nôtre par sa population (près de 12 millions d’habitants) et son multilinguisme, pratique 3 outils de démocratie directe depuis plus de 2 siècles. Le plus ancien est le référendum obligatoire pour toute révision de la constitution. Le second est celui du référendum facultatif permettant à la société civile de réclamer une votation sur une loi adoptée par le Parlement en récoltant 50.000 signatures sur une période de 100 jours. Et enfin le 3ème outil est celui de l’initiative populaire qui permet aux citoyens sous réserve de récolter 100.000 signatures en 18 mois de soumettre des propositions de changements dans la Constitution. Ces outils sont déclinés au niveau cantonal. Un des sujets récemment votés a été celui de la mise en place d’un revenu universel permettant ainsi un large débat public sur cette question. Une des limites du système suisse est que ces propositions de modifications sont très rarement portées et débattues par les citoyens ordinaires mais par des organisations structurées (partis, associations, etc). L’information fournie ne met pas forcément en lumière de façon pédagogique la complexité des enjeux invisibles dans une question de référendum forcément binaire et simpliste. Pour pallier notamment à cette limite, une expérience de panel citoyens, le projet demoscan, a été mise sur pied dans la ville de Sion par l’équipe de recherche d’Alice El Wakil, chercheuse au Center for Ethics à l’Université de Zurich, autour d’une question liée à la construction de nouveaux logements sociaux. Iva Nanchen, jeune coiffeuse participante à ce panel, nous a raconté avec enthousiasme son expérience qui lui a permis de se réconcilier avec la politique, de mieux comprendre les enjeux, de faire des rencontres improbables, … (Re)visionnez ici la vidéo de la rencontre avec Alice et Iva pour en savoir davantage sur ce projet ainsi que sur les avantages et les limites du système suisse.
En Belgique, plusieurs expériences locales de référendum non contraignant ont été réalisées. C’est le cas à Namur, qui, en 2014, sous l’impulsion du « forum citoyen namurois », a réussi à recueillir plus de 13000 signatures pour organiser une consultation populaire autour du projet de centre commercial au Parc Léopold. La ville a in fine décidé de formuler ses propres questions sans consulter le collectif citoyen qui les a estimées totalement biaisées. S’en sont suivies différentes « consultations » jugées par le collectif comme des moyens inopérants et « pseudos démocratiques mis en place pour permettre l’expression citoyenne sans volonté politique d’entendre les résultats ». Marcel Guillaume, cheville ouvrière du collectif citoyen, témoigne que malgré la violence (avec le politique, sur les réseaux sociaux,..), l’énergie au long cours nécessaire et les difficultés de ce type de projet, les citoyens peuvent faire évoluer positivement la démocratie. Découvrez ici les détails de cette véritable saga qui dure depuis 9 ans.
Le collectif plan B Brussels, rencontré en juillet dernier, soutient également fermement l’idée que le pouvoir reste dans les mains des citoyens. Ils ont mis en place depuis quelques années un suivi rapproché du conseil communal bruxellois avec un compte-rendu ludique de chaque séance, des interpellations citoyennes, mais aussi la mise sur pied, lors des dernières élections régionales, d’une liste citoyenne tiré au sort . Ils nous invitent à faire de même dans nos communes : « si nous n’aimons pas la façon dont les politiques s’organisent et décident de [notre] futur, arrêtons de râler et mouillons-nous».
Une façon de se « mouiller » comme plan B est de demander par exemple les ordres du jour, les comptes rendus des conseils communaux auprès de sa commune voire de l’interpeller. En effet, à quelques exceptions près, « Vous avez le droit de demander des informations à toutes les autorités publiques et de recevoir des réponses. » Le site transparencia aide tout citoyen à effectuer une demande d’accès à l’information qui reste ensuite accessible et visible en ligne en toute transparence. Si le citoyen n’obtient pas gain de cause en matière d’accès à l’information environnementale, il peut adresser un recours gratuitement à la CRAIE (commission de recours pour le droit d’accès à l’information en matière environnement). Pour en savoir plus à ces sujets, découvrez les interventions de Jean-François Putz juriste à IEW et Patrick Installé, citoyen, membre de Transparencia et du Conseil citoyen.
Les deux témoignages de collectifs citoyens cités plus haut mettent en évidence que les manières d’interpréter la participation peuvent être très différentes selon que l’on est citoyen ou autorité politique. Un autre exemple nous a été illustré par les budgets participatifs. Les « budgets de soutien à la participation citoyenne » proposés par la Région Wallonne dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) sont souvent nommés erronément « budgets participatifs ». Pour l’aisbl Periferia, ce sont en réalité des enveloppes à projets et pas des budgets participatifs qui sous-entendent une finalité politique démocratique. . Le budget participatif est « un processus par lequel la population définit la destination des ressources publiques, des budgets en totalité ou en partie (le plus fréquent) de l’investissement ». Cette approche permet aux citoyens de mieux comprendre les finances communales et de participer en profondeur aux choix politiques qui les concernent… bien plus qu’au travers de financement de (micro) projets de quartier dans les communes. Pour en savoir plus, avec des exemples et conseils de Periferia pour les mettre en place, rendez-vous ici , ici ou ici.
Toutes ces rencontres nous permettent de voir qu’un processus vers plus de démocratie participative est en marche. Développer la citoyenneté dès le plus jeune âge contribuerait très certainement à le renforcer ! C’est le pari en tout cas du Lycée Intégrale Roger Lallemand (LIRL) à Ixelles. Sous l’impulsion de son directeur, Tanguy Pinxteren, ce lycée a mis en place une pédagogie active dans l’idée de développer l’esprit critique des élèves et ainsi construire leur citoyenneté. Différents outils et conseils sont pratiqués par les enseignants et les élèves pour qu’ils puissent s’exprimer, proposer, délibérer, coconstruire. Mais pas n’importe comment car, comme le précise Geoffroy Carly du centre d’entraînements aux méthodes de pédagogies actives (CEMEA), « dans les pédagogies actives, l’adulte ne disparait pas, il est le garant d’un cadre clair » s’appuyant à la fois sur un projet politique et des outils adaptés. Découvrez en plus sur les pédagogies actives et leur lien à la citoyenneté en écoutant les interventions de Geoffroy et de Tanguy ici.
Nos prochaines rencontres à ne pas manquer :
Le 1er juillet : Quel(le)s mécanismes et logiques pour disposer de temps de “citoyenneté” et permettre aux citoyen·ne·s de participer ? Nous rencontrerons l’association Tempo Territorial (un réseau constitué d’acteur.rice.s qui s’intéressent aux moyens de concilier vie professionnelle et personnelle) et le conseiller politique Michel Cermak, co-auteur de l’ouvrage “Partageons le temps de travail”.
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- « Le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu’il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu’il désigne. » « Après cette déclaration, les deux chambres sont dissoutes de plein droit. » « Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l’article 46. » « Ces chambres statuent, d’un commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision. » « Dans ce cas, les chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d’elles ne sont présents ; et nul changement ne sera adopté s’il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages. »
- 8 points ont été discutés par un panel constitué de 66 citoyens tirés au sort et de 33 élus. Ils ont pu recevoir des suggestions et des recommandations des citoyens, des experts. Une liste de recommandations qui ont été suivies par le gouverment et le parlement et ont organisé des référendums.