La CRAEC (Commission régionale d’Avis pour l’Exploitation des Carrières) a organisé ce vendredi 21 octobre 2016 un séminaire sur le thème : « Etre riverain de carrière aujourd’hui ». L’intérêt de cet évènement était d’y voir plus clair sur les réalités de chacun. Les objectifs des uns, les contraintes des autres, témoigner, écouter… Une centaine de personnes ont ainsi participé à cette journée dont l’objectif n’était pas d’accabler l’une ou l’autre partie, mais bien de comprendre pourquoi certaines situations sont plus difficiles que d’autres, quelles ont été, ou quelles pourraient être, les clés d’une bonne cohabitation riverains/carriers. En tant que membre de la CRAEC, la Fédération Inter-Environnement Wallonie était non seulement présente mais intervenait afin de mettre en avant les impacts concrets de l’activité extractive sur les riverains. Focus sur cette présentation et les enseignements de cette journée.
Afin d’exposer au mieux les impacts de l’activité extractive et de proposer des pistes d’action pour tenter d’améliorer les relations entre riverains et carriers, la présentation d’IEW s’est basée sur un travail réalisé en 2012 par la Coordination Carrière. Mise en place en 2010, cette Coordination rassemble les riverains d’une quinzaine d’associations concernées par des exploitations de carrières en Wallonie. Le point commun de ces riverains est la volonté de mieux comprendre la règlementation en vigueur en Wallonie et de mieux connaître les spécificités du secteur carrier. Pour cela, la Coordination Carrière a organisé pendant deux ans des visites de sites en collaboration avec les carriers mais aussi des sessions de formation sur la législation avec l’aide de l’administration wallonne. Suite à ces échanges d’expériences, d’informations et de connaissances, la Coordination Carrière a écrit en 2012 un Cahier de recommandations à l’usage des autorités et des exploitants[ voir aussi : www.iewonline.be/spip.php?article4708]]. Ce Cahier fut remis à l’époque au Ministre de tutelle et la CRAEC s’est saisie du texte et a remis [son propre avis[[voir aussi : www.iewonline.be/spip.php?article5602]]. Alors qu’elle partage certains constats et appuie des pistes d’améliorations, la CRAEC ne fait pas sienne certaines recommandations portées par Inter-Environnement Wallonie. L’objectif de l’intervention d’IEW lors du séminaire du 21 octobre était donc revenir sur les points essentiels de ce Cahier de recommandations.
Impacts… ou nuisances ?
Le phénomène NIMBY étant passé par là, gardons à l’esprit qu’il existe des exemples malheureux de riverains qui ne sont pas objectifs lorsqu’ils se manifestent. Certains en ont fait une spécialité et se plaignent systématiquement lorsqu’un projet ou une activité les touche de près… ou de très loin. Mais ne nous voilons pas la face. Si tout au long de cette journée d’échanges, les intervenants ont généralement évoqué les impacts, il faut reconnaître que pour beaucoup de riverains, la cohabitation avec une carrière est source de véritables nuisances. Certains le vivent comme une réelle agression et le désarroi peut très vite s’installer face au couple « carrier – administration communale ».
Information
Pour assurer une bonne cohabitation riverains/carriers, un élément essentiel est d’assurer une bonne information. Législation, nouvelle demande ou renouvellement de permis, conditions d’exploitation… l’entente passe par la compréhension. A l’heure actuelle, il y a deux moments précis durant lesquels les riverains peuvent recevoir de l’information : la RIP (Réunion d’Information Préalable) et l’Enquête Publique. IEW plaide pour une plus grande pro-activité de la part des exploitants. Un premier contact, le plus en amont possible permettrait aux bureaux d’études et aux demandeurs de mieux prendre en compte les remarques et les inquiétudes des riverains dans l’élaboration des projets. Cet échange préalable permettrait d’atténuer le sentiment souvent partagé par les riverains, lorsqu’ils se rendent à une RIP ou qu’ils découvrent le dossier pendant l’enquête publique, que le projet qui leur est présenté est déjà « tout ficelé ».
Une fois le permis accordé, celui-ci est accessible aux citoyens. Il peut en faire la demande auprès de l’autorité qui l’a accordé. Encore faut-il savoir de quelle autorité il s’agit et quelles sont les conditions de consultation. Faciliter et élargir cette accessibilité nous semble également être un élément qui contribuerait à améliorer la connaissance et la compréhension de la situation par les riverains., Pourquoi ces documents ne pourraient-ils pas être disponibles sur le site internet de l’exploitant (lequel aura bien entendu veillé à extraire du dossier toute pièce relevant du secret industriel) ?
Enfin, la Fédération est convaincue que les visites sur site peuvent améliorer les relations riverains/carriers. Et ces visites devraient, dans la mesure du possible, avoir lieu pendant le fonctionnement de la carrière afin que les riverains comprennent mieux les réalités et les contraintes auxquelles sont confrontés les exploitants.
Dialogue
Etablir et maintenir un dialogue permanent entre les deux parties ne peut qu’encourager les bonnes relations entre riverains et carriers. Depuis quelques années, la mise en place d’un Comité d’Accompagnement est le lieu privilégié pour assurer ce dialogue.
Cependant, la législation ne l’exige pas. C’est à l’autorité compétente de l’imposer dans le permis, ce qui est de plus en plus fréquent, il faut bien le dire. Mais lorsque ce Comité d’Accompagnement n’existe pas, quelle est la place du riverain entre l’autorité communale, pas toujours neutre dans les discussions, et l’exploitant ? La généralisation de ce type d’outil permettrait de désamorcer beaucoup de situations difficiles.
Lorsque ce Comité est en place, à quelle fréquence se réunit-il ? Une fois ou deux puis on l’oublie parce que, « de toute façon, il n’y a pas de problème » ? Un Comité d’Accompagnement devrait se réunir de manière régulière, c’est-à-dire plusieurs fois par an, et offrir la possibilité aux trois parties qui le composent (carriers, riverains et commune) de s’impliquer réellement et efficacement dans un processus constructif de bonne cohabitation. Il s’agit donc de se réunir lorsqu’un incident ou une nuisance est identifiée, mais pas seulement ! Un dialogue sain et permanent ne peut se construire uniquement sur des points de désaccord ou de mésentente. De plus, il serait intéressant pour chacun que le dialogue se poursuive au-delà de l’exploitation afin d’entendre les différentes parties sur les possibilités et les souhaits de réaménagement.
Par ailleurs, une question cruciale concernant les Comités d’Accompagnement est sans nul doute celle de la représentativité des riverains. Il apparaît que, généralement, les représentants des riverains n’ont pas été désignés par un processus démocratique mais sélectionnés par la commune sur base d’une liste de riverains ayant répondu à un appel à candidature. Ne soyons pas dupes, ce système de désignation est la porte ouverte à une politisation du Comité d’Accompagnement, ce qui n’est pas étranger à la frustration et aux réticences des riverains impactés par une exploitation. Par conséquent, les représentants des riverains, au sein de ces Comités d’Accompagnement, doivent absolument être désignés par leurs pairs.
Il est également important que les informations puissent circuler au-delà du Comité d’Accompagnement. Les représentants des riverains ont là un rôle très important à jouer entre l’exploitant et la commune d’une part, et l’ensemble des riverains qu’ils représentent d’autre part. Les renseignements et les échanges qui ont lieu doivent sortir du Comité pour que tous les riverains concernés puissent recevoir ces informations.
Enfin, une dernière piste pour assurer ce dialogue permanent est la désignation systématique, au sein de l’exploitation, d’une personne de contact pour les riverains. Bien conscient que cela représente un investissement et du temps pour le carrier dont le métier de base n’est pas la communication avec les parties prenantes, il est néanmoins important pour les riverains de savoir immédiatement vers qui se tourner pour faire part de l’une ou l’autre difficulté. Et ce qui est tout aussi important, c’est que cette personne assure automatiquement un suivi de chaque appel.
Conditions d’exploitation
Au-delà des craintes et des inquiétudes des riverains lors d’une extension ou de l’ouverture d’une nouvelle carrière, la Fédération est régulièrement sollicitée au sujet des conditions des permis octroyés. Une fois de plus, une transparence et une accessibilité accrue aux permis permettrait déjà de clarifier bien des situations.
Ensuite, IEW constate qu’il serait opportun de revoir certaines conditions sectorielles (elles datent de 2003 !). En effet, non seulement, depuis une dizaine d’années, de nouvelles techniques sont apparues et permettent désormais d’atteindre de meilleurs résultats pour atténuer certaines nuisances, mais en outre, le lien entre santé et environnement est maintenant clairement établi. A titre d’exemple : le bruit. Depuis 2009, l’Organisation Mondiale pour la Santé incite clairement les Etas-Membres à exiger un niveau sonore maximum de 40 dB, mesuré à l’extérieur des habitations la nuit afin de garantir un niveau maximum de 30 dB à l’intérieur des maisons. Or, les conditions sectorielles stipulent que la valeur limite de niveaux de bruit applicables aux carrières et à leurs dépendances ne peut dépasser 45dB (à l’extérieur des habitations) entre 22h et 6h00.
Enfin, il s’avère parfois que ces conditions sectorielles, ou particulières, ne sont pas toutes respectées par les exploitants d’un site. Au vu des moyens humains dont dispose l’administration, il est clair que celle-ci peut à peine assurer un contrôle en cas de plaintes. Afin d’enrayer le sentiment d’impunité qui touche certains exploitants de site, IEW souhaite voir les services chargés de ces contrôles (Département de la Police et des Contrôles) renforcés au plus vite et insiste pour que les sanctions prévues puissent être appliquées. Il est malheureux que ce type de comportement reste sans suite alors qu’il nuit aussi bien aux riverains qu’à l’image du secteur carrier dont certaines exploitations respectent scrupuleusement la législation et les conditions des permis obtenus.
En conclusion
Outre le rappel de la législation et la manière dont le secteur carrier évolue depuis quelques années, une partie du séminaire permettait à divers acteurs de s’exprimer sur leur vécu, leur expérience et leur réalité de terrain. Riverains, membres ou non de Comités d’Accompagnement, carriers, administration communale… l’ensemble de ces témoignages ont confirmé une chose. Une bonne cohabitation riverains – carriers, ça ne tombe pas du ciel.
Une information complète, transparente, le plus en amont possible, tout au long de l’exploitation, et jusqu’à la réhabilitation. Être fidèle et respecter engagements, à ce qu’on annonce en RIP, à ce qui apparaît dans les permis octroyés. Assurer l’efficience des outils via un meilleur fonctionnement des Comités d’Accompagnement, un renforcement des contrôles et une meilleure application des sanctions. Tous les intervenants sont unanimes : un dialogue constructif et permanent repose sur la connaissance et la compréhension des réalités de l’autre, mais aussi sur la confiance et l’honnêteté de chacun. Et bien entendu, cela demande du temps, du tact et du respect mutuel.
Si les témoignages entendus ce 21 octobre reflétaient des situations non pas parfaites, mais tendant vers un idéal, il ne faut pas se leurrer. Une exploitation de carrière implique nécessairement des nuisances pour les riverains et son environnement. Espérons maintenant que les participants concernés par des relations compliquées, voire très difficiles, aient entendu ces messages et soient repartis plus riches des informations et des expériences que les intervenants et le public auront partagées tout au long de cette journée.
Accès aux présentations des intervenants du séminaire de la CRAEC du 21 octobre 2016 : http://www.cesw.be/index.php?page=seminaire-etre-riverain-de-carriere-aujourd-hui-21-10-2016
Photo du séminaire « Etre riverain de carrière aujourd’hui » de la CRAEC – 21 octobre 2016 – Moulins de Beez, Namur. Crédit : CESW.