Si les compensations planologiques ou écologiques font partie intégrante du vocable du moindre aménagiste, urbaniste ou concepteur de projets, elles n’en demeurent pas moins des concepts très flous au niveau de la législation wallonne et nombreux sont les questionnements qu’elles suscitent. C’est une des raisons pour lesquelles le Conseil Wallon de l’Environnement pour le Développement Durable, avec le soutien du Conseil Economique et Social de Wallonie, y a consacré un séminaire le 1° juin dernier[Vous trouverez à cette adresse les présentations des intervenants du séminaire : [http://www.cesw.be/index.php?page=seminaire-les-compensations-ecologiques-en-wallonie-01-06-2017z]]. L’occasion pour IEW également de faire le point sur une étape procédurale qui s’est généralisée ces dernières années.
Compensation planologique……
Un premier type de compensation qui nous vient à l’esprit en pensant à différents projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire est la compensation planologique. Pour reprendre tels quels les termes du CoDT (Code du Développement Territorial) : « Dans le respect du principe de proportionnalité, l’inscription de toute nouvelle zone destinée à l’urbanisation et susceptible d’avoir des incidences non négligeables sur l’environnement en lieu et place d’une zone non destinée à l’urbanisation, est compensée par la modification équivalente d’une zone existante destinée à l’urbanisation ou d’une zone d’aménagement communal concerté en zone non destinée à l’urbanisation…..»[Extrait de l’article D.II.45 du CoDT]] . Pour le dire autrement, lorsqu’une modification de plan de secteur permet l’inscription d’une nouvelle zone destinée à l’urbanisation, il y a lieu de prévoir également la désinscription, pour une superficie équivalente, d’une zone urbanisable existante Un ha urbanisable contre un ha non urbanisable. Tout paraît donc très simple et l’équilibre « urbanisable/non urbanisable » est maintenu. Cependant, nous pouvons déjà à ce stade nous interroger sur la pertinence de cette proportionnalité. Un ha de terres agricoles a-t-il la même valeur peu importe où il se trouve ? Il semble que poser la question c’est y répondre….Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le Gouvernement wallon, en adoptant le CoDT, ait fait le même constat. En effet, il semblerait qu’une Zone d’Enjeu Régional ou Communal (destinée à l’urbanisation) soit à ce point plus « prioritaire » qu’il n’y a pas lieu de respecter le principe de proportionnalité lors de l’inscription de de ce nouveau type de zone. Ainsi, l’inscription d’une Zone d’Enjeu Régional, ou Communal, sur des terrains non destinés à l’urbanisation se compense respectivement à 85 et 90 %. La nIEWs « [Compensations planologiques, plus si compensatoires que ça…. » donnait déjà un aperçu de la manière dont était traité le principe de proportionnalité par le CoDT, entré en vigueur entre temps. Cet équilibre « urbanisable/non urbanisable » risque donc bien de devenir un vœu pieux.
… alternative…
Outre l’impact sur cet équilibre entre zones urbanisables et non urbanisables du plan de secteur, nombreux sont les projets ayant des conséquences sur leur environnement. Cet environnement considéré au sens large comprend aussi bien, la biodiversité, le paysage, la qualité des eaux ou de l’air, mais aussi le bruit, la mobilité, les vibrations…. Il est évident que dans ces cas, des compensations planologiques ne compenseront rien. Des compensations alternatives sont donc également prévues par l’article D.II.45 du CoDT : « …. ou par toute compensation alternative définie par le Gouvernement tant en termes opérationnel, environnemental ou énergétique qu’en termes de mobilité en tenant compte, notamment, de l’impact de la zone destinée à l’urbanisation sur le voisinage. ». C’est sous le couvert de ces compensations alternatives que nous retrouvons par exemple la construction d’un rond-point pour régler un problème de mobilité bien antérieur au projet. On estime qu’il « compensera » les embarras supplémentaires de circulation que le projet engendrera sur une tout autre route. La caricature type de cette compensation alternative est la construction d’un stade de foot dans la commune concernée par un gros projet immobilier. Nous restons cependant perplexes quant à l’efficacité de ces compensations parfois insolites. En quoi l’implantation d’un stade va-t-elle compenser les impacts environnementaux de la construction d’un centre commercial ? Si l’on considère que l’accro de lèche-vitrine est mariée à un fan de foot, pourquoi pas…. Bon, c’est vrai, nous sommes très loin des termes environnementaux, énergétiques, ou de mobilité mentionnés dans le CoDT…
… ou écologique.
A côté de la législation propre à l’aménagement du territoire, un autre cadre légal impose également des compensations. Il s’agit dans ce cas de transpositions de la législation européenne (notamment les Directives « oiseaux » et « Habitats » et la Directive 2004/35/CE sur la Responsabilité Environnementale) qui impose de prendre des mesures nécessaires pour contrebalancer les effets négatifs qu’un projet pourrait avoir sur des espèces ou des habitats. L’objectif est d’éviter toute perte nette de biodiversité. Au terme du projet, celle-ci doit donc être dans un état équivalent, voire meilleur, par rapport à la situation initiale. Au niveau wallon, c’est dans la Loi sur la Conservation de la Nature (LCN) et le Code de l’Environnement que nous trouvons ces transpositions. Malheureusement, ce cadre légal wallon n’est pas à la hauteur de ce que nous pourrions attendre d’une législation dont l’objectif est de protéger, améliorer et restaurer la biodiversité. A titre d’exemple, la Directive Habitat prévoit une protection stricte de certaines espèces ainsi que la possibilité d’y déroger. Ces dérogations ne peuvent cependant être accordées que si elles ne mettent pas en danger l’état de conservation de l’espèce. Autrement dit, si une dérogation est octroyée, elle doit obligatoirement être accompagnée d’une mesure de compensation afin que le résultat net soit neutre ou positif. Ce mécanisme de compensation obligatoire n’existe cependant pas dans la Loi sur la Conservation de la Nature. De même, les notions d’« impacts significatifs sur les habitats», ou encore le fait de « perturber de manière significative les espèces » ne sont pas définis clairement. Le texte renvoie vers des arrêtés d’exécution qui n’ont toujours pas vus le jour !
Quand la compensation devient la généralité
Il serait peut-être utile de rappeler que ces compensations s’inscrivent dans un processus décisionnel que devrait suivre systématiquement les autorités lorsqu’elles doivent donner une autorisation sur un projet. Il s’agit de la séquence : Eviter – Réduire – Compenser. Lorsqu’un projet est réfléchi, pensé par un développeur celui-ci doit pouvoir également analyser les alternatives et choisir le projet le moins dommageable pour l’environnement. . Cependant, certains projets, certaines activités, auront inévitablement des impacts. Il s’agira alors de prendre des mesures d’atténuation afin de réduire au maximum les nuisances que l’on n’a pu éviter. Ces mesures se traduisent par des conditions générales, des conditions sectorielles ou des conditions spécifiques qui apparaîtront dans le permis et que le projet sera tenu de respecter. Enfin, s’ils subsistent des impacts négatifs sur l’environnement, c’est à ce moment, et à ce moment-là seulement que l’on mettra en place des mesures de compensation. Or, trop souvent, les développeurs, les bureaux d’étude, voir les autorités, se rendent directement à la case « compensation ».
Des difficultés… .. et des pistes d’amélioration
Comme nous l’avons vu plus haut, une première difficulté concerne le manque de clarté dans la législation wallonne. Or, comme dans bien d’autres domaines, ce manque de clarté a tendance à entraîner un grand problème important d’interprétation des textes et de la législation. C’est ainsi que d’une région à l’autre, voire d’un agent à l’autre, les compensations demandées peuvent être très différentes. Sortir de ce flou juridique ne semble pourtant pas si insurmontable puisque d’autres régions, comme Bruxelles, ou d’autres pays, comme la France y est sont parvenuse. Qu’attendons-nous en Wallonie pour mettre en place un cadre non seulement plus clair et plus précis, mais qui impose également plus fermement le respect du processus Eviter – Réduire – Compenser ?
Par ailleurs, on oublie souvent de mentionner le rôle très important joué par les bureaux d’études chargés de réaliser les études d’incidences environnementales, voire les études appropriées Natura 2000. Ceux-ci doivent proposer des mesures de compensation qu’ils estiment appropriées même si elles se situent en dehors de la compensation obligatoire prévues par les Directives « Oiseaux » et « habitats » ainsi que la Directive sur la responsabilité environnementale. Ce sont donc ces bureaux d’études qui doivent estimer les enjeux en termes de biodiversité et d’impacts environnementaux. Ceux-ci ont-ils l’expertise nécessaire pour réaliser ce travail de manière complète et compétente ? Les conditions d’agrément pour ces bureaux sont-elles suffisantes ? En outre, toute étude d’incidences environnementales devrait contenir des indications claires sur, le fait qu’oui ou non, il y aura ou non un impact significatif sur telle espèce ou tel habitat. Si c’est le cas, elle devrait émettre des recommandations tout en respectant la séquence Eviter – Réduire – Compenser, puis elles devraient enfin évaluer l’impact environnemental des compensations recommandées. Mais cet exercice n’est pas si simple lorsqu’on sait le coût de la mise en œuvre de certaines recommandations et que celles-ci risquent d’être imposées dans le permis. Car ce coût devra être supporté par le développeur, qui n’est autre que le client du bureau d’études. Dans quelle mesure celui-ci peut-il assurer un regard critique et objectif sur le projet ?
Une fois que les impacts et les enjeux auront correctement été identifiés, que le projet comprendra des mesures pour les éviter, les réduire, puis les compenser, il serait utile que l’on soit assuré de leur mise en œuvre effective. La question du timing des mesures est alors cruciale. Parfois, les compensations peuvent être mises en place en même temps que le projet, voir avant que le projet ne soit réalisé. S’il s’agit de la protection d’habitat, il est clair qu’il faut anticiper les impacts négatifs et mettre en place les mesures compensatoires en amont du projet. A quoi bon, recréer après coup un habitat détruit si les espèces qui y vivaient ont disparu avec leur habitat pendant la mise en place du projet ? Mais encore faut-il s’assurer que ces mesures compensatoires vont réellement et correctement être exécutées. Dans certains cas, des mécanismes juridiques existent pour garantir leur mise en œuvre, comme les garanties financières déposées par les carriers. Pourquoi cette pratique ne se généralise-t-elle pas ? Nous pourrions imaginer un tel mécanisme pour beaucoup d’autres projets, comme une extension de zone d’activité économique, la construction d’un centre commercial…
Enfin, avec un peu de recul, il serait utile de réaliser plus d’études de suivi de ces mesures afin d’évaluer leur efficacité. Ces études de suivi devraient être disponibles pour l’ensemble des acteurs concernés (développeurs, bureaux d’études, membres de commissions consultatives…).
Législation plus claire et plus précise, meilleur état des lieux, plus grande disponibilité des données, suivi accru des mesures, renforcement de l’expertise de l’ensemble des acteurs (membres des conseils, de l’administration, des bureaux d’études…), respect généralisé du processus Eviter – Réduire – Compenser…. Autant de réflexions et propositions qui ont été évoquées, voire débattues lors du séminaire du CWEDD. Mais peut-être pas avec les bons acteurs. Si le DNF[[Département de la Nature et des Forêts ]] et la DGO3[[Direction Générale Opérationnelle de l’Agriculture, des Ressources Naturelles, et de l’Environnement]] de manière plus générale était présente, la DGO4[[Direction Générale Opérationnelle de l’Aménagement du Territoire, de l’Energie, du Logement et du Patrimoine]] n’était pas représentée et nous pouvons regretter l’absence de représentants du Ministres de l’Aménagement du Territoire d’une part et du Ministre de l’Agriculture et de la Nature d’autre part. Encore une occasion manquée de voir s’améliorer ce mécanisme compensatoire tant utilisé pour justifier le développement de projets grignotant tous les jours un peu plus notre agriculture, notre nature, notre biodiversité et notre environnement.
Crédit photo :
Concept de protection et création de milieux de substitution en lien avec la construction de l‘autoroute A16 à Porrentruy, en Suisse, par Biotec. Ici, création d’un nouvel étang de substitution pour les batraciens. Plus d’informations : http://www.biotec.ch/fr/Realisations/Faune-et-flore/Compensations-ecologiques/Protection-des-batraciens.html