Les courses et autres rallyes automobiles constituent l’un des plus puissants vecteurs de diffusion de la « culture automobile » dont sont imprégnées nos sociétés. Ces manifestations entretiennent chez nombre de personnes une image positive de la voiture, objet-fantasme répondant aux envies inconscientes de puissance, de défi, de dépassement (de soi et des autres), d’affirmation de soi, de domination…[[DIEKSTRA R., KROON M. 2004. Cars and behaviour: psychological barriers to car restraint and sustainable urban transport. In OECD. Communicating environmentally sustainable transport – The role of soft measures. Paris: OECD Publishing, p. 55-62.]] Elles offrent aussi des moments de transgression autorisée durant lesquels des comportements fondamentalement irrespectueux et mettant objectivement à mal la santé des citoyens sont officiellement tolérés par voie dérogatoire. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, sur le terrain, les comportements individuels dépassent souvent ces « seuils dérogatoires ».
Les personnes qui apprécient les rallyes et courses choisissent d’y assister et acceptent dès lors (pour certains consciemment, pour d’autre moins ou pas du tout) de s’exposer à des niveaux sonores dépassant parfois le seuil de la douleur, à des niveaux de pollution atmosphérique très élevés et à une insécurité routière accrue. Il en va tout autrement des personnes qui, habitant près des zones où se déroulent ces manifestations, en subissent les conséquences néfastes sans pouvoir s’y soustraire. Non seulement ces personnes subissent des nuisances directes (dont la privation de sommeil) produisant des effets court, moyen et long terme, mais de plus elles sont confrontées au déni de la réalité de ces nuisances, aux moqueries lorsqu’elles osent s’en plaindre, voire aux intimidations et aux insultes. La plupart tombent dès lors dans la résignation. Certains osent cependant se mobiliser et plaider pour une meilleure prise en compte du respect dû à chacun (notamment aux plus fragiles) et pour plus de cohérence dans nos comportements sociétaux (prise en compte des défis environnementaux dans nos comportements individuels et collectifs).
C’est à une telle démarche citoyenne que nous aimerions donner écho aujourd’hui en publiant le courrier que nous a adressé il y a quelques semaines un professionnel de la santé (médecin namurois) sur base d’un cas bien particulier : le rallye de Wallonie. Voici donc, ci-dessous, le texte du docteur JP Rihoux.
Un rallye de Wallonie 2019 ?
Le 35ème rallye de Wallonie s’est terminé dans l’apothéose le 29/04/2018. Tous les records ont été battus ! Records de pétarades assourdissantes dans les rues, à la citadelle et dans les villages environnants de jour comme de nuit, records de vitesse dans les rue de l’agglomération namuroise, records d’émission de gaz d’échappement et de particules cancérigènes de toute nature et enfin, gaspillage record d’énergie fossile. Bref, la Wallonie a montré au pays, pendant trois jours complets, tout le génie dont elle était capable. Elle a aussi montré à la jeune génération qui monte comment il convenait d’envisager le développement durable et comment il fallait se préparer à affronter les énormes défis environnementaux auxquels notre société énergivore va devoir faire face dans l’avenir tout proche.
Les Namurois peuvent être fiers de ce rallye, exemple même d’intelligence et d’ingéniosité, qui permet aux citadins de rêver à un avenir riche et prometteur. Namur est manifestement dans le vent et dans de bonnes mains ! Les Namurois peuvent vraiment dormir sur leurs deux oreilles… à la condition que celles-ci n’aient pas été totalement démolies par les pétarades des voitures trafiquées.
Voici quelques témoignages pris sur le vif de citoyens qui ont durement souffert de ce rallye. Certains de ces témoignages soulèvent des réflexions fondamentales.
- Une dame de 56 ans, habitant avenue Gouverneur Bovesse
Ce rallye, c’est ignoble. Moi, Monsieur, j’ai 56 ans. Je travaille à Bruxelles, avec des horaires pas toujours réguliers et je fais la navette. En fin de semaine, je suis fatiguée, très fatiguée, et j’ai bien besoin de tout mon week-end pour me détendre et récupérer. Mais avec ce vacarme en dessous de mes fenêtres, c’est foutu, ce n’est pas possible… ni de me détendre… ni même de dormir la nuit. Comment peut-on imposer çà aux habitants ? Et cette pollution en plus, c’est pas croyable… à notre époque !
- Un homme d’environ 30 ans, habitant rue Mottiaux.
Que voulez-vous que je vous dise ? Moi, Monsieur, le samedi matin, je dois être au travail à 6h30… mais je n’ai pas pu fermer l’œil la nuit précédente à cause des pétarades des voitures du rallye ! Impossible de dormir même en se mettant des bouchons dans les oreilles !… Mettez-vous à ma place… difficile d’imaginer çà… difficile… et ce n’est pas fini…
- Une dame très âgée (88 ans), rue de Géronsart.
– Ah, Monsieur, quelle affaire, quel bruit… toute la journée et même pendant la nuit. Quelle affaire ! On ne peut même plus sortir de chez soi. C’est dangereux. C’est pas bien,… Ce n’est pas normal…Qu’est-ce qui faut faire… ?
Seriez-vous prête à témoigner de cela, Madame ?
A témoigner ?
Oui, à dire à la ville de Namur ce que vous me dites là ?
Dire à la ville ?… Non… Je ne préfère pas …
Pourquoi, Madame, vous avez peur ?
Peur… Oui… Je ne préfère pas…
Vous avez peur de dire à la ville que ce rallye vous fait du mal ?
Oui… Je ne préfère pas …
- Un homme d’environ 50 ans, rue de Géronsart.
– Le rallye, nous, on est contre. C’est de la pollution, ça ne fait rien de bon et il serait quand même temps qu’on cesse de faire des conneries pareilles !…Et puis, tout ce bruit aussi : on ne peut même plus être tranquille chez soi. Et puis, je n’ai pas peur de le dire, pour nous le rallye, c’est des baraquis !
Des « baraquis » ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
Ben, des baraquis : Faut pas leur dire un mot à ces gens-là ou leur faire une petite remarque, tout de suite c’est des grossièretés, des injures, … et ils vous engueulent et vous menacent… Des baraquis, je vous dis ! Vous avez déjà essayé de parler à ces gens-là ? Vous les avez déjà vus ?
(Ce témoin veut dire que les fans du rallye et les pilotes sont des personnes grossières, violentes et peu fréquentables. Semblable mentalité existe aussi chez certains organisateurs du rallye, ce que j’ai pu vérifier moi-même le jour où j’ai tenté d’entrer en contact avec eux dans le local du parc Astrid réservé à cette direction. Je me suis fait traiter de « vieux con » auquel on allait « casser la gueule » si je ne m’empressais pas de quitter ce local).
- Une employée habitant rue de Géronsart, mère et jeune grand-mère
Moi ce qui me révolte le plus dans ce rallye, c’est l’absence total de cohérence de nos responsables politiques. D’un côté, ils imaginent la création d’espaces verts pour améliorer la qualité de la vie des citadins, ils préconisent des zones « 30 » pour diminuer la pollution et augmenter la sécurité, ils multiplient les passages pour piétons pour garantir d’avantage de sécurité aux piétons et surtout aux enfants, ils limitent drastiquement les nuisances sonores pour le confort des gens… Bref, comme dit Benoît Lutgen, ce qui importe, c’est « L’HUMAIN ». Et puis, tout à coup, pendant les trois jours du rallye, on ouvre toutes les rues de l’agglomération à des bolides trafiqués auxquels tout est permis : pas de limitations de vitesse, pas de limitations de bruit ni de jour ni de nuit (et tant pis pour les personnes aux oreilles sensibles, aux personnes malades et souffrantes et à tous ceux pour lesquels le repos est indispensable…), pas de respect des passages pour piétons (et tant pis pour les vieux et les enfants : ils n’ont qu’à rester chez eux), pas de limitation de production de gaz d’échappement… et même le parc Astrid est envahi par les voitures du rallye ! Ce parc qui est le symbole de l’espace vert et qui est le grand jardin de tous les enfants du quartier ! Ce rallye c’est LE NON DROIT absolu pour le citoyen, et il n’y a, dans les rues, aucun contrôle policier ni du bruit ni des vitesses ! Ce ne sont pas les valeurs citées plus haut (bien-être, qualité de vie, sécurité,…) qui décident du sort du rallye, mais c’est le rallye qui décide de toutes les valeurs. (A méditer)
En résumé, les personnes qui souffrent du rallye transmettent clairement à la ville les messages suivants :
- ce rallye est odieux pour tous les riverains fatigués ou sensibles à la nuisance sonore ;
- pareille pollution, à notre époque, est inacceptable (voir OMS) ;
- la clientèle du rallye (les fans) n’est pas particulièrement intéressante pour la ville ;
- le fond du problème est une question de valeurs sociétales face aux comportements électoralistes de nos élus.
On pourrait récolter ce genre de témoignage tant que l’on veut : il suffit de s’intéresser à ceux qui souffrent. Soit dit en passant, aucun de mes témoins n’avait jamais été consulté par la ville, même si tous habitent un endroit stratégique du rallye, là où les nuisances sont maximales. Ceci souligne, du moins je le crois, le peu d’intérêt que la ville porte à ces personnes.
Au moment où l’OMS lance un véritable cri d’alarme (voir la déclaration du 2 mai 2018[[http://www.who.int/fr/news-room/detail/02-05-2018-9-out-of-10-people-worldwide-breathe-polluted-air-but-more-countries-are-taking-action]]) concernant la détérioration de la qualité de l’air sur notre planète, la ville de Namur osera-t-elle encore décider d’inscrire ce rallye polluant et indécent à son programme pour l’année 2019 ? Il y va du bien-être, de la santé et de l’espérance de vie des citoyens. Notre ville aura-t-elle le courage de nous donner une réponse claire et motivée avant les élections communales prochaines ?
Document transmis au bourgmestre de Namur, aux échevins, à la police de Namur, à la presse francophone, à la Ministre fédérale de la santé publique et à Inter-Environnement Wallonie.
Le 10/05/2018