Sécheresses, inondations, cyclones, … les événements climatiques extrêmes se sont multipliés durant les 5 premiers mois de l’année 2023. En ce deuxième week-end de juin, alors que New-York suffoquait sous les fumées déclenchées par les centaines de gigantesques feux de forêt qui ravageaient le Canada, alors que la Belgique connaissait des températures supérieures de 10°C aux moyennes saisonnières, une nouvelle épreuve de course automobile se déroulait en plein cœur du Parc naturel de l’Ardenne Méridionale : le Rally of Bertrix. Comme au vingtième siècle. Comme si de rien n’était…
Entre 1984 et 1992 se sont déroulées 7 éditions du rallye de Bertrix. Désireux de ressusciter cet événement ayant connu une existence éphémère au siècle passé, le bourgmestre de Bertrix a sollicité le Royal Automobile Club de Spa pour organiser une manche du championnat de Belgique des rallyes dans sa commune.
En un gros mois, la Nature bertrigeoise aura donc connu :
- le 06 mai, une « balade » enduro dans les bois (pour les non-initiés, les véhicules utilisés sont des motos, des quads et des SSV (ou « side by side vehicle », espèce de croisement entre un quad et un buggy) ;
- le 04 juin, le motocross annuel ;
- les 10 et 11 juin, ce tout nouveau rallye dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne respecte pas vraiment la quiétudes des lieux.
Ceci ne peut qu’interpeller les personnes conscientes des enjeux environnementaux et éveiller chez elles des émotions diverses. Incrédulité. Indignation. Colère. Abattement voire désespoir, aussi, devant l’inconséquence des organisateurs, des participants et des spectateurs de ce genre d’événements. Comment peut-on encore, en 2023, être aussi totalement hermétique aux défis environnementaux ? Comment peut-on ignorer (ou refuser d’accepter) que la biodiversité s’effondre, que les bouleversements climatiques s’accélèrent. Et que, dans ces circonstances, la dernière chose à faire est de brûler du pétrole « pour le plaisir » – et particulièrement dans un parc naturel (qui plus est dans le tout nouveau parc national Vallée de la Semois), et particulièrement en cette saison, en pleine période de reproduction ?
Bien sûr, le rallye de Bertrix n’est pas le seul événement de ce type. Bien sûr, les quelques milliers de spectateurs qui se sont déplacés à Bertrix sont peu de choses face aux 300 000 personnes qui ont tenu à célébrer le centième anniversaire des 24 heures du Mans qui se tenait au même moment. Bien sûr, des centaines de courses de « sports moteurs » se déroulent chaque semaine, que ce soit sur circuit, sur espace public privatisé pour l’occasion (comme c’est le cas ici, les amateurs ayant dû débourser 17 € pour accéder au parcours), sur « routes ouvertes » ou en pleine nature… Mais si l’on peut comprendre qu’il soit difficile de mettre fin à l’organisation d’un événement qui se déroule de manière récurrente depuis des décennies, ce n’est pas le cas ici. Car le rallye de Bertrix est un nouvel événement qui vient s’ajouter à un calendrier déjà chargé. Avec la volonté affirmée de pérenniser l’affaire ! Comme dans les années « Michel Vaillant », comme si de rien n’était…
Cerise sur le gâteau, le Rally of Bertrix (y a pas à dire : ça fait tout de même vachement mieux en anglais) a lieu en même temps que les « Boucles de la Semois », randonnée cycliste organisée par le Cyclo Club de Bertrix depuis plus de 40 ans durant le deuxième week-end de juin. Ainsi, le pied de nez à la promotion des modes actifs s’ajoute à l’apologie de la vitesse et des comportements dangereux au volant, à la promotion de l’automobile et au mépris pour les milieux naturels et les espèces qui les habitent (quelques espèces présentes sur le tracé de la course : la cigogne noire, la pie-grièche écorcheur, la couleuvre à collier, le tarier pâtre et même…le seul lynx de Belgique).
Deuxième cerise : sur la page Facebook dédiée à l’événement, on peut lire que la majeure partie des routes empruntées présente un asphalte dégradé. Qui dit asphalte dégradé dit plus grande sensibilité aux forces d’arrachement induites par les pneus de voitures puissantes conduites de manière « sportive » (accélérations, freinages, dérapages, …). Ainsi donc, non seulement la commune a contribué à hauteur de plusieurs milliers d’euros à l’organisation de l’événement (voir page 18 de ce compte-rendu du Conseil communal) mais ce faisant elle accélère la dégradation d’une partie de son réseau routier … et accroît les besoins financiers pour l’entretien dudit réseau.
En chiffres ronds, les émissions mondiales de CO2 ont été multipliées par 3,7 sur les 60 dernières années. Pour répondre au défi climatique, il faudrait, sur les 25 à 30 années qui viennent, les diviser par 20 au moins … Il est impossible de relever ce défi tout en continuant à fonctionner « comme si de rien n’était ». Un « changement en profondeur » est indispensable comme le soulignait l’IPBES dans son rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques publié en mai 2019. Par changement en profondeur, l’IPBES entend « une réorganisation en profondeur à l’échelle du système de l’ensemble des facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris des paradigmes, des objectifs et des valeurs. » Continuer à organiser des courses automobiles, cela relève-t-il d’un changement en profondeur ? Non (et ceci est bien évidemment vrai pour de très nombreux autres aspects de nos sociétés).
Nous n’avons malheureusement plus le choix qu’entre deux options ;
- soit nous nous engageons sur la voie du changement en profondeur indispensable pour que l’être humain (et d’innombrables d’autres espèces) puisse continuer à habiter la planète Terre. Ce qui implique notamment d’interdire dès à présent toutes les courses automobiles et toutes les autres formes de consommation d’énergie superflues ;
- soit nous refusons collectivement de réaliser de tels « sacrifices », ce qui revient à refuser d’agir, attitude que Antonio Gutteres, Secrétaire général des Nations Unies, qui a définitivement opté pour le parler vrai, nomme sans détours un « pacte de suicide collectif » menant à l’enfer climatique.
Le « rally of Bertrix » ne nous aide pas vraiment, hélas, à croire encore que l’humanité peut opter pour la première option …
Crédit photo d’illustration : bikerpb – Adobe Stock
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