La transition énergétique nous impose de réduire fortement notre demande en énergie : il sera en effet plus difficile et plus cher de sortir des énergies fossiles sans travail sur la demande. Sans action sur notre consommation énergétique, la décarbonation de nos sociétés à l’horizon 2050 (voire 2040 si on espère encore limiter le réchauffement climatique à +2° ?) est illusoire. L’efficacité, qui se traduit par des solutions techniques comme l’électrification des usages ou l’isolation de nos bâtiments, et la sobriété, qui se traduit par des changements de comportement, doivent être actionnées toutes les deux pour réussir à diminuer nos besoins en énergie.
Si l’année 2022 a été exceptionnelle en termes de baisse de consommation d’énergie au niveau européen (avec une baisse de 19% de la consommation de gaz naturel) comme au niveau belge (avec une diminution de 8% de la consommation d’énergie primaire par rapport à 2021), elle le doit en grande partie au facteur prix qui a connu un emballement notable avec la guerre en Ukraine (l’hiver relativement doux a également joué).
Jouer sur le facteur prix semble donc être une option pour serrer la ceinture de nos appétits très (ou trop ?) énergivores. Tous les experts s’accordent d’ailleurs sur le fait que la transition énergétique aura un coût important pour la société (investissement dans une énergie, une mobilité ou une industrie décarbonée). Ce coût ne pourra pas être supporté par l’Etat (et donc le contribuable) uniquement, il faudra qu’il soit répercuté, d’une manière ou d’une autre, dans la facture du client final.
Au niveau européen, on semble également penser que le signal prix joue un rôle important. En effet, la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre repose principalement sur un levier, le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE, plus connu sous l’acronyme anglais ETS pour Emission Trading Scheme). Ce mécanisme, qui s’applique pour le moment uniquement à certaines industries (secteurs énergivores et producteurs d’électricité), sera élargi dès 2027 au secteur résidentiel et au transport routier (ETS2), impactant donc les particuliers et les petites entreprises jusque là épargnés. En gros, chacun devra payer un supplément pour compenser les émissions liées à sa consommation de carburants fossiles. Une augmentation du prix des énergies fossiles, donc, qui devrait jouer sur la réduction de la consommation de ceux-ci.
Une bonne chose, donc, pour autant que le mécanisme soit efficace et amène une réelle diminution des émissions. Un système qui repose aussi principalement sur une croyance aigüe dans le fonctionnement du marché du carbone, avec un prix qui fonctionne (qui implique de réels changements dans les comportements) et un nombre de quotas d’émissions (ou permis de polluer gratuits) qui soit suffisamment ambitieux pour nous amener vers les objectifs fixés en termes de décarbonation. Selon les estimations du SPF Santé publique, un prix de 45€ la tonne de CO2 aurait un impact annuel moyen de 130€ par ménage à l’horizon 2030. Pour un litre de carburant routier à la pompe (diesel ou essence), l’augmentation serait de l’ordre de 6%. Pour le chauffage des bâtiments, l’augmentation serait supérieure à 10%. Sera-ce suffisant pour changer nos comportements ? Evidemment, ces estimations reposent sur un prix carbone de 45€/tonne, ce qui n’est pas une garantie en soi. Le système de marché pourrait finalement conduire à un prix plus élevé… comme plus bas !
Au niveau belge, le monde politique ne semble pas particulièrement convaincu par le rôle du signal prix. En effet, lors de la crise énergétique de 2022, la réaction de nos dirigeants élus a plutôt été de subventionner massivement l’énergie pour éviter une casse sociale trop importante, notamment en abaissant, de manière définitive, le taux de TVA pour le gaz et l’électricité de 21 à 6%. S’il a été décidé de compenser partiellement cette baisse de la TVA par un régime d’accises sur ces mêmes produits, on peut regretter que la réforme n’ait pas été plus loin une fois que les marchés énergétiques se soient calmés.
On aurait pu, par exemple, profiter de ce momentum pour pousser davantage à l’électrification des usages en faisant passer une part de la fiscalité de l’électricité vers les énergies fossiles. Si ce shift fiscal est bien présent dans l’accord sur le conclave budgétaire d’octobre 2023, son ambition laisse à désirer : le shift ne sera que partiel, entrera en vigueur à partir de 2028 et ne concerne pas le mazout de chauffage et le charbon. Pas de quoi changer la donne pour promouvoir les pompes à chaleur avant presque 10 ans, donc. Comme si on avait encore le temps de repousser notre transition énergétique, en somme.
Les énergies fossiles bénéficient largement d’un soutien fiscal (voitures de société, diesel professionnel, exemption de taxes sur le fuel aérien, …). L’arme du signal prix ne semble donc pas avoir les faveurs de la classe politique, d’autant plus à l’aube de la campagne électorale où l’on voit davantage poindre le mirage d’une énergie abondante et peu chère qu’une augmentation future de la facture énergétique.
Une énergie plus chère, proche de son véritable coût-vérité (qui intègre également les externalités qui y sont liées) est donc une bonne nouvelle d’un point de vue environnemental. Mais elle porte en elle des questions sociales importantes, avec de nombreux citoyens qui ne pourraient plus subvenir à leurs besoins de base ou de nombreuses entreprises qui ne pourraient plus survivre. La question environnementale doit se mener de front avec le combat social, pour une transition juste et durable, qui n’oppose pas fin du monde et fin du mois.
Les aides actuelles ne fonctionnent malheureusement pas en ce sens, avec un focus qui n’est pas spécifiquement dirigé vers les personnes qui en ont le plus besoin. Lors de la crise énergétique de 2022, le Gouvernement a préféré un système de soutien global, via des baisses de la TVA ou des chèques mazout, indépendants donc du revenu du bénéficiaire. Une énergie largement subventionnée, donc. Si on peut comprendre cet empressement suite à la situation chaotique de la guerre en Ukraine, il convient de faire mieux et plus ciblé maintenant que la situation s’est calmée au niveau des marchés énergétiques. A l’heure de la campagne électorale, on en est pourtant loin !
Canopea souhaite donc questionner la vision énergétique du futur. Il est nécessaire d’appliquer un réel coût-vérité sur l’énergie, et sur les carburants fossiles en particulier, pour inciter les gens à en consommer mieux et moins. Tout comme il est nécessaire d’accompagner les personnes qui souffriront le plus de la situation, que ce soient les ménages précarisés qui n’arrivent plus à se chauffer ou les petites industries ou indépendants qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !