Le 12 mars dernier, le philosophe Drieu Godefridi réclamait le démantèlement du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et annonçait une conférence qu’il donnera à ce sujet le 28 avril.
Nous mettons ici en évidence les failles de son argumentation, et montrons en quoi le fait de s’en prendre au messager qu’est le GIEC est un élément prioritaire dans la stratégie des climatosceptiques.
Drieu Godefridi semble miser beaucoup sur le fait que peu de non spécialistes liront les rapports du GIEC, et qu’il peut donc, sans grand risque, faire dire à ce dernier dans la presse ce qu’il ne dit pas.
Acte I. Le philosophe affirme – erronément – que le GIEC est une organisation scientiste, qui prétend déduire des normes de la science, niant par là même le rôle des jugements de valeur.
Le GIEC est pourtant on ne peut plus clair dans ses rapports : « La détermination de ce qui constitue une perturbation anthropique dangereuse du système climatique (…) fait intervenir des jugements de valeur » et « l’élaboration de politiques climatiques exige jugements de valeur et considérations éthiques », en conséquence de quoi le GIEC rappelle aux décideurs qu’ « il n’est pas du domaine de la science d’identifier la meilleure politique climatique ».
Acte II. Drieu Godefridi accuse ensuite – à tord – le GIEC de poursuivre un programme politique, celui de la décroissance et de l’écologie profonde.
Or le GIEC n’envisage pas la décroissance volontaire. Il met en évidence des scénarios et des mesures de lutte contre les changements climatiques pour lesquels l’impact négatif sur la croissance est minime. Son message est même l’inverse : « les effets projetés des changements climatiques résultent en une réduction de la croissance économique ». Selon le GIEC, c’est l’absence de réaction qui risque de nous mener à une forme de décroissance subie, la lutte contre les changements climatiques étant susceptible de sauver la croissance.
Et pour le secteur énergétique, le GIEC cite parmi les options permettant de limiter les émissions de CO2, non seulement l’énergie solaire, éolienne, hydraulique et la biomasse… mais aussi le nucléaire, ou le charbon associé au captage et stockage du CO2. Pas exactement le programme des « Verts »…
Quelles que soient nos opinions politiques, on peut considérer que le mandat du GIEC est d’examiner toutes les options de lutte contre les changements climatiques. Et il n’y a pas de raison qu’une décroissance sélective soit plus taboue que d’autres options.
Acte III. De ses deux critiques, le philosophe tire la conclusion qu’il faut démanteler le GIEC. On peine à voir la logique. Si d’aventure il avait des critiques fondées à formuler, pourquoi demander un démantèlement plutôt qu’une réforme ? Le climat ne reste-t-il pas un enjeu fondamental ?
Tirer sur le messager
Drieu Godefridi est membre du collectif climatosceptique « 15 Vérités » avec lequel il cosigne un livre qui s’auto-proclame « véritable bible du climato-scepticisme ». Cet ouvrage est en outre publié par la maison d’édition que Godefridi dirige en personne…
Dans une conférence de 2012 disponible en ligne, Drieu Godefridi esquissait une stratégie climatosceptique : « Il doit y avoir un certain nombre d’initiatives qui soient coordonnées. Mais là où il faut porter le fer, je le crois prioritairement, c’est sur la nature du GIEC (…) Dans le débat scientifique proprement dit – indépendamment de moi, il y en a d’autres qui sont des scientifiques avec nous – c’est beaucoup plus difficile de convaincre les gens, parce que les gens ne comprennent rien. Moi non plus d’ailleurs ! »
Décrédibiliser le messager est une stratégie de choix pour les climatosceptiques ; elle leur permet, sans même argumenter sur le danger climatique, de jeter sur lui le doute et d’en détourner l’attention.
« Machination » contre le capitalisme
La motivation de Drieu Godefridi semble idéologique. Il prétend ainsi que la « thèse fondamentale du GIEC » est que « le capitalisme en dernière analyse doit être supprimé sous peine de mettre en péril la survie même de l’humanité ». Et de dénoncer dans ses écrits ce qu’il appelle le « réchauffisme » – la conclusion que l’homme est responsable du réchauffement climatique – comme « la plus grande imposture intellectuelle de la science moderne ».
Il affirme ne rien comprendre au climat, mais cela ne l’empêche pas, pour défendre un capitalisme qu’il croit mis en cause, de balayer d’un revers de la main les recherches recoupées de milliers de scientifiques. L’historienne des sciences Naomi Oreskes a montré que cette posture était courante au sein des climatosceptiques américains.
Qu’il s’agisse de Drieu Godefridi, de l’auteur de cet article, ou même des scientifiques du GIEC, chacun a droit à ses opinions politiques, en saine démocratie. Et il faut un débat politique sur les réponses à apporter aux risques posés par le dérèglement climatique. Cependant, nier les enseignements de la science relève d’un autre registre que celui de l’opinion politique : celui du déni de réalité. Et l’on ne peut tenir aucun débat politique sur cette base.
Carte blanche publiée dans le journal l’Echo du 24 avril 2015
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