Cet article édifiant, publié sur LeMonde.fr, résume les dangers des sciences cognitives et sociales mises au service d’une publicité de plus en plus agressive. Une mise au point nécessaire et salutaire avant l’annonce du jugement qui doit être prononcé contre des activistes du collectif « les Déboulonneurs », comparaissant pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires.
Procès des Déboulonneurs de pub : et la liberté de (non) réception ?
Article complet paru sur le site Le Monde.fr
Par Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales
« Il serait inique que des barbouilleurs animés par un esprit civique de dépollution des images soient poursuivis et condamnés, alors que tant d’ignominies dues à la recherche du profit maximum sont tolérées. » Edgar Morin.
Le 3 avril, huit personnes du collectif « les Déboulonneurs » comparaissaient à la chambre d’appel correctionnelle de Paris pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires. Lors du procès, le réquisitoire du procureur a largement reposé sur l’argument d’une atteinte à la liberté d’expression des annonceurs. Le jugement devant être rendu mardi 26 juin, il nous est apparu urgent de rappeler les éléments montrant que la publicité, par ses mécanismes mêmes, porte atteinte à certaines libertés de l’individu et qu’elle peut avoir des effets nocifs sur la société en termes de santé publique (surcharge cognitive, stress, obésité…).
Les sciences cognitives et sociales (neurosciences, psychologie et sociologie notamment), disciplines dont nous relevons, tendent à montrer que la publicité biaise nos comportements les plus automatiques, y compris de façon inconsciente. Et si l’émergence des techniques d’exploration du cerveau nous permettent de mieux comprendre ces mécanismes, nous voulons montrer ici que ces nouvelles connaissances et leur appropriation par le domaine publicitaire (en particulier via le neuromarketing) requièrent un débat le plus large possible sur la présence de la publicité dans l’espace public.
INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ SUR NOTRE COMPORTEMENT ET NOTRE CERVEAU
Rappelons tout d’abord l’origine historique de la publicité. Le premier grand saut technique s’opère au début du XXe siècle, en passant d’une simple répétition mécanique du message à une méthodologie élaborée de persuasion des masses. L’un des principaux pionniers de cette « manufacture du consentement » s’appelle Edward Bernays et n’est autre que le neveu de Freud. Il décide d’utiliser les découvertes de la psychanalyse pour parvenir à une « manipulation consciente, intelligente des opinions et des habitudes » par des « chefs invisibles » (The Century of the Self, 2002). L’exemple le plus frappant de cette nouvelle démarche publicitaire est la diffusion dans la presse de photos de jeunes femmes belles, modernes et indépendantes, fumant des cigarettes appelées « torches de la liberté ». En incitant les femmes à fumer à une époque où ce comportement était réprouvé, Bernays se vanta d’avoir doublé la taille du marché potentiel de l’industrie du tabac !
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En conclusion de l’article :
Devant les enjeux révélés par les dernières avancées scientifiques, nous souhaitons encourager toute démarche de régulation du système publicitaire actuel et en premier lieu dans l’espace public. En barbouillant des publicités, le collectif des Déboulonneurs a osé un acte de désobéissance civile afin d’être entendu par la collectivité et de pousser le politique à accepter une ré-ouverture du débat. A travers eux, c’est la liberté de non-réception des citoyens que nous devons défendre.