Il n’y a pas de Salon de l’automobile cette année, mais la traditionnelle campagne publicitaire qui d’habitude le précède et l’accompagne est bien présente. La FEBIAC vient d’ailleurs d’envoyer à 2 millions de citoyens un encart pub via la presse. Le moment est donc opportun pour sensibiliser le monde politique à l’intérêt d’une régulation/suppression de la publicité pour l’automobile, ce qu’une coalition de 8 associations a fait. Un reportage dans le JT de la RTBF donne la parole aux différents acteurs. Trois minutes pour faire le point, c’est peu. La Febiac en a profité pour faire passer ses habituels slogans manipulateurs. Démontage de l’intox au CO2 et de l’utilité informationnelle de la pub.
Nous sommes au début du mois de janvier, un moment traditionnellement privilégié pour l’industrie automobile en Belgique : son annuel Salon se tient au Heysel et constitue le bouquet final d’une campagne de marketing et de publicités qui a occupé largement les espaces visuels et sonores durant le mois qui le précède.
Pas de Salon mais une valse de publicités
2020 sera pourtant l’exception : la pandémie de Covid-19 exclut la tenue de manifestations publiques rassemblant autant de personnes en un même lieu. Qu’à cela ne tienne, pour pallier la chose, la Febiac et Mediahuis Advertising publient conjointement Auto 2021, un encart publicitaire : il est distribué dans Het Nieuwsblad le vendredi 9 janvier et dans La Libre Belgique, La Dernière Heure et L’Avenir le lundi 11 janvier. Au total le magazine touchera 1.997.320 Belges1.
Une coalition d’associations et de mouvements citoyens sensibles à ces conséquences négatives de l’automobilité et actrices dans le développement de solutions positives et curatives de mobilité durable a profité de cet envoi massif pour demander aux autorités compétentes de tout mettre en œuvre pour réguler la publicité pour les véhicules les plus polluants2. Des militants antipub ont par ailleurs mené une opération de surcollage dans 5 villes du pays.
Un sujet complexe en trois minutes
Le tout fera un sujet d’actualité du JT de 19h30 sur la RTBF le samedi 9 janvier3: https://www.rtbf.be/auvio/detail_operation-anti-suv?id=2722969.
Les réponses de la Febiac, via son directeur de la communication, monsieur Joost Kaesemans, méritent d’être mises en perspective tant elles constituent une manipulation évidente des faits relatifs aux sujets évoqués.
Il y a les chiffres de l’industrie et ceux de la réalité
« Il n’y a vraiment pas de raison de s’en prendre aux SUV, dit-il. D’ailleurs, jamais le nombre de SUV n’a été aussi élevé en Belgique, et jamais les émissions de CO2 moyennes n’ont été aussi basses. On sait très bien combiner une avancée technologique et environnementale avec le succès d’un certain type de carrosserie.«
Il est vrai que jamais le nombre de SUV n’a été aussi élevé en Belgique : leur part de marché est de 41,88% en 2020 pour 39,1 en 2019 et par exemple 25,9 en 2016.
Il est vrai aussi que jamais les émissions de CO2 moyennes n’ont été aussi basses. Elles auraient baissé de 10,97% en 2020, passant de 121,2 g/km en 2019 à 107,9. Notons que cette baisse survient après 3 années consécutives durant lesquelles la moyenne était repartie à la hausse, notamment à cause de la SUVisation du parc : ce phénomène a particulièrement inquiété l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) qui voyait là « changement structurel silencieux » qui aurait la forme d’un « dramatic shift towards bigger and heavier cars » (un transfert dramatique vers des véhicules plus grands et plus lourds). Elle l’objective au moyen la figure suivante :
Et les conséquences de cette tendance sont, toujours selon l’AIE, conséquentes. Les SUV occupent la seconde place du classement des principaux secteurs ayant contribué à l’augmentation des émissions de CO2 depuis 2010, devant l’industrie lourde et l’ensemble de tous les autres modes de transport utilisant des énergies fossiles. A eux seuls, si la tendance persiste, ces véhicules pourraient annihiler les économies en énergies fossiles réalisées d’ici 2040 grâce à la mise sur le marché de 150 millions de véhicules électriques.
Notons pour la petite histoire que, au cours de ces trois années consécutives d’augmentation des émissions de CO2 des voitures neuves, l’industrie (la FEBIAC en Belgique) s’était justifiée en usant d’une autre contre-vérité : la « dé-dieselisation ». La diminution de la part des motorisations diesel dans les ventes de voitures neuves (diminution consécutive au dieselgate) aurait, selon l’industrie, expliqué cette remontée des émissions, les motorisations essence émettant plus de CO2. Or, un calcul objectif mené sur l’année 2018 montre que cet effet de « dé-deselisation » compte pour moins de 10% de l’augmentation des émissions, plus de 90% de celle-ci étant imputable à la croissance des parts de marché des SUV4.
Comment dès lors expliquer la baisse observée 2020 ? L’industrie, sous la contrainte, a sorti son atout : la motorisation hybride (et un peu l’électrique) ! Et le contexte belge est intéressant, grâce notamment à son régime fiscal des voitures de société qui assure un renouvellement systématique important du parc. Et, il fallait agir car les législations européennes et leurs amendes menacent5 !
Or, – et c’est là que se situe la tromperie – entre les émissions annoncées des véhicules dotés de moteur hybrides et celles réalisées en condition réelle de conduite, il y a un écart important. C’est ce qu’a démontré une étude menée par l’association européenne Transport & Environnement : « T&E’s results also show that even when tested under optimal conditions, the three PHEVs emitted 28-89% more CO2 than advertised on Real Driving Emissions (RDE) test.6 » Ce que la figure suivante illustre.
En 2020, une voiture de société immatriculée sur cinq (20,5%) embarquait une motorisation électrique dont 15,3% d’hybrides (et 5,3% de moteurs 100% électriques).
La Febiac surfe donc sur des chiffres pour le moins fantaisistes, même s’ils sont conformes à la législation européenne – législation que les lobbyistes de l’industrie ont largement contribué à affaiblir, dévitaliser, truffer d’échappatoires. Dire que les SUV ne seraient pas responsables d’importantes quantités d’émissions de CO2 excédentaires – le contraire étant avéré, chiffres à l’appui – et ce, dans un contexte de baisse des émissions moyennes atteinte grâce à une motorisation disponible sur une large gamme de modèles (plutôt haut de gamme) et au moyen de chiffres fortement éloignés de la réalité, relève de la désinformation.
Quand la publicité n’informe pas, elle dé(sin)forme
Ce qui nous amène tout naturellement au second argument à démonter :
« Interdire la publicité ne découragera pas les acheteurs de voitures, mais les privera d’infos. « La publicité permet de montrer comment ce secteur évolue, note Joost Kaesemans. Ce n’est pas un produit qui est figé, stable, qui n’évolue pas, bien au contraire. On est en pleine révolution, et pour montrer ces avancées, ces nouvelles motorisations, on le fait par la publicité. » »
La Febiac confond volontairement, en les assimilant, l’information et la publicité. Je ne ferai pas l’injure au lecteur d’expliquer en quoi l’une diffère de l’autre, mais voici deux trois exemples parmi des milliers nous permettant d’apprécier le haut degré d’information sur le véhicule, les avancées etc… que le pauvre consommateur manquera si l’on interdit la publicité pour ce type de voiture.
Cette assimilation pure et simple de ces deux registres distincts de la communication constitue une manipulation. Pareille attitude, quand elle est devenue un mode récurrent de communication, contribue à cultiver au sein de la vie sociale une indifférence à la vérité7.
Nous nous contenterons donc de demander à la Febiac pourquoi elle privilégie l’information à propos des SUV et autres modèles haut de gamme, plus polluants ? C’est effectivement ce qu’objectivisent les travaux de Pierre Ozer, chargé de recherche, Climatologue, The Hugo Observatory, ULiège.
« La promotion des véhicules SUV pourrait expliquer l’augmentation significative de la proportion de véhicules fortement émetteurs de CO2 durant la période actuelle (après COVID-19). Ainsi, alors que la vente de SUV a été sans cesse croissante durant quinze ans (passant de 6,1 % en 2005 à 39,1 % en 2019) (41,88 en 2020, NDLR), la proportion des publicités pour ces véhicules est de 61,1 % actuellement (Fig. 2). Or, ces SUV, outre le fait d’être plus dangereux pour les usagers faibles, sont également plus polluants par rapport au reste du parc promu (+42,4 % de g CO2/km selon les publicités après COVID-19) »8.
Pourquoi, dit autrement, les véhicules plus modestes, raisonnables et globalement moins polluants ne bénéficient-ils pas de la même attention en matière d’information/publicité ?
C’est donc sans la moindre hésitation que nous maintenons nos revendications raisonnables relatives à la régulation de la publicité pour les automobiles9 :
- au mieux supprimer toute publicité pour les voitures ;
- si une progressivité s’avère nécessaire, interdire toute publicité pour les véhicules à moteur à combustion interne émettant plus de 95 gr/CO2/km (NEDC) ET pour tout véhicule dont le poids, la puissance et la vitesse sont excessifs et dont la forme de la face avant est dangereuses pour les autres usagers de la route.
Notre objectif ultime ? Que des normes de mise sur le marché soient édictées afin que seuls les véhicules raisonnables puissent être mise en vente, les véhicules déraisonnables ne pouvant ne pouvant dès lors plus être produits (https://www.lisacar.eu).
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
- Communiqué du 28 octobre 2020 : Febiac et Mediahuis Advertising publient conjointement Auto 2021.
- Santé, climat et sécurité réclament la régulation de la publicité pour les voitures (https://www.canopea.be/sante-climat-et-securite-reclament-la-regulation-de-la-publicite-pour-les-voitures/)
- La séquence est évidemment précédée par une publicité pour un SUV. Article sur le site de la RTBF : https://www.rtbf.be/info/economie/detail_environnement-les-suv-des-voitures-a-succes-en-belgique-mais-jugees-dangereuses-et-polluantes-par-certains?id=10669774
- Voir notre analyse : https://www.canopea.be/les-suv-a-lassaut-du-climat/
- En 2021, la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Europe devra être égale à 95gCO2/km (NEDC). Un objectif spécifique est attribué à chaque constructeur, sur base du poids moyen des véhicules vendus. Les véhicules hybrides et électriques, dont les émissions sont sous-estimées pour les premiers et considérées égales à zéro pour les seconds, aident les constructeurs à respecter (sur papier) leurs objectifs d’émissions. D’autant que la législation européenne recèle une disposition dite de « bonification » (supercredits en anglais) qui attribue plus de poids aux voitures dont les émissions officielles sont inférieures à 50 gCO2/km.
- Transport &Environment, Carmakers pass the buck onto consumers for plug-in hybrid emissions, https://www.transportenvironment.org/news/carmakers-pass-buck-consumers-plug-hybrid-emissions
- Voir par exemple une opinion intéressante à ce sujet publiée dans La Libre du 09/01/2021 : Pour le moment, Trump a gagné la partie, Guillaume de Stexhe, professeur émérite de l’Université de Saint-Louis, Bruxelles. (https://www.lalibre.be/debats/opinions/du-mensonge-a-la-violence-la-victoire-de-trump-5ff8a70d9978e227df572db7)
- Détails dans cet article : “Après COVID-19 » : les publicités promeuvent des voitures toujours plus polluantes », https://www.canopea.be/apres-covid-19-les-publicites-promeuvent-des-voitures-toujours-plus-polluantes/
- Voir le communiqué de presse co-signé par BRAL, stadsbeweging voor Brussel, Bruxsel’Air , GRACQ-les cyclistes-quotidiens, Fietsersbond, Heroes for Zero, Inter-Environnement Wallonie, Tous à pied, Critical Mass Brussels : Santé, climat et sécurité réclament la régulation de la publicité pour les voitures, https://www.canopea.be/sante-climat-et-securite-reclament-la-regulation-de-la-publicite-pour-les-voitures/