Projet de décret relatif au Code forestier : analyse

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Le code forestier de 1854 a protégé la propriété forestière en général et a organisé la gestion des forêts publiques. Pour répondre aux exigences actuelles, une révision en profondeur du code forestier était indispensable afin de correspondre aux nouveaux enjeux sociétaux. L’avant-projet de décret passe au Parlement wallon cette semaine. Le projet introduit pour la première fois la notion de développement durable et apporte des réponses pour trois des quatre fonctions de la forêt : la fonction économique, la fonction environnementale et la fonction sociale. La fonction cynégétique n’est pas abordée dans ce projet de texte. S’il est compréhensible de scinder cette problématique du code forestier, l’équilibre forêt – gibier reste un passage obligé de toute gestion durable des forêts. Ce devrait être un dossier prioritaire du gouvernement.

Une réelle avancée !

Le décret proposé apporte une réelle avancée en matière de gestion multifonctionnelle de la forêt :

 Sur le plan social : le décret organise et cadre de manière proportionnée la circulation en forêt et l’utilisation des espaces forestiers notamment pour les mouvements de jeunesse. La participation du public est sollicitée à travers la soumission à enquête publique des plans d’aménagements et par une composition plus équilibrée du conseil supérieur des forêts.

 Sur le plan économique : le décret va dans le sens d’une production de bois de qualité en adéquation avec le milieu. Il encourage le choix judicieux des essences à favoriser en adéquation avec les conditions de stations forestières (respect du fichier écologique des essences) et l’évolution du climat. L’attractivité des forêts pour le tourisme et l’exemption des droits de succession sont tout bénéfice sur le plan économique pour une gestion forestière durable.

 Sur le plan environnemental : le projet intègre davantage la protection de l’environnement au sein des forêts et de la biodiversité en forêt soumise, et ce, de manière proportionnée, sans porter atteintes aux fonctions économiques de la forêt. Le projet renforce essentiellement le rôle et la responsabilité des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre d’une gestion durable à travers les plans d’aménagement.

Ce projet de décret est donc une bonne avancée en regard de la gestion durable et multifonctionnelle de la forêt publique et privée. Toutefois, le projet comporte encore des points réellement problématiques et n’aborde que trop partiellement certains enjeux majeurs pour l’avenir de nos forêts.

Vers un équilibre des forêts feuillues et résineuses ? Un point très problématique …

L’article 1er vise à « maintenir ou rétablir un équilibre entre les surfaces de peuplements feuillus et de peuplements résineux ». Or, cet équilibre n’a en soi aucune base économique ni même environnementale et n’est en rien garant d’un développement durable. Au contraire, il peut s’avérer être extrêmement dangereux pour la biodiversité de nos forêts. Et pour cause :

 23% des plantations résineuses actuelles (52.000 ha) sont installées sur des sols incompatibles (principalement des sols hydromorphes ou alluviaux) et 15% (34.000 ha) sur des sols peu compatibles (Etat de l’Environnement Wallon). Soit 38 % de plantations résineuses (plus de 15 % de la forêt wallonne) qui, à terme, risquent d’être déplacées sur des sols occupés par la forêt feuillue car la culture du résineux n’est plus économiquement rentable dans ces cas bien identifiés et interdites par le code forestier en raison du non respect du fichier écologique des essences.

 Il serait inacceptable que, sous prétexte de maintenir ou restaurer un équilibre 50% – 50%, l’on aboutisse à un transfert des plantations résineuses installées sur des sols incompatibles vers des bons sols forestiers, et ce, au détriment de forêts feuillues existantes. Celles ci sont dans leur grande majorité des anciennes forêts. Elles ont conservé un caractère indigène marqué et n’ont pas été affectées dans le passé à l’agriculture ni à l’enrésinement. Elles sont plus riches en biodiversité et possèdent un grand potentiel de restauration de la biodiversité.

 En outre, la forêt feuillue répond le mieux à l’objectif désormais prioritaire de gestion multifonctionnelle de la forêt ; notamment en matière d’écologie, de protection des ressources en eau et de divertissement ; et ce surtout dans le cadre du réchauffement climatique.

D’un point de vue économique, le maintien de cet équilibre est proposé pour préserver les filières en place, mais cela a-t-il un sens ?

 Les filières sont tout à fait capables de répondre et de s’adapter à l’évolution des productions forestières. Elles l’ont fait par le passé avec l’épicéa et plus récemment avec le douglas. Demain, elles pourraient aussi bien valoriser les feuillus précieux comme c’est déjà le cas ailleurs…

 S’il faut orienter la production, c’est clairement au bénéfice des autres fonctions de la forêt en vue notamment d’atténuer l’impact des changements climatiques.

Sur base de ces constats et considérations, le principe proposé de maintenir ou rétablir un équilibre est tout simplement injustifié et inopportun. C’est au contraire, la protection des anciennes forêts qu’il faut assurer.

Le code forestier et la biodiversité : une plus grande responsabilité en forêt publique

Il importe de souligner les avancées importantes réalisées par ce projet en forêt publique pour la prise en compte de la biodiversité. Ce sont cependant des avancées indispensables car l’état de conservation des habitats forestiers est fortement dégradé.

La région s’est engagée à préserver la biodiversité à travers différentes conventions dont par exemple l’Objectif 2010 est d’arrêter l’érosion de la biodiversité. Un objectif au centre de la déclaration de politique régionale et du Contrat d’Avenir Wallon. Il semble dès lors opportun d’intégrer au code forestier un cadre clair à la gestion forestière communale car le temps d’un mandat politique est éloigné du temps de la gestion forestière. De plus, les attentes de nos concitoyens en terme d’intégration des fonctions environnementales et sociales sont aussi légitimement plus importantes en forêts publiques. Et les retombées économiques qui y sont associées bénéficient directement et/ou indirectement (tourisme, préservation de l’eau…) aux communes. Le contexte socio-économique justifie donc une telle différenciation.

Les principales mesures du projet nous paraissent pertinentes et proportionnées. Le maintien d’arbres morts et d’intérêt biologique ne vise pas les arbres de forte valeur économique et n’a donc que peu d’impact sur la rentabilité forestière. Or dans le contexte général du renchérissement de l’énergie et des politiques publiques qui renforcent l’attrait du bois énergie, il est indispensable d’avoir un équilibrage plus normatif pour assurer le maintien de bois mort et d’arbre biologique nécessaire au fonctionnement de l’écosystème et donc à la préservation de la biodiversité.

L’interdiction de planter des résineux sur une largeur de douze mètres de part et d’autre de tous les cours d’eau et sur une largeur de 25 mètres dans des sols à contraintes hydriques fortes est une opportunité de développer sur ces sols des filières de qualité à fort potentiel comme la sylviculture des essences précieuses telles que, par exemple, l’aulne glutineux.

Enfin, la mise en place de 3 % de réserves intégrales concernera, dans la majorité des cas, soit des surfaces peu productives, soit des surfaces difficilement accessibles et donc, de nos jours, exploitées parfois à perte. La norme définie dans le code forestier est correcte comparativement à celles des pays voisins (5 % en Allemagne, 6,4 % en Flandre, 5,6 % aux Pays-bas et 2,2 % en France). Vu l’importance des forêts publiques en Wallonie, cette mesure impliquera moins d’1 % de la surface forestière wallonne (3 % des 136.000 ha – en ce compris les forêts domaniales – de forêt feuillue soumise sur les 553.000 ha de la forêt wallonne) soit moins de 4.000 ha. Un chiffre à relativiser quant on sait que 50.000 ha des forêts feuillues se trouvent sur des sols marginaux en terme de production. Par ailleurs, ce n’est pas une « mise sous cloche » totale car la chasse y reste autorisée ainsi que les autres fonctions de la forêt (notamment sociale par une sensibilisation du public, paysagère, protection des sols, …)

L’exemption des droits de succession sur la valeur des bois sur pied

Cette mesure permettra de supprimer la discrimination actuelle qui conduisait à percevoir des droits de successions cumulés plus importants sur les peuplements à longue révolution. Cette mesure a par le passé orienté la production forestière au profit des peuplements résineux dont l’exploitation peut se faire sur une seule génération. Les monocultures de résineux qui en ont résultés sont nettement moins multifonctionnelles que les peuplements feuillus, il est donc important de supprimer ces droits de succession.

Nous soutenons fortement cette volonté de rendre plus attractif les peuplements feuillus. Mais, rappelons le, si cette mesure devait s’avérer efficace, le gouvernement prendrait ainsi des mesures pour promouvoir les résineux !

L’exemption des droits de succession ne doit pas être accordée sans discernement, il importe de reconnaître la contribution de certains peuplements à la protection de l’eau, de la biodiversité, … Le code forestier n’apporte en effet pas de réelles contraintes aux propriétaires privés : respecter le fichier écologique des essences, limiter les coupes à blancs, encadrer l’utilisation des pesticides et des intrants : cela reste de bonnes pratiques sylvicoles. La dégradation des berges et des écosystèmes aquatiques se perpétuera sous les résineux, les forêts anciennes ne sont toujours pas protégées de la conversion en résineux,… Autant de raisons qui justifient une discrimination positive de l’exemption des droits de succession au profit des seuls peuplements feuillus.

Dans un souci de bonne gouvernance (près de 2.500.000 ¤ pourraient être utilisés à meilleur escient) et pour reconnaître le caractère multifonctionnel de la forêt feuillue -protection des cours d’eau, de la biodiversité, des paysages, … – nous soutenons le maintien de cet avantage aux seuls feuillus. Une discrimination positive simple à mettre en ½uvre puisqu’aujourd’hui les successions sont évaluées sur base de l’estimation de la valeur des arbres en place, estimation qu’il suffira de limiter aux seuls résineux.

Le code forestier face au défi climatique

Des peuplements mélangeant âges et essences sont plus résistants aux aléas climatiques, plus résilients aux agressions de pathogènes et supportent une biodiversité plus élevée. Le code devrait encourager, plus formellement, ces peuplements plurispécifiques et à structure irrégulière. Un tel objectif est synonyme de durabilité et de meilleure capacité d’adaptation de la forêt vis-à-vis des enjeux climatiques et devrait être mieux mis en évidence dans le nouveau code. Ce que nous déplorons.

Canopea