Ce 8 mars 2022, l’association européenne Transport & Environment (T&E) a communiqué sa feuille de route pour « décarboner » le secteur aérien remise à jour. La précédente avait été publiée en 2018.
Cette nouvelle version préconise des mesures sur un plan « technique » – telles que par exemple le développement d’appareils plus performants ou de carburants plus durables – mais aussi des mesures qui s’apparentent davantage à la sphère culturelle et comportementale, comme la diminution effective des vols et des kilomètres parcourus, en amenant notamment les entreprises à revoir leur politique en matière de voyages d’affaire et en incitant les particuliers à réduire leurs voyages d’agrément, en particulier les voyages longue distance, et cela via divers mécanismes.
Et c’est bien l’une des leçons tirées de la pandémie : les entreprises se sont montrées capables d’organiser les réunions autrement et les voyages d’affaires ne sont plus justifiés comme ils l’étaient dans le passé. Les particuliers ont testé un tourisme de proximité. Si la reprise des voyages en avions a été une réalité au deuxième semestre 2021 et est souhaitée par le secteur, on peut également s’attendre à ce que certaines des habitudes prises au cœur de la pandémie, comme le tourisme de proximité, se prolongent et que les bénéfices du Covid ne soient pas totalement perdus sur ce plan. En tout état de cause, on ne ressort jamais indemne d’une crise, et celle-ci aura eu le mérite, au moins, de nous forcer à tester, voire adopter définitivement, certaines pratiques plus favorables au climat.
La question de la réduction des émissions du secteur aérien est d’autant plus importante que celui-ci a, pour rappel, connu une croissance continue depuis des décennies et que, comme le souligne T&E, ceux qui utilisent ce moyen de transport et produisent ses impacts appartienne essentiellement à un groupe socio-économiquement favorisé de ressortissants de pays occidentaux.
Comme le rappelle T&E dans l’introduction de sa feuille de route, les émissions du secteur aérien en Europe ont été multipliées par plus de deux entre 1990 et 2020, et l’effet climatique de ces émissions est multiplié par trois si on tient compte des impacts non-CO2 du secteur. Et par ailleurs, si tous les habitants du monde prenaient l’avion comme les 10% des européens les plus riches, l’aviation serait responsable de deux tiers des émissions mondiales (en se basant sur les chiffres de 2019).
Pour T&E, plusieurs leviers doivent être activés pour arriver à réduire drastiquement les émissions du secteur d’ici 2050, comme indiqué dans le schéma ci-dessous. Il ne suffit pas de compter sur des innovations technologiques, car leurs effets ont toujours été, dans le passé, compensés par une croissance de la demande. Ces leviers sont : une réduction de la demande via divers mécanismes, l’application d’un prix juste pour mettre fin à l’exonération fiscale du secteur (ce qui aura d’ailleurs un effet sur la demande), le développement et l’utilisation de carburants plus durables pour remplacer à terme les carburants fossiles et la réduction des émissions liées aux vols par des appareils et des plans de vols/trajectoires plus performants.
Certains de ces leviers devraient produire leurs effets plus rapidement que d’autres. Par exemple, selon T&E, les actions visant à réduire la demande de voyages d’affaires sont à entreprendre rapidement car, non seulement elles s’inscrivent dans le sillage des changements d’habitudes liés au Covid, mais en plus, elles ont des effets potentiels quasiment immédiats et ayant un impact sur la demande des voyages de loisir (étant donné notamment un effet sur les prix des billets). A contrario, le développement de carburants alternatifs et plus durables correspond à une entreprise de longue haleine qui ne produira pas d’effets significatifs avant une dizaine d’années.
Si on peut se réjouir de certaines tendances qui se traduisent par une remise en cause de la nécessité ou du bien-fondé des voyages en avions1, réduire le nombre de vols et de kilomètres parcourus pour le voyages d’affaires demande, selon T&E, l’intervention volontaire des entreprises et autres organisations (telles que les administrations publiques et universités, par exemple), conjointement avec une action des Etats qui pourraient par exemple limiter l’usage des « Frequent flyers Programme » (rétribuant les voyageurs qui parcourent le plus de kilomètres en avion) ou en rendant obligatoire la publication des émissions liées aux voyages des employés. Comme indiqué ci-dessus, une meilleure taxation du secteur contribuerait à freiner la demande, bien évidement.
En conclusion, cette feuille de route nous semble un document incontournable pour comprendre non seulement l’impact du secteur aérien sur le climat, ses perspectives, mais également l’ensemble de mesures nécessaires pour l’amener à réduire cet impact. Nous nous réjouissons aussi de constater que la réduction de la demande (tant sur le plan du nombre de vols que sur celui des kilomètres parcourus) et une taxation plus juste du secteur occupent dans ces projections une place centrale, ce qui corrobore nos hypothèses, fondées notamment sur les perspectives de durabilité réduite des carburants alternatifs.
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- Déjà avant la pandémie, la demande pour les voyages en avion, en suède a chuté de 5% selon le magazine Forbes et Bill Gates, par exemple, prédit une forte réduction des voyages d’affaire.