Issus d’une gestion par l’agriculture, les sites semi-naturels bénéficient d’aides agricoles, dites du premier pilier, à l’instar des parcelles les « plus productives » ou laissées en « jachère ». L’octroi de ces aides aux milieux peu productifs semble partiellement remis en cause, au regard d’une récente modification de l’éligibilité des parcelles concernées.
De petits bijoux de biodiversité
La majorité des milieux semi-naturels sont le fruit d’une activité agricole extensive qui s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. Ces pratiques extensives, autrefois très courantes, ont pu être préservées sur certaines parcelles marginales grâce aux aides agroenvironnementales. Plus récemment, des moyens importants ont également permis de restaurer des milieux délaissés par l’agriculture, de les réhabiliter et de les réintégrer dans une gestion agricole. Vu la technicité de gestion propre à certains de ces milieux, les nombreuses contraintes (difficultés d’accès, absence de clôture, période de pâturage inadaptée, …) et la nécessité de disposer de bétail rustique, certains agriculteurs se sont spécialisés dans la gestion de ce type de milieux à haute valeur biologique.
Géré par l’agriculture
L’implication des agriculteurs permet ainsi la gestion de notre patrimoine naturel et sa valorisation à travers des produits de l’élevage d’une grande typicité. Il s’agit donc bien d’une activité de production via l’élevage et le pâturage, conformément aux règlements européens. La préservation de ces milieux contribue par ailleurs aux activités touristiques, récréatives, pédagogiques, … et à une image positive de l’agriculture. Il s’agit d’un des objectifs de la politique agricole commune européenne qui répond à une réelle demande sociétale, il importe donc de maintenir et soutenir le rôle des agriculteurs dans ce type de missions.
Bientôt privés d’aides agricoles ?
Certains agriculteurs, gestionnaire de ces prairies de grande valeur biologique, ont constaté avec surprise une réduction de leur payement agricole en 2013. Ils se sont vu ensuite attribués un nouveau code culture pour certaines parcelles « marginales » reprises à leur déclaration de superficie 2014. La notice explicative qui l’accompagne apportait cependant une justification. Cette modification résulte de la suppression du code 613 destiné aux « pâturages à statut particulier » et de la ré-attribution par l’administration d’un code selon le type de prairie. Le code 61 pour les prairies permanentes « à finalité agricole » et l’apparition d’un nouveau code 9824 pour les « prairies en gestion de la nature ». À la différence du code 61, l’adoption de ce code exclut, selon notre analyse de la réglementation européenne, la parcelle considérée des aides du premier pilier, des indemnités Natura 2000 et des aides à l’agriculture biologique mais reste compatible avec les mesures agro-environnementales. La déclaration de superficie laisse cependant entendre que seule serait exclue les aides du premier pilier.
La définition de ce nouveau code précise ce qui est visé : « parcelles au couvert « spécifique » avec dominante de graminées naturelles peu nutritives, ou couvertes d’autres espèces (mousses, sphaignes, joncs, fougères, reines des prés, angéliques, …) qui peuvent présenter des zones peuplées de plantes ligneuses (arbres, buissons, genêts,..) et/ou de pierriers à l’état diffus ou groupés ». Cette définition est très large et n’a, fort heureusement, pas été prise à la lettre par les services extérieurs de l’administration mais l’interprétation assez variable et subjective qui en a été faire retire les droits aux aides pour près de 2.000 ha. Cette définition, prise à la lettre, reviendrait à exclure la majorité des habitats Natura 2000… des indemnités Natura 2000.
Un pas en arrière…
Cette modification a de quoi surprendre puisque depuis 2007, le code 613 différenciait dans les déclarations de superficie les surfaces de prairies permanentes « intensives » des surfaces de prairies naturelles gérées de façon extensive sans pour autant leur retirer le droit aux aides du premier pilier. Cette disposition allait dans le sens d’une meilleure intégration de la dimension environnementale dans la politique agricole soutenue par l’Union européenne. Depuis 2009, ce code 613 aurait pu disparaître car des règles d’éligibilité ont été établies au niveau wallon indépendamment du code culture. Selon le courrier envoyé aux agriculteurs concernés en début de ce mois, l’adoption de ce nouveau code 9824 fait suite aux conclusions d’un audit européen réalisé en 2013. Pour s’y conformer, le code 613 a été remplacé systématiquement dans les déclarations de superficie transmises par les services extérieurs en un code 61 ou par ce nouveau code 9824 sur base d’une interprétation cartographique de la végétation…
… motivé par un audit Européen ?
L’audit Européen ne fait pas référence au code 613 et a relevé des superficies non éligibles dans des parcelles déclarées sous d’autres codes culture. Il ne justifie pas l’inclusion des couverts végétaux « spécifique » avec dominante de graminées naturelles peu nutritives, ou couvertes d’autres espèces à la définition du code 9824. Les éléments visés sont des éléments marginaux tel les pierriers et mares de plus de 100 m², les cours d’eau trop large et inclus dans les superficies agricoles, des zone boisées incluses sans accès au pâturage, … La qualité ou la nature du couvert végétal hors superficies couvertes d’arbres ne sont pas abordés. L’audit relève également les possibilités qu’il y avait d’inclure ces éléments naturels dans les superficies éligibles mais qu’à défaut de notification à la Commission avant 2009, ceux-ci ne peuvent y être inclus. La définition du Code 9824 va donc bien au-delà des conclusions de l’audit.
Une procédure incertaine
La procédure, justifiée par l’urgence de se conformer à l’audit, place les agriculteurs devant le fait accompli, même si l’administration leur offre la possibilité de modifier le code après une éventuelle visite de terrain ou sur base d’un envoi au service extérieur de photographie de la parcelle, et ce, jusqu’en juin. Cette procédure et surtout le maintien de la définition du « couvert spécifique » laisse une large place à la confusion et à l’arbitraire, même en présence d’une visite de terrain. Elle met les agriculteurs concernés devant une situation difficilement acceptable au vu des enjeux économiques (pertes des payements en 2013 et 2014, voire plus car l’année 2014 est une année de référence pour la redistribution et le processus de convergence des principales aides agricoles, les DPU, risque en cas de contrôle et de divergence d’interprétations).
Contraire à l’intégration socio-économique recherchée en Natura 2000
Par ailleurs, si elle ne constitue pas un enjeu majeur pour l’ensemble des superficies agricoles wallonnes (moins de 0,5 % de la S.A.U.), elle aura un effet notable sur les exploitations concernées par Natura 2000 (et singulièrement les plus impactées) de même que sur celles ayant fait le choix de s’impliquer largement dans la gestion des terrains restaurés par les programmes LIFE. Il importe donc de corriger cette définition afin d’en limiter l’emprise aux seules manquements relevés par l’audit européen, qui n’exclut pas les habitats ouverts ou semi-ouverts issus de l’activité agricole.
Une clarification nécessaire
Notre fédération a interpellé le Ministre à cet égard, sans réponse à ce jour. Nous demandons de modifier la définition afin de restreindre l’accès aux aides pour les seuls manquements relevés par l’audit européen. La productivité du couvert végétal ne doit en aucun cas intervenir, surtout quand on sait que la politique agricole européenne est quasi totalement découplée de la production. Faut-il si nécessaire rappeler, qu’à contrario, les parcelles de bonne terre agricole entretenue sans aucune production sont éligibles aux aides ? Ou encore que les surfaces considérables dédiées aux cultures énergétiques et dont les effets sur l’environnement sont clairement négatifs bénéficient sans aucune contestation des aides du premier pilier…
Il importe d’inclure les milieux plus marginaux, à moindre productivité dans une gestion par l’agriculture. Les collaborations qui y sont engagées avec les agriculteurs sont très efficaces en termes de coût de gestion. Les partenariats agriculture et environnement, trop souvent absents, pour vouloir dualiser plus encore l’agriculture et l’environnement !