Santé et nature : vers une nouvelle pratique médicale

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Un texte de Nolwenn Lechien, responsable de projets en promotion de la santé et santé durable au Centre de Santé Intégré des Carrières.

Les modes de vie modernes, qui éloignent les individus de la nature, ont des effets négatifs notables sur la santé humaine et environnementale. En 2015, 74 % de la population de l’Union européenne et 80 % de la population d’Amérique latine vivaient en ville, avec une inégalité d’accès aux espaces verts et bleus (les lacs, les rivières, la mer, …). Cette urbanisation rapide affecte négativement la santé publique : la Belgique a observé une augmentation de 46% des burn-out et des dépressions longue durée entre 2016 et 2021, avec une recette d’assurance indemnités qui s’élève à 1,6 milliard par an (1).

De plus en plus de recherches empiriques montrent que les forêts et les espaces verts jouent un rôle central dans l’amélioration de la santé. Passer du temps en plein air améliore la santé mentale et le bien-être général. Que ce soit en milieu naturel ou urbain, les forêts, espaces verts et espaces bleus contribuent significativement à la qualité de vie et à l’amélioration de la santé émotionnelle, physiologique et sociale.

En effet, il est maintenant bien établi et reconnu par de nombreuses études de tous niveaux que la nature a un impact positif sur la santé. Être en contact avec la nature aide à abaisser le niveau de cortisol, l’hormone du stress. Les environnements naturels favorisent la relaxation et réduisent les tensions accumulées. Les espaces verts et bleus et les activités en plein air augmentent les niveaux de sérotonine et d’endorphines, améliorant ainsi l’humeur et le sentiment de bien-être général. Passer du temps dans la nature expose le corps à des phytocides, des composés organiques volatils libérés par les arbres, qui renforcent le système immunitaire. Et enfin, les activités de plein air comme la marche, le jardinage ou les sports augmentent l’activité physique, ce qui contribue à une meilleure condition physique et à la prévention de maladies chroniques.

Les prescriptions de nature

L’intégration des prescriptions de nature dans les plans de soins de santé peut compléter efficacement les thérapies traditionnelles et améliorer les résultats pour les patients. Les prescriptions de nature sont des recommandations de professionnels de santé encourageant les patients à passer plus de temps dans des environnements naturels. Ce dispositif, implanté différemment dans plusieurs pays, implique l’intégration de séances régulières en plein air dans les traitements médicaux. Cela peut inclure des promenades en forêt, du jardinage, ou des activités sportives en extérieur. Pour les patients souffrant de stress chronique, d’anxiété, de dépression, ou de maladies chroniques, les prescriptions de nature peuvent offrir une amélioration significative des symptômes. En Belgique, où les espaces verts sont tout de même nombreux, cette approche peut facilement être mise en œuvre.

Un projet pilote en Belgique

À Sprimont, en région Liégeoise, le Centre de Santé Intégrée des Carrières a développé un projet pilote proposant une prescription de nature à sa population de patients. Ce projet, pensé depuis octobre 2023, a réellement démarré fin mars 2024, période à laquelle les premières prescriptions ont réellement été distribuées. Ce dispositif propose aux patients un carnet présentant un programme de 2 mois d’activités à faire en nature. L’objectif des patients recevant le carnet est de passer au moins 2 heures en nature par semaine. Ce programme laisse le choix aux patients : soit participer aux activités de groupes qui leur sont proposées par des bénévoles, soit faire les activités du carnet individuellement. Un accompagnement d’un professionnel de santé 2 à 4 fois par mois est également mis en place en fonction des besoins du patient.

Ce dispositif, en test depuis maintenant deux mois, a déjà permis quelques observations et réajustements. Des interviews de patients, de professionnels de santé et des entretiens avec différents experts ont déjà mené à l’amélioration du projet et la permettent en continu. On remarque notamment le besoin d’un suivi et d’un accompagnement des patients pour le bon déroulé du programme. Les professionnels de santé qui prescrivent de la nature disent avoir amélioré leur contact avec la nature : ils prennent plus le temps de conscientiser les bienfaits sur leur santé quand ils sont dehors. De plus, bien que ce projet soit pionnier en Wallonie, aucun patient n’a été étonné en recevant le carnet de prescription et plus d’une dizaine aujourd’hui suivent les activités de groupes qui leur sont proposées. Les observations faites ne peuvent pas s’appliquer à toute notre population. Cependant, elles permettent de soulever plusieurs recommandations pour l’installation d’une prescription de nature pérenne en Wallonie.

Comme démontré dans d’autres études, notamment une étude de Ralf Buckley dans « The lancet Planetary Health », la manière la plus efficace de créer une prescription de nature est d’allier les professionnels de santé aux organisations dont l’objectif est de proposer de l’éducation relative à l’environnement, ou aux organisations qui ont déjà un contact fort à la nature. En effet, les prescriptions individuelles sans suivi et accompagnement ne permettent pas la mise en place de comportements de santé positifs pérennes. Les professionnels de santé doivent avoir un support à cette prescription et une proposition d’accompagnement adaptée à la pathologie du patient. Malgré la mission de santé communautaire des Centres de Santé Intégrée et des Maisons Médicales, les professionnels de santé doivent s’allier à d’autres organismes pour prendre en charge les patients qui ont besoin d’un contact à la nature : les prescriptions de nature ont un meilleur impact si elles sont développées de manière transdisciplinaire (2).

De plus, comme démontre la méta-analyse de Menhas R. et al. dans « Frontiers in Public Health », les prescriptions de nature ont un plus fort impact pour les personnes souffrant de troubles de la santé mentale. Bien que la nature agisse positivement sur le système immunitaire, les maladies chroniques comme le diabète, l’obésité, les troubles cardiaques, les prescriptions de nature permettent surtout un accompagnement et un suivi des patients souffrant de dépression, anxiété, burn-out, etc. Mais elles ont également un plus gros impact sur les patients n’ayant peu voire pas du tout de contact avec la nature, pour des raisons culturelles ou socio-économiques (3).

Enfin, la revue systématique de Nguyen P.-H. et al. dans « The lancet Planetary Health” confirme l’observation de terrain à Sprimont concernant l’importance du lien et de la confiance entre le professionnel de santé et le patient, qui sont nécessaires pour une adoption du programme de prescription de nature. De plus, les professionnels de santé qui prescrivent de la nature pourraient bien développer eux-mêmes une plus grande connexion avec la nature (4).

Obstacles à l’Accès à la Nature

Actuellement, malgré la gratuité de la nature et le nombre d’espaces verts et bleus en Belgique, il existe des obstacles qui varient selon les contextes culturels, les circonstances socio-économiques et les histoires de vie individuelles. Voici quelques obstacles courants :

  • Logistiques : Le temps, la distance et le coût pour se rendre dans les parcs peuvent être des freins importants. De plus, il existe des inégalités sociales en termes d’accès aux espaces verts et bleus. Les villes doivent entrer dans une logique de végétalisation plus importante.
  • Sociaux et Culturels : Les habitudes reçues étant enfant, les croyances personnelles, spirituelles, culturelles, le lieu de vie, le sentiment d’appartenance, peuvent dissuader certaines personnes de participer à des activités en plein air.
  • Manque d’expérience : Le manque d’expériences de nature et de compétences en plein air durant l’enfance peuvent rendre difficile l’engagement dans des activités en plein air à l’âge adulte.
  • Psychologiques : Les barrières psychologiques, telles que la peur ou la mauvaise santé mentale, peuvent également être des obstacles significatifs.

Pour surmonter ces obstacles, des solutions pratiques existent notamment par la mise en place durable d’une alliance entre les professionnels de santé et les professionnels de la nature :

  • Expériences de groupe : Organiser des sorties de groupe incluant le transport, l’équipement nécessaire, et des guides expérimentés peut aider à rendre les activités en plein air plus accessibles.
  • Approche progressive : Une introduction progressive aux activités en plein air, avec un soutien adapté, peut aider à surmonter les réticences initiales.
  • Un programme adapté : Le développement d’un accompagnement et d’un suivi adapté à chaque pathologie et à chaque patient.
  • Un développement généralisé et durable : L’organisation d’un programme ancré dans les habitudes des professionnels de santé notamment par l’instauration d’un nouveau canevas de soin à l’INAMI mais également par une convention entre les professionnels de santé et les organismes proposant des activités en nature, dans chaque commune.

En Belgique, bien que les prescriptions de nature ne soient pas encore courantes, elles offrent un grand espoir pour l’avenir. Les prescriptions de nature, recommandées par des professionnels de santé, peuvent efficacement compléter les traitements traditionnels. Avec un engagement soutenu, les prescriptions de nature pourraient devenir une composante clé des soins de santé en Belgique, apportant des bénéfices significatifs à la société.

En renouant avec les environnements naturels, nous prenons conscience de l’importance de préserver ces espaces pour les générations futures. Cette reconnexion favorise des comportements pro-environnementaux et encourage des actions concrètes pour protéger la biodiversité et lutter contre le changement climatique. Ainsi, en valorisant la nature dans nos vies quotidiennes, nous contribuons à la santé de notre planète tout en améliorant notre propre bien-être.

Bibliographie

1.             INAMI. Incapacité de travail de longue durée : Combien de burnouts et de dépressions de longue durée ? Quel coût pour l’assurance indemnités ? | INAMI [Internet]. [cited 2024 Jun 11]. Available from: https://www.inami.fgov.be/fr/statistiques/statistiques-indemnites/incapacite-de-travail-de-longue-duree-combien-de-burnouts-et-de-depressions-de-longue-duree-quel-cout-pour-l-assurance-indemnites-.

2.             Buckley R. Nature prescriptions: practical progress. The Lancet Planetary Health. 2023;7:e797. doi: 10.1016/S2542-5196(23)00211-5.

3.             Menhas R, Yang L, Saqib ZA, Younas M, Saeed MM. Does nature-based social prescription improve mental health outcomes? A systematic review and meta-analysis. Front Public Health. 2024;12:1228271. doi: 10.3389/fpubh.2024.1228271.

4.             Nguyen P-Y, Astell-Burt T, Rahimi-Ardabili H, Feng X. Effect of nature prescriptions on cardiometabolic and mental health, and physical activity: a systematic review. The Lancet Planetary Health. 2023;7:e313–e328. doi: 10.1016/S2542-5196(23)00025-6.