La première page de l’édition du Soir de ce vendredi 24 nous a quelque peu surpris : le lobby nucléaire avait-il réussi à se payer ce support de choix comme espace publi-rédactionnel ? Ou le penchant de la presse générale – exacerbé, en ces temps de crise – pour en remettre une couche sans apporter d’éléments d’analyse suffisants pour que le lecteur se fasse une opinion avait-il de nouveau frappé ?
En première page de cette édition donc, le quotidien se plait à agiter l’épouvantail de l’explosion des prix de l’électricité en cas de sortie du nucléaire dans notre pays. Un épouvantail bien boiteux, nous allons le montrer, dont l’action ne peut que piètrement protéger le champ de la propagande d’un secteur nucléaire à juste titre inquiet pour son avenir. (voir notamment le pseudo débat à propos de l’énergie mis en ligne par Electrabel et qui n’est rien d’autre qu’une action de propagande au service du nucléaire)
Le Soir se base sur une étude de la CREG datant de septembre 2010 dont il a reçu une version actualisée, étude qui n’est en fait – le journal n’en dit mot – qu’un exercice purement théorique, et ce, sous deux aspects.
Tout d’abord, l’impact sur le prix du consommateur est calculé par la CREG via l’évolution d’un paramètre, appelé Nc[Le paramètre Nc est sensé refléter l’évolution des prix des combustibles utilisés pour produire l’électricité en Belgique.]]. Ce paramètre, bien qu’utilisé par de nombreux fournisseurs dans leur formule tarifaire pour les clients résidentiels, a été dénoncé par la CREG elle-même pour son manque de représentativité des coûts réels de production et d’achat de l’électricité en Belgique, laquelle [CREG refuse en conséquence de publier sa mise à jour. Dans le cadre d’une sortie totale du nucléaire, le parc de production d’électricité serait tellement modifié que le paramètre Nc perdrait même tout à fait sa raison d’être….
Ensuite, la CREG calcule l’impact qu’aurait une fermeture immédiate des 3 plus anciens ou de la totalité des réacteurs nucléaires sur les prix payés par les consommateurs résidentiels. Il s’agit de scénarios qui diffèrent nettement du cadre prévu par la loi de sortie du nucléaire de 2003 qui fixe une fermeture progressive des réacteurs avec une mise hors service des 3 plus anciens réacteurs en 2015 et des 4 autres entre 2022 et 2025. D’ici 2015 et surtout d’ici 2025, beaucoup de choses peuvent encore changer sur le marché de l’énergie, dont, c’est une évidence, l’abandon de la formule tarifaire utilisée dans l’étude. Bref, et cela déforce totalement les propos du Soir, les chiffres de la CREG ne nous disent pas grand chose de l’impact sur les prix de la sortie du nucléaire.
Notons au passage que les chiffres actualisés et les chiffres de l’étude originelle de septembre 2010 ne diffèrent que très peu : l’étude de 2010 estime l’augmentation de la facture annuelle globale à 4% en cas de fermeture des 3 plus vieux réacteurs et à 19% si tous les réacteurs fermaient. Les chiffres actualisés annoncent 5% et 19%. On est en droit de se demander en quoi une telle info mérite la une !
Ceci étant dit, il reste néanmoins vrai que la sortie du nucléaire conduira probablement à une augmentation – temporaire – des prix de l’électricité. Mais personne aujourd’hui n’est en mesure de d’en préciser l’ampleur. Le prix de l’électricité est déterminé par de nombreux facteurs. Le fonctionnement du marché, le soutien aux énergies renouvelables, le financement des réseaux, la hausse des prix du pétrole, du gaz et le prix du CO2, … tous ces éléments jouent un rôle dans la formation des prix dans un marché libéralisé. Lors de la fermeture des 7 réacteurs nucléaires allemands suite à Fukushima, l’augmentation des prix a été négligeable comparée aux hausses de prix de l’électricité en raison du prix du pétrole et du gaz.
Ce que par contre personne (ou presque) n’ose encore dire aujourd’hui, c’est que l’énergie, et l’électricité en particulier, n’est pas assez chère ! Ce qui entraîne gaspillage conséquent.
Partons, pour éclairer la chose, d’une petite comparaison éclairante. La capacité quotidienne de travail musculaire d’un individu est de l’ordre de 200 à 300 Wh/jour. Avec 1 kWh, soit l’énergie dépensée par 3,3 à 5 jours de travail, on peut : faire “tourner” un lave-linge ou rouler 2,6 km en Smart ou encore rouler 525m en Hummer H2 … Nous avons perdu de vue dans nos sociétés combien l’énergie a permis de décupler notre action et combien ce bien précieux est gaspillé.
Vous nous rétorquerez que l’énergie est déjà impayable pour nombres de nos concitoyens qui éprouvent de plus en plus de difficultés à payer leurs factures. Comment l’énergie peut-elle encore augmenter sans provoquer des drames sociaux ?
Nous sommes convaincus que la réponse la plus adaptée pour maîtriser la facture énergétique est d’investir dans les économies d’énergie. La Belgique est l’un des pays les plus énergivores d’Europe. Nous bénéficions d’un énorme potentiel pour réduire nos consommations et notamment celle d’électricité. Selon une étude réalisée par l’institut allemand Fraunhofer[Fraunhofer, Gestion de la demande d’energie dans le cadre des efforts à accomplir par la Belgique pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (2003)]], notre pays peut économiser 10 TWh d’électricité d’ici 2020, simplement en ramenant notre demande au niveau des pays voisins. En exploitant l’ensemble du potentiel d’efficacité énergétique économiquement rentable, nous pourrions même économiser jusqu’à 18 TWh. C’est plus que les 15 TWh produits par les trois plus anciens réacteurs nucléaires. De plus, une part importante de ces économies peut être réalisée à court terme. Une étude menée par le bureau E-Ster[[E-Ster, [Potential of short-term energy efficiency and energy saving measures in Belgium (2006) ]] a calculé en 2006 que – moyennant une politique d’économie d’énergie volontariste – 9,5 TWh d’électricité peuvent être économisés dans les deux ans.
Aussi, nous ne pouvons qu’inciter nos responsables politiques, de ne pas se laissez-pas distraire par les épouvantails en tout genre et de se mettre dès aujourd’hui au travail pour ouvrir la voie à une société sobre en énergie et qui garantisse l’accès à tous à une énergie durable.