Le 20 février 2012, la Commission européenne a publié un rapport majeur sur l’état de la science concernant les perturbateurs endocriniens. Ce rapport examine les éléments nécessaires pour définir et identifier ces substances – étape indispensable à leur inclusion dans les catégories de substances chimiques bannies ou sévèrement contrôlées par les différentes législations européennes.
Si les perturbateurs endocriniens sont largement associés aux malformations génitales chez les garçons à la naissance – entrainant aussi une plus faible fertilité – l’exposition quotidienne à ces substances issues de notre environnement pourrait également contribuer aux cancers du sein et des testicules, à l’obésité, au diabète, ainsi qu’à d’autres maladies chroniques (voir notamment ces articles).
Réduire l’exposition à ces substances offre ainsi une opportunité majeure de limiter les risques de développement de ces maladies. Mais il manque dans la législation la mention d’un recours à une approche largement reconnue et appliquée systématiquement pour identifier les substances chimiques concernées. Commandité par la Commission européenne et réalisé par Andreas Kortenkamp, un des plus grand spécialiste de la question, ce nouveau rapport (A study on the State of the Art of the Assessment of Endocrine Disruptors) apporte des propositions de comblement de cette lacune.
Le rapport met en évidence les propriétés des perturbateurs endocriniens, y compris leur capacité à causer des dommages irréversibles et des dommages à long terme. Ces propriétés justifieraient la création d’une catégorie spécifique – au même titre que les substances persistances, bioaccumulables et toxiques (PBT) ou les substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR). Outre cet examen de l’état de la science sur les perturbateurs endocriniens (sur leurs effets de manière générale, mais aussi sur les effets spécifiques des PCBs, des PCDDs, des PDCFs, des PBDEs, des PFCs, de plusieurs pesticides et métaux lourds, du BPA, des phtalates et des parabènes), le rapport analyse également l’adéquation de la législation européenne pour identifier et contrôler ces substances au vu de leurs caractéristiques et des dommages qu’ils peuvent adresser à la santé humaine.
Par cette publication, Andreas Kortenkamp donne un coup de projecteur aux travaux européens visant à développer des critères d’identification des perturbateurs endocriniens et à les réguler – notamment par le biais des législations spécifiques aux produits phytopharmaceutiques, aux biocides, REACH et peut-être dans un avenir proche les législations relatives aux cosmétiques, aux jouets et aux contenants alimentaires, par exemple.
Parmi les constats formulés par le groupe de recherche : l’identification d’un nombre limité d’impacts sur le système hormonal des méthodes de test reconnues et validées internationalement à l’heure actuelle. Les exigences d’informations et de tests définies dans la législation européenne ne permettent pas non plus d’identifier tous les effets mesurables.
Dix ans après la publication de la première stratégie européenne sur les perturbateurs endocriniens, cette nouvelle publication constitue un jalon supplémentaire et incontournable pour mieux cerner le risque représenté par les perturbateurs endocriniens. Les recommandations formulées dans le document doivent trouver leur place dans le cadre de la révision de cette même stratégie, de manière à faire face aux menaces qu’ils font peser sur la santé publique. Ces substances nécessitant une approche cohérente et coordonnée entre les différentes législations y applicables, la stratégie européenne est donc clairement à privilégier pour la définir ainsi que les principes de sa mise en ½uvre.
Toutes les responsabilités n’incombent bien entendu pas à l’Europe – loin de là. De nombreuses possibilités de mesures appartiennent aux Etats-membres : interdiction, information, obligation de substitutions en sont quelques exemples. Les récents débats menés au Sénat et à la Chambre sont particulièrement illustratifs des difficultés de cette thématique : le soutien des scientifiques auditionnés à une mesure d’interdiction du BPA dans les contenants alimentaires n’a pas eu le poids suffisant pour contrer les intérêts des industriels. Bien sûr, l’annonce de la mise sur pied de mesures implémentées « par étape » va dans le bon sens, mais chaque report constitue une perte de temps dans la lutte contre les nuisances. Et les arguments justifiant ces tergiversations sont-ils recevables ? Est-ce bien aux autorités publiques de financer des recherches d’alternatives au BPA dans les contenants alimentaires ? Le biomonitoring réalisé dans le cadre du projet DEMOCOPHES est important, mais on est en droit de regretter que les conseils donnés dans la fiche d’information sur le BPA se limitent à un « Veiller à utiliser les produits conformément aux instructions »…
La fixation d’objectifs de réduction, contraignants et à moyen terme, comme prévu initialement dans la proposition de loi, permet de faire passer un message à la fois clair pour l’industrie et cohérent pour la population. Le rapport de l’ONU dont la presse s’est faite l’écho ces derniers jours sur l’épidémie d’obésité et des mesures à prendre pour la limiter (en terme de taxation, de suppression de la publicité, etc.) appelle également à l’action. Car, comme le reconnaît la FEVIA elle-même, l’environnement joue aussi un rôle. Réduire l’exposition des citoyens aux perturbateurs endocriniens – comme l’aurait permis l’interdiction généralisée du BPA dans les contenants alimentaires – doit pouvoir être envisagée et concrétisée politiquement.
Si les intervenants au débat parlementaire reconnaissent la nécessité d’avoir une approche globale concernant les perturbateurs endocriniens, pourquoi la proposition de résolution allant dans ce sens a-t-elle été rejetée par les sénateurs de la Commission santé publiques ? Les hésitations manifestées d’interdire le BPA au vu des incertitudes sanitaires qui pèsent sur ses alternatives montrent bien l’aberration du système actuel, qui permet encore à des substances dont on ignore les impacts sanitaires et environnementaux d’atteindre le marché. Même si REACH est appelé à améliorer la situation, nombre de substances sont à l’heure actuelle insuffisamment couvertes par le règlement, du fait du temps nécessaire à sa mise en ½uvre, voire pas du tout, tels les nanomatériaux. La crise économique, qui « impose » des coupes sèches en termes de force de travail au sein des administrations, n’aide évidemment pas cette dernière à mener à bien l’ensemble de ses tâches…
La publication du rapport Kortenkamp ouvre la voie à de nombreuses avancées législatives. Espérons que l’Europe profitera de cette opportunité pour concrétiser les engagements pris par le passé !
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