Le Parlement wallon se réunit pour discuter du budget 2025. Celui-ci a été concocté par le Gouvernement lors de son conclave d’octobre et risque fort de passer l’écueil parlementaire comme une lettre à la poste, majorité contre opposition, comme toute bonne démocratie particratique l’impose… Le Gouvernement wallon, fidèle à ses annonces et à sa déclaration de politique régionale, loupe cependant le coche, aux yeux du monde environnemental, en renvoyant à plus tard toute notion de développement durable. Sans oublier que, une nouvelle fois, il relègue l’exercice budgétaire à un écran de fumée total pour la très grande majorité de la population.
Se plier au jeu de l’exercice budgétaire est loin d’être une sinécure, il s’agit d’un travail pénible, aussi bien pour les personnes qui le rédigent que pour ceux qui sont chargés de l’analyser. Oui, mais ce ne doit pas être une fatalité pour autant, un budget peut aussi devenir un outil politique de premier plan pour éclairer les citoyens (et futurs électeurs) sur l’action rondement menée par un gouvernement proactif, ambitieux et soucieux du bien-être de la population ! Il peut même être le marqueur clair d’une ligne directrice au sein d’un gouvernement (par exemple, si la technique du green budgeting est mise en application), ce qui est loin d’être une évidence au moment où la population a l’impression d’être gouvernée par une armée de technocrates qui ne compte pas spécialement révolutionner le monde.
Ce bel idéal démocratique nécessite cependant une condition sine qua none : Le budget doit être présenté de manière lisible, y compris pour ceux qui n’ont pas d’assistants parlementaires pour les assister dans la tâche. Et dans cet exercice, on ne peut pas dire que le nouveau Gouvernement wallon se soit surpassé. Pour sa défense, il faut toutefois reconnaitre que ses prédécesseurs ont rarement fait mieux. Le monde politique ne semble donc toujours pas avoir compris que davantage de transparence et de lisibilité permettrait de réconcilier le citoyen et le travail parlementaire, voire même de le convaincre que ses décisions pourraient aller dans le bon sens… Allez, rendez-vous au prochain ajustement budgétaire, on peut toujours espérer qu’un jour, cette évidence le sera aussi pour les gens que nous élisons dans nos assemblées !
Un budget axé sur la durabilité ?
Pour la clarté et la transparence, on repassera donc. Si l’objectif n’est pas rempli au niveau de la forme, reste à espérer que le contenu soit à la hauteur. Vers plus de croissance et de compétitivité, à l’instar de certains autres pays ? Ou vers un développement plus inclusif, qui prend également en compte les plus faibles, la nature ou les générations futures ? Pour le monde environnemental, comme pour de nombreux autres pans de la société, la deuxième optique est clairement à privilégier. La Belgique y souscrit également, via son souhait de répondre aux objectifs de développement durable définis par l’ONU. Mais est-ce autant une évidence pour tous les acteurs de notre Région ?
Canopea l’a rappelé au Gouvernement wallon lors du conclave budgétaire d’octobre : Le développement durable de notre société ne peut se faire que via un investissement dans la transition environnementale. Allouer des moyens à la rénovation de notre bâti, à l’électrification de nos procédés ou au développement des énergies renouvelables impacterait autant le pilier environnemental que les piliers social et économique du développement durable, comme le reconnaissait la Commission européenne dans ses recommandations à l’égard de la Belgique. Et ce n’est pas spécialement incompatible avec la rigueur budgétaire demandée par l’UE, les recommandations dont il est question ici datant de juin de cette année !
Circulez, il n’y a rien à voir !
Quel est donc le cap pris par notre nouveau gouvernement ? Le citoyen le moins aguerri de la chose politique pourra difficilement se plaindre d’avoir été floué avec cet exercice. En effet, nos ministres ont plutôt bien suivi leur ligne directrice, de la campagne électorale à leurs premiers faits d’armes aux manettes de la Région, en passant par la déclaration de politique régionale de juillet (notre analyse de cette dernière est à trouver ici). La continuité est là, les faits ont été joints à la parole, ce qui est peut-être en fait déjà un élément positif et rare dans le monde politique. Oui, mais non ! Si, pour une rare fois, nos hommes politiques ont eu le courage d’appliquer leurs promesses, on peut se désoler de voir qu’elles vont relativement peu dans le sens d’un développement durable, porteur de bien-être pour l’ensemble de la population. Le sacro-saint combo « compétitivité + croissance » reste la panacée qui sera visée par notre cher gouvernement Azur, du moins dans la première année de son existence !
Qu’est-ce qui nous permet de lancer cette affirmation ? Il suffit de se lancer dans l’analyse du budget (bonne chance si vous vous lancez dans la tâche, les documents sont disponibles ici), autant dire que ça saute aux yeux ! Si l’on prend l’exposé général, par exemple, on peut directement voir que le programme 10.10 « Développement durable » (un service du secrétariat général du SPW) est amputé de 4 millions d’euros, soit une diminution de 45% de son budget… Ok, il ne s’agit là que de dépenses d’un service administratif, mais ça illustre directement où les efforts les plus importants seront situés. Si l’on regarde les grands postes de dépenses (ou divisions organiques selon le jargon budgétaire), les deux plus grosses diminutions sont les 15 (« Agriculture, ressources naturelles et environnement ») et 16 (« Aménagement du territoire, logement, patrimoine et énergie »), amputés de respectivement 10 et 11% de leurs enveloppes. Le tableau ci-dessous donne davantage de détails sur les programmes qui seront les plus affectés (en termes relatifs ou absolus).
Evolution en milliers € | Evolution en % | |
Division organique 15 | – 67 789,00 € | -10% |
Transversal et coordination des politiques agricole et environnementale | – 9 215,00 € | -36% |
Nature, forêt chasse et pêche | – 15 583,00 € | -41% |
Espace rural et naturel | – 20 058,00 € | -40% |
Division organique 16 | – 93 615,00 € | -11% |
Aménagement du territoire et urbanisme | – 5 201,00 € | -21% |
Logement : secteur privé | – 89 666,00 € | -30% |
Logement : secteur public | – 18 027,00 € | -11% |
Energie | – 15 050,00 € | -15% |
On le voit donc, la facture de l’austérité sera davantage payée par les postes liés à la protection de la nature et à la politique du logement. Quand on connait l’état de la biodiversité, aussi bien dans le monde qu’en Wallonie, ainsi que les problèmes rencontrés par les agriculteurs, justement dans la coordination des politiques agricoles et environnementales, les décisions concernant la division organique 15 posent question ! Et que dire par rapport à la division organique 16 et la coupe opérée dans les budgets liés au logement ou à l’énergie, à l’heure où des efforts considérables en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont demandés au secteur…
Un agenda dicté par la nécessaire rigueur budgétaire ?
Alors oui, le Gouvernement nous explique, la main sur le cœur, qu’il est nécessaire de faire des efforts budgétaires pour soulager les finances régionales, de diminuer le train de vie de la Région qui vit bien au-dessus de ses moyens et d’éviter à tout prix un scénario à la grecque. Ces arguments sont compréhensibles, nous ne pouvons pas spécialement nous permettre de financer notre développement (ou juste le fonctionnement de notre région) par une dette qui sera refilée aux générations futures. Sauf que, si ce raisonnement est valable pour la situation d’un ménage (qui voudrait léguer ses dettes de fonctionnement à ses enfants ?), c’est un peu moins le cas au niveau d’un état. Pour de nombreux économistes, faire croire que la Belgique ou la Wallonie sont proches d’un scénario à la grecque est loin de la réalité.
Par ailleurs, si on juge qu’il faut réellement réduire le train de vie dispendieux de notre Région, « chacun doit faire sa part », si on reprend les dires de notre Ministre des pouvoirs locaux et de la mobilité dans l’article ci-dessus. L’examen du budget nous révèle cependant que ce n’est pas toujours le cas, de nombreux postes restant en augmentation. Si on peut le comprendre pour des programmes relatifs à la politique de la santé, des crèches ou de la petite enfance, on peut rester dubitatifs quand il s’agit de la politique liée aux aéroports qui se voit gratifiée d’une augmentation de plus de 6 millions d’euros, soit 7% de son budget. Notre Gouvernement estime-t-il réellement qu’il s’agit là d’un secteur à développer étant donné les défis qui nous attendent ?
Enfin, si nos dirigeants craignent réellement un scénario à la grecque pour notre Région, ne seraient-ils pas schizophréniques si, dans le même temps, ils accordent des cadeaux fiscaux à la population ? Les réformes sur les droits d’enregistrement et sur les droits de succession, par exemple, vont peser fortement sur nos finances régionales. Ne seraient-ce pas davantage des trophées pour les partis au pouvoir que de réelles attentes de la population ou de réels besoins par rapport aux défis qui nous attendent ? Il semblerait même que ces deux réformes creusent davantage les inégalités sociales, ce qui nous ramène tout droit aux objectifs de développement durable à côté desquels notre Gouvernement semble passer sans trop se soucier…
Notre Gouvernement s’est lancé dans un exercice budgétaire tout aussi illisible que les précédents. La seule clé de lecture que nos ministres nous laissent nous amène à penser que le Gouvernement s’est détaché des objectifs de développement durable, négligeant la nécessaire transition écologique au détriment de trophées qui font juste la part belle à la croissance économique.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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