Quel climat dans le futur en Wallonie ? Entretien avec Nicolas Ghilain
Nicolas Ghilain est climatologue à l’université de Liège et à l’IRM, où il crée et améliore des outils de modélisation du climat régional, afin de répondre à la question cruciale : à quoi ressemblera le climat belge dans le futur ? En particulier, il essaie de déterminer si nous devrons faire face plus fréquemment à des événements extrêmes (pluies intenses, vagues de chaleur et sécheresses), et de quelle intensité. Il étudie également l’influence de l’aménagement du territoire et de la végétation sur le climat, un sujet d’étude encore récent.
À quoi ressemble le travail des climatologues pour répondre à cette question ?
Pour déterminer quelles sont les évolutions qui nous attendent, on dispose des scénarios du GIEC. Les scénarios en place sont liés aux concentrations de gaz à effet de serre, aux concentrations d’aérosols, et en termes d’utilisation des surfaces. On reprend ces simulations planétaires et on essaie de zoomer sur nos régions avec un modèle régional, pour voir s’il y a des effets particuliers qu’on peut observer. Les modèles globaux ne permettent pas de bien représenter les extrêmes, c’est pourquoi on doit affiner avec des modèles spécifiques plus locaux. Typiquement, un modèle global, c’est une maille de 100 km. Sur la Belgique, ça fait 5 mailles, donc c’est impossible de représenter les extrêmes de précipitations qui sont très localisés. Nous, on travaille avec des mailles entre 1 et 5 km, qui nous permettent de voir des événements beaucoup plus localisés, de voir l’effet de la topographie aussi. On voit par exemple que c’est sur les massifs qu’on a les pluies les plus intenses, et ça, c’est plutôt mal représenté par les modèles globaux.
Les modèles, qui ont leurs propres imperfections, nous donnent des fourchettes de possibilités. Parfois, cette fourchette de possibilité est relativement faible par scénario. Par exemple, la plupart des modèles s’accordent à dire qu’il y a une augmentation de température. Mais parfois les modèles ne sont pas tous d’accord, comme pour les précipitations.
Et que nous apprennent ces modèles régionaux aujourd’hui ?
Tout d’abord, on sait que les tendances suivent la situation globale, en tout cas en termes de températures. Ce qui est observé, c’est que les températures chez nous augmentent deux fois plus vite que les températures globales. C’est plutôt inquiétant. Et si on compare les températures maximales, là c’est encore plus rapide. Donc ça c’est vraiment la tendance qui est très claire, qui est déjà observée et qui se prolonge dans l’avenir. Pour information, il y a des scénarios de refroidissement relatifs qui ont été proposés dans le cadre d’études sur des changements forts de circulation au niveau des pôles. Notamment, on pense que s’il y a un réchauffement fort du Groenland, avec de la fonte massive des glaces, ça peut changer la circulation océanique, et potentiellement la circulation atmosphérique. Mais on parle d’échelles de temps de milliers d’années. Nous, on n’est même pas dans ce type de questions, on est plutôt dans des questions plus à court terme, puisqu’on ne regarde pas beaucoup au-delà de l’horizon de 2100.
Par contre, pour beaucoup d’autres aspects, c’est plus difficile, ça va dépendre des scénarios et même à l’intérieur des scénarios, on a une grande fourchette de possibilités. Globalement, ce qu’on pense, c’est ce qu’on voit au niveau global : simplement si les pôles se réchauffent plus vite que l’équateur, les cellules de transfert de chaleur entre les deux sont moins actives et ça diminue la circulation atmosphérique au niveau global. C’est ce qui nous amène ces fameuses périodes de blocage qui peuvent engendrer soit des précipitations extrêmes, soit des événements extrêmes de chaleur ou de sécheresse. Ça, on le voit déjà maintenant. On voit la diminution d’intensité du Jet Stream.
Au vu de cette explication, on s’attend donc à ce qu’il y ait des périodes de blocage plus fréquentes. On devrait donc avoir des sécheresses plus fréquentes. On a déjà observé en Belgique qu’il y avait un assèchement pendant les périodes de printemps, à l’échelle climatologique. Ce n’est pas parce que le printemps a été humide cette année qu’il l’est en moyenne. En ce qui concerne les précipitations, on a quand même relativement peu d’informations sur le sujet à l’heure actuelle. On a constaté qu’il y avait progressivement un décalage des précipitations, on va avoir des précipitations qui sont généralement plus fortes. La distribution des précipitations se décale un peu : un peu moins de faibles précipitations et un peu plus de fortes. Le nombre d’épisodes pluvieux fort est donc en train d’augmenter et ça risque de continuer.
Qu’en est-il du cumul annuel de précipitations : va-t-on avoir plus de pluie au total ?
Alors, on pense qu’il va y avoir plus de précipitations en hiver. Et en été, ce n’est pas très clair. En termes de totaux, on pourrait avoir la même chose au niveau climatologique, c’est juste que ce serait distribué temporellement. Mais ça dépend aussi du scénario et de l’horizon temporel. Typiquement, si on prend des scénarios de type où on limite le réchauffement planétaire, on pourrait quand même avoir une augmentation des précipitations qui serait durable. Si on va vers des scénarios du type extrêmes, là on pourrait avoir des précipitations plus intenses dans les premières décennies, et vers la fin du siècle, une diminution des précipitations en été. Mais ça reste quand même très incertain, les modèles ne sont pas du tout d’accord pour la Belgique. En fait, on se trouve entre une zone où les modèles s’accordent à dire qu’il va y avoir une diminution des précipitations sur la Méditerranée, et une augmentation des précipitations sur les pays nordiques. Et on se trouve vraiment entre les deux, où les résultats ne sont pas significatifs.
Tu travailles également sur les inondations de 2021. Sont-elles le résultat d’une coïncidence, ou peut-on lier cet événement de pluies extrêmes au réchauffement climatique ?
Juste après les inondations, il y a eu une étude d’attribution climatique pour voir à quel point le changement climatique global pouvait expliquer cet événement. Quand un événement extrême arrive, on ne peut jamais l’attribuer directement au réchauffement climatique puisque nous travaillons sur une échelle statistique. En se basant sur les statistiques passées, on peut attribuer une probabilité que ce soit dû à une cause ou à une autre. Et en faisant une analyse globale sur l’Europe parce c’était difficile de faire uniquement sur la Belgique, le consortium international a pu déterminer qu’effectivement, le réchauffement climatique pouvait expliquer en partie cet événement.
Cela s’explique notamment par le réchauffement des parcelles d’air qui permet d’accueillir plus d’humidité. On considère qu’elles contiennent plus ou moins 7% d’humidité en plus par degré de réchauffement. Et donc, s’il y a plus d’humidité qui peut être stockée dans une parcelle d’air, ça donne des quantités de pluie plus grandes. D’autre part, il a plu sur les mêmes régions pendant trois jours, ce qui est lié à un blocage. Et on pense que la fréquence des blocages est en augmentation avec le réchauffement planétaire.
Risque-t-on que ça se reproduise, au même endroit ou ailleurs ?
Ici à l’université, il y a des simulations qui ont été faites avec un modèle du climat régional pour simuler les événements passés, y compris l’événement de 2021. Et ce même modèle a été utilisé avec les différents scénarios dans le futur, pour voir à quel point cet événement pourrait éventuellement se reproduire. Pour le moment, mon collègue a calculé des probabilités que ça se reproduise en Belgique, en fonction des scénarios ou par degré de réchauffement accumulé sur la planète. C’est une publication qui n’est pas encore sortie. Et il voit quand même une augmentation des probabilités, qui est très fort liée à cette capacité de l’air d’accueillir plus d’humidité. S’il y a donc une probabilité que ça puisse arriver à nouveau, on est encore très incertain sur la fréquence parce que cet événement était particulier. C’était un type d’événement qu’on n’avait encore finalement jamais mesuré et du coup, les statistiques sur ce sujet sont très difficiles à mettre en place. Sur des événements qui sont moins rares, on a plus de certitudes. Mais pour ceux qui ont une période de retour de plus de 200 ou 300 ans, il est vraiment compliqué de déterminer des statistiques…
Comment étudie-t-on le lien entre climat et aménagement du territoire ?
D’une part, certaines personnes font des études d’impact. Ils prennent les résultats de nos modèles climatiques régionaux, et essaient de voir ce que ça donne par exemple en faisant des simulations de débits de rivière, plus ou moins réalistes en fonction de l’aménagement du territoire. On tient encore peu compte de l’imperméabilisation des surfaces aujourd’hui, mais c’est pourtant le lien direct entre précipitations extrêmes et les inondations qui ont pu être observées dans certaines vallées. On peut avoir des précipitations extrêmes et que ça ne cause pas d’inondations. Tout dépend à quel point les précipitations tombent dans les mêmes bassins versants, mais aussi à quel point on a fait attention de laisser l’eau pouvoir s’infiltrer sans ruisseler. C’est vraiment un travail en cours par différents projets.
D’autre part, au niveau climatologique, on essaie surtout de voir s’il y a un impact de l’aménagement de surface sur les précipitations, sur la circulation de l’air au niveau régional. On fait par exemple des études où on commence à inclure l’effet des villes sur le climat, ce qui n’était pas spécialement fait avant. Typiquement avant, on avait des paramétrisations très simples. Maintenant, on fait des villes plus réalistes avec une certaine géométrie, des effets de canyon, de l’air chaud qui est emprisonné pendant la nuit et qui amène les phénomènes d’ilots de chaleur urbains. On va essayer de voir aussi si ça a une influence sur les précipitations. Ce sont des études en cours. De plus, on commence aussi à faire des études en modélisant des changements de surface. Les scénarios à haut réchauffement au niveau global sont des scénarios qui demandent beaucoup de production d’énergie. Du coup, on va prendre toutes les ressources, y compris le bois et une augmentation de la surface des villes et des zones de pâtures, au détriment des forêts. On essaie alors de faire ce type de simulation avec ces modifications de surfaces, pour voir si ça nous apprend quelque chose au niveau régional. A l’inverse, on essaie de voir si une reforestation ou un aménagement différent va également avoir un effet, mais ça ce sont des exercices qu’on fait même au niveau européen.
Donc ça va dans les deux sens. Nous, on fait les modèles couplés. On essaie de voir si l’état de surface a un effet sur l’atmosphère et si en tenir compte améliore finalement nos scénarios climatiques. Et d’autres chercheurs vont utiliser ces résultats pour voir si, au niveau local, ça a un effet sur différents types de secteur, y compris les débits dans les vallées.
Et vous avez déjà des résultats ?
Globalement, on a les premiers résultats des études d’incidence qui sortent. Une collègue de Gembloux a notamment étudié la commune de Rixensart. C’est une commune qui s’est fortement urbanisée entre 1971 et maintenant. Il y a une rivière, la Lasne, qui est un affluent de la Dyle, dans laquelle il y a aussi eu des débordements pendant juillet 2021. Et elle a montré, en prenant les mesures de débits, que le débit entre 1971 et maintenant a fortement augmenté et que ce n’est pas dû à une augmentation des précipitations. Ça a plutôt l’air d’être fortement corrélé au niveau d’urbanisation et pas seulement en fond de vallée, mais aussi sur les plateaux et les versants. Le niveau d’imperméabilisation et d’artificialisation des sols peut mener à des augmentations de débits qui, s’ils ne sont pas bien gérés, peuvent mener à des inondations en fond de vallée.
« Certaines communes sont en train d’aménager des zones de débordement, mais toutes ne le font pas. Certaines sont en train d’imaginer de mettre un parking en fond de vallée. »
Mais ça n’a pas été encore formellement publié comme un lien causal entre l’urbanisation et l’inondation. Et même si ça a l’air logique, j’ai l’impression qu’il faut montrer en chiffre une analyse complète que oui, il pourrait y avoir des événements extrêmes pluvieux, que ça augmente le risque d’inondations, et d’autant plus quand on imperméabilise le sol et que ça mène déjà à des débits plus hauts même sans changement de précipitation.
Au niveau de l’impact de l’aménagement du territoire sur le climat, on observe un effet surtout quand l’aménagement est massif. Là on étudie beaucoup les villes pour le moment, surtout en Flandre. On observe très fortement l’effet des ilots de chaleur urbains. Les aménagements enferment de l’air au niveau local. Pendant la nuit, comme il y a une inversion de température, l’air n’arrive pas à s’échapper. C’est d’autant plus vrai si les bâtiments sont hauts et les rues étroites. L’air va rester piégé là, et ça donne une différence de température entre l’intérieur et l’extérieur de la ville. Ça pose beaucoup de questions en termes de santé et de mortalité, parce qu’il a été montré un excès de mortalité pendant les vagues de chaleur. Et donc ça inquiète les villes, qui sont très intéressées par nos modélisations. Mais au-delà de ça, on essaie aussi de voir s’il n’y a pas un effet au niveau de la circulation locale. On n’a pas encore tout à fait démontré le lien avec la possibilité qu’il pleuve ou pas à certains endroits, ou que ça ait modifié une circulation de l’air. On est vraiment en train de travailler là-dessus, c’est le gros sujet du moment d’ailleurs.
De même, tu étudies le lien entre les forêts et l’évolution du climat. Quels sont les résultats de ces études ?
Le travail est encore en cours. Les premières études, c’est prendre des scénarios climatiques et voir l’impact du réchauffement sur les forêts, mais pas de façon dynamique finalement, c’est vraiment une étude d’impact. Il y a différentes études. Soit on regarde les forêts telles qu’elles seraient naturelles en Belgique, mais il n’en existe pas vraiment beaucoup. Et là, les chercheurs qui font de la modélisation forestière ont montré que de façon normale, une forêt n’est résiliente que quand il y a une composition d’espèces dedans, et dans laquelle il y a tout un écosystème naturel et même animalier qui se met en place. Pour le moment, la forêt ne tient que parce qu’il y a beaucoup de gestion derrière, il y a beaucoup d’interventions qui sont faites. Les forêts wallonnes sont des forêts productives, on compte beaucoup sur la production de bois au niveau économique. Il faut pouvoir gérer tous ces aspects-là, qui sont quand même parfois très contradictoires.
On se rend compte qu’il y a des espèces qui sont très difficiles à maintenir de façon naturelle, même dans un contexte dans lequel il n’y aurait même pas de changement climatique. Le chêne par exemple, qui est une espèce qui ne se reproduit pas très facilement. On a aussi des exemples récents d’espèces qui ne tiennent pas du tout les changements, comme l’épicéa, qui a bien tenu pendant quelques décennies et qui, planté massivement, ne résiste pas à des périodes de sécheresse prolongées. Et on se rend compte aussi que le douglas, une autre espèce qui a été plantée en pensant que ce serait mieux que l’épicéa, n’est pas forcément mieux si on en plante de façon massive. Donc on a montré clairement la limite de la monoculture d’essences d’arbres dans les forêts, et à quel point la diversité était indispensable, mais ça, ce n’est pas vraiment nouveau.
On essaie maintenant d’introduire dans les modèles climatiques les cycles de végétation pour avoir une interaction globale. Pour le moment, ce qu’il se passe, c’est que nos modèles fonctionnent avec une végétation qui est reproduite d’année en année, à l’identique. Donc si on modélise que la forêt est productive à un certain niveau en juillet, peu importe qu’il y ait une sécheresse ou pas, elle restera productive à ce même niveau dans le modèle. Elle va continuer à émettre de l’eau dans l’atmosphère et capter du carbone. Alors qu’on sait que, en réalité, s’il y a une sécheresse, les plantes vont avoir une certaine stratégie par rapport à ça. Soit, elles vont continuer à produire beaucoup et puis fermer toute productivité par la suite. Soit, et c’est le cas des plantes herbeuses, elles vont très vite réagir à la sécheresse avec clairement une diminution de la productivité de la biomasse à ce moment-là. Ça, ce n’était pas intégré dans les modèles jusqu’à maintenant.
Tenir compte de l’interaction avec les végétaux, ça nous permet de mieux représenter les sécheresses et le cycle de l’eau, et finalement, de mieux vérifier l’intensité des sécheresses. Pour le moment, il y a une idée qui est plus ou moins approximative, qui est juste liée aux précipitations qui sont modélisées. Là, on introduit une information supplémentaire qui est à quel point les plantes ont réagi et vont réinjecter de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Ça change aussi d’autres paramètres de surface. Et l’un dans l’autre, on va avoir une meilleure idée de l’intensité. Ce n’est pas qu’on a de mauvaises informations maintenant, c’est juste qu’on essaie de les affiner.
Les chercheurs qui font des études d’impact du réchauffement climatique sur les forêts vont aussi avoir des informations qui sont plus pertinentes parce qu’on saura mieux quand il y a un début de stress sur les plantes et comment elles vont réagir. Les premières études ont montré, comme je l’ai déjà dit, que les monocultures ne sont pas résilientes. On peut aussi faire des simulations avec des compétitions entre les végétaux, et montrer que certaines espèces sont amenées à migrer parce qu’elles ne supportent pas le réchauffement. Avec le temps, elles commencent à disparaitre de nos régions et potentiellement devenir beaucoup plus compétitives dans des régions où elles ne l’étaient pas. C’est le cas du hêtre par exemple. Les autres espèces, ça reste très incertain. Les modèles donnent des réponses différentes. Et c’est très embêtant pour les forestiers d’avoir des informations si incertaines, alors qu’ils ont besoin d’informations sur le long terme. Malheureusement, c’est tout ce qu’on a.
« On a un réchauffement qui est tellement rapide. Il ne correspond pas au temps d’adaptation qu’on devrait avoir au niveau forestier.
Le mot de la fin ?
On est vraiment dans une période charnière. On a pensé à un certain moment les études climatiques comme plutôt statiques, et là, on est en train de se diriger vers une science de météorologie climatologique. On utilise les modèles de météorologie en climat pour pouvoir mieux représenter des phénomènes qui se développent rapidement. Et puis on améliore la chaine de communication avec les chercheurs qui font des études d’impact et on voit comment on peut tout agglomérer dans un système régional, dans lequel on ne voit pas l’atmosphère comme quelque chose qui est découplé de toutes les activités. Mais dans lequel on intègre les changements au niveau de la mer, les changements au niveau des végétaux, et progressivement, l’influence directe de l’interaction entre les humains et l’atmosphère. Tout ça ajoute un niveau de complexité qui fait que ça nous prend quand même quelques années pour faire des modèles qui tiennent la route. Parce qu’on doit toujours vérifier qu’ils sont compatibles dans le passé avec les observations qu’on a, ce qui ne garantit pas non plus d’ailleurs qu’on arrive à bien représenter le futur !
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