Quand le colvert se fait clay

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Comme promis, nous vous livrons ici une autre « édifiante » histoire de chasse…

Cette scène se déroule sous les yeux d’un ornithologue admirant les migrations d’automne sous un beau ciel ensoleillé.

« Tout était paisible. Des centaines d’hirondelles filaient vers le sud-ouest. De nombreux bruants jaunes voletaient dans les buissons où chantaient en sourdine des fauvettes à tête noire. Une dizaine de buses cherchaient une pompe pour s’élever dans les airs…

Trois 4×4 rutilants, transportant chacun 2 chasseurs et leurs chiens m’ont soudain dépassé à vive allure pour s’immobiliser quelques centaines de mètres plus bas dans la vallée. Moins de 5 minutes plus tard, une pétarade inouïe éclate. Dès les premiers coups de feu, ce sont près de 150 à 180 colverts qui se sont envolés. A la jumelle, surplombant la scène, j’en voyais quelques-uns tomber comme des pierres alors que d’autres seulement blessés, volaient maladroitement pour s’écraser nettement plus loin… Naïvement, je me disais que la plupart de colverts rescapés fuiraient rapidement les lieux…

Bien au contraire, après avoir fait de grands tours dans le ciel, ils reviennent plonger vers le petit étang où, à chaque passage, une dizaine d’entre eux se faisait descendre. Après quelques minutes, il en restait moins de 100 et peu de temps après j’en comptais tout juste 30, mais qui persistaient à revenir vers le lieu du carnage. Moins d’un quart d’heure après le début de la chasse, il n’y avait plus que 3 canards en l’air, mais qui, toujours aussi suicidaires, retournaient au casse pipe !

Vingt minutes après le début des hostilités, le calme est revenu. Les 4×4 sont repartis aussi rapidement qu’ils étaient arrivés, laissant à un « manant » arrivé avec son fils sur un vieux quad, le soin de ramasser les cadavres de canards éparpillés dans les bocages. »

Décryptage

Les colverts « sauvages », face à un tel danger, ont un comportement naturel de survie : ils partent sans demander leur reste… Mais, les canards chassés ce jour-là (probablement des canetons élevés en volières) ne sont plus très sauvages : ils n’ont probablement pas connu d’autres lieux que cet étang et le garde chasse du coin qui les a nourri. Le nourrissage et les lâchers sont légaux, même s’ils ne se font pas toujours dans le respect de la légalité…

Cette scène suscite inévitablement des questions légitimes sur des pratiques de chasse qui, en l’occurrence, ressemblent davantage à du tir aux clays qu’à de la chasse. Le cadre, de milieu naturel, devient un décor. Bien plus : de potentiel protecteur de la biodiversité, parfois à son insu, le chasseur devient, par ces pratiques, destructeur des milieux naturels : ces pratiques, du fait des quantités de céréales déversées, participent en effet à l’eutrophisation des étangs et des cours d’eau et limitent toute colonisation de cet étang par des espèces réellement sauvages, protégées ou « simple gibier ».

Ces chasseurs « du dimanche », auteur d’un carnage aussi inutile que stupide, ne sont probablement pas au courant des tenants et aboutissants de la chasse. Ils auront pris leur pied pendant une demi heure et en auront eu « juste » pour leur argent. Et ils seront reconnaissants au propriétaire de cette chasse qui en retour pourra éventuellement profiter des précieux réseaux d’influence propres à ce milieu. On n’a rien sans rien!!

Position de la Fédération

La Fédération soutient une chasse naturelle au sein de laquelle les lâchers sont limités aux seuls lâchers de repeuplement dans le cadre de projets de restauration des biotopes. Les lâchers ne peuvent en effet pallier le manque d’attrait des plaines agricoles pour la petite faune ouverte à la chasse. Sur ce point, la Fédération considère que le monde de la chasse peut et doit contribuer à une amélioration des biotopes au sein des plaines agricoles mais qu’il importe surtout de renforcer les politiques incitants et contraignants l’agriculture à laisser davantage de place à la biodiversité.

La Fédération plaide pour que les lâchers de repeuplement ne soient autorisés que dans le cadre de plans d’aménagement de territoires de chasse de taille suffisante pour maintenir une population viable. L’interdiction de la chasse à l’espèce considérée doit y être effective pendant un minimum de 3 ans. Cette période serait mise à profit pour confirmer l’ancrage et la restauration de populations en bon état de conservation, qui puisse être validées par l’arrêt des lâchers de repeuplement pendant une année au moins. L’origine des animaux lâchés devrait génétiquement correspondre, autant que possible, aux populations wallonnes.

Dans le souci de suivre l’évolution des populations, il faut également pouvoir discerner les populations naturelles des individus issus du repeuplement. Pour ce faire, tout lâcher devrait être conditionné au baguage de l’oiseau afin d’être comptabilisé et évalué dans le bilan des conseils cynégétiques

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité