Rail européen : un train peut en cacher 3 autres

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Le train Connecting Europe Express vient d’achever une traversée de l’Europe ponctuée d’arrêts dans 26 pays européens. Parti de Lisbonne le 2 septembre, il est passé en Belgique les 4 et 5 octobre avant de finir sa course à Paris le 7 octobre. Ce train fait partie des évènements symboliques organisés dans le cadre de l’« Année européenne du rail 2021 », une initiative de la Commission européenne. L’occasion de se pencher sur le rail dans sa dimension transfrontalière.

Introduction

L’objectif de l’Année européenne du rail est de donner un coup de projecteur sur le chemin de fer afin d’encourager les citoyens et les entreprises à utiliser ce moyen de transport et de contribuer à l’objectif que s’est fixé l’Union Européenne dans le « Pacte vert pour l’Europe », à savoir une réduction des émissions de CO2 de 55% en 2030 et parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050.

Le secteur des transports est actuellement responsable d’environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union. Toutefois, le secteur ferroviaire représente moins de 0,5 % de ces émissions, ce qui en fait l’une des formes les plus durables de transport de voyageurs et de marchandises. Malgré ces avantages, seulement 7 % des personnes voyagent en train et 11 % des marchandises sont transportées par rail.

Dans le cadre des déplacements de moins de 1500 kilomètres pour les voyageurs et de plusieurs milliers de kilomètres pour le fret, le potentiel de transferts modaux vers le rail depuis les transports routier et aérien est important.

Les objectifs européens pour le rail international

  • Créer un réseau transeuropéen performant qui s’articule autour de neuf corridors de transport majeurs en Europe, dont trois traversent la Belgique. Le programme européen Connecting Europe Facility soutient financièrement sa mise en place d’ici 2030. La Belgique bénéficie ainsi de subsides à hauteur de 57 millions dans le but entre autres de réduire les incompatibilités techniques avec nos voisins.
  • Rediriger le transport de fret vers le rail pour respecter les objectifs de réduction de l’impact environnemental du transport routier.
  • Intégrer et mieux connecter les différentes lignes de transport ferroviaire au sein de l’Union Européenne.
  • Revaloriser les lignes ferroviaires transfrontalières abandonnées ou peu sollicitées.

L’Europe est donc consciente de la nécessité de redéployer un réseau attractif et dense de services ferroviaires internationaux longue distance, comprenant des services fréquents de jour ainsi que des trains de nuit et de marchandises qui couvrent de plus grandes distances.

Un réseau pas si international que ça

Les objectifs affichés au niveau européen restent à ce stade de belles intentions qui tardent toutefois à se concrétiser sur le terrain ! Des difficultés existent et le train « connecting Europe Express » n’a pas été épargné : le manque d’interopérabilité entre certaines parties du réseau ferroviaire européen a nécessité la formation de trois trains différents, adaptés aux différents écartements de voie utilisés en Europe… Tout un symbole ! Ce sont les pays Baltes et la péninsule ibérique qui se singularisent du reste de l’Europe sur ce point.

En réalité, le rail est historiquement une affaire d’Etat, même si des entreprises privées ont également participé à son développement. En s’appuyant sur une compagnie publique, chaque nation a développé un réseau intérieur avec ses caractéristiques propres. Cela gêne considérablement l’utilisation de matériels roulants identiques entre deux pays lorsque l’écartement des voies, les systèmes d’alimentation ou de signalisation ne sont pas les mêmes. En Europe, il est actuellement illusoire d’imaginer un train qui parcourrait un trajet international sans changements de conducteurs (presque à chaque frontière) et/ou de locomotives, ce qui ralentit d’autant la vitesse commerciale et la concurrentialité par rapport aux transports routier et aérien.

Autre point noir à l’époque du numérique : il est toujours trop complexe pour une entreprise de réserver un sillon horaire1 pour un train de marchandises ou pour un voyageur de réserver un trajet traversant plusieurs pays (plusieurs intervenants, pas de système de réservation européen, prix non intégrés…).

Les réseaux nationaux ont été conçus pour satisfaire la demande intérieure de voyageurs. Les connections transfrontalières souffrent d’un désintérêt à l’exception de certaines liaisons entre grandes villes et entre pôles économiques (les ports et les grandes zones industrielles).

Prenons l’exemple de la ligne Dinant-Givet. Fermée en 1988 par manque de « rentabilité », elle est considérée comme un chaînon manquant au niveau européen. Elle permettrait de désenclaver le nord de l’Ardenne française en lui donnant accès direct à Dinant et, plus largement, au réseau ferré belge. A contrario, elle permettrait à des Wallons de rejoindre plus facilement le réseau TGV français à Reims sans devoir passer par Bruxelles. Il existe un projet de réouverture mais Français et Belges ne voient pas cette liaison comme prioritaire et attendent que l’autre fasse le premier pas. Du coup, rien ne bouge !

Au niveau de la sécurité, il y a aussi de nombreuses différences entre pays européens. Le système européen ETCS, qui assiste le conducteur pour réguler la vitesse du train ou en cas de non-respect d’un feu de signalisation, est en train d’être mis en place et devrait devenir la norme. La Belgique fait partie des bons élèves puisque tout le réseau et le matériel roulant devraient en être équipés en 2026. D’autres pays sont à la traîne, en partie car ils possédaient à l’origine des systèmes plus performants que chez nous. Lorsque le réseau sera complet, les nécessités de changer de locomotive et de conducteurs se réduiront puisque tout le monde parlera avec le même « langage ». Mais l’échéance n’est pas connue car cela demande des investissements importants.

Un frein au développement des trains internationaux est la concurrence déloyale des secteurs de l’aérien (aides fiscales) et du transport par route (entretien de l’infrastructure) qui bénéficient d’aides non-négligeables alors que le prix de l’utilisation du rail par un opérateur ne bénéficie d’aucun soutien. Un exemple récent : la Suède souhaitait ouvrir une ligne de trains de nuit entre Malmö et Bruxelles. Elle a lancé un appel d’offre auquel aucun opérateur n’a souhaité répondre car l’accès aux sillons en Allemagne n’est pas rentable car trop cher et non-subventionnable en raison de la libéralisation du rail.

Si l’on veut que le train devienne plus concurrentiel, il est temps de rééquilibrer les choses en supprimant les aides au secteur aérien et en exonérant les frais de sillon pour le transport ferroviaire de marchandise et voyageurs. Une décision qui doit se prendre au niveau européen !

Les améliorations attendues

Pour éviter que l’Année européenne du rail ne reste de l’ordre du symbolique, l’Union Européenne et les gouvernements nationaux devraient approuver les mesures suivantes :

  1. Réduire les redevances d’accès aux voies pour les trains internationaux (marchandises et voyageurs) et supprimer progressivement les subventions aux vols et aux vols court-courriers. Seule manière de provoquer un réel transfert modal depuis l’aérien vers le rail.
  2. Augmenter les investissements publics pour combler les lacunes en matière d’infrastructures et moderniser les infrastructures existantes dans le but d’arriver à une interopérabilité maximale entre les réseaux nationaux (généralisation du système de sécurité ETCS, travaux de rénovation sur les lignes transfrontalières, réouvertures de lignes).
  3. S’engager à mettre en place de nouvelles lignes internationales voyageurs à longue distance et des trains de nuit, ainsi que des améliorations de service à court terme. Les voyages aériens sur de courtes distances sont à proscrire au plus vite. Le train doit devenir le premier choix pour les trajets allant de 500 à 1500 kilomètres. Consultez le site de Back on track Belgium pour en savoir plus sur le retour des trains de nuit.
  4. Rendre obligatoire le partage des données en temps réel et des données de billetterie pour les opérateurs ferroviaires afin de mettre sur pied un système de réservation européen unique qui intègre toute l’offre.
  5. Lancer un programme de financement pour le matériel roulant et les wagons-lits interopérables. L’idée du retour du train de nuit fait son chemin mais le matériel roulant adéquat fait défaut depuis l’abandon progressif des services de nuit. Il est essentiel d’imaginer de nouveaux wagons lit plus modernes et confortables pour répondre aux aspirations des voyageurs.
  6. Renforcer le droit des voyageurs ferroviaires au niveau international.

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  1. Un sillon horaire est une période durant laquelle l’infrastructure ferroviaire est affectée à la circulation d’un train entre deux points du réseau.

Denis Jacob

Mobilité