Le Bureau Européen de l’Environnement (BEE) vient de décerner plusieurs notes négatives au processus d’autorisation des substances extrêmement préoccupantes identifiées dans le cadre du règlement REACH. Une manière d’attirer l’attention sur la vigilance constante nécessaire dans le suivi de ce dossier, mis sous pression par les lobbys de l’industrie chimique, avec un brin d’indulgence de l’autorité européenne.
REACH, le règlement pour l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques doit nous aider à supprimer du marché les substances toxiques pour notre santé ou pour l’environnement et à les substituer par des alternatives sûres. Mais le processus a des ratés… qui pourraient mettre à mal le processus de substitution. La procédure prévue par le règlement REACH est pourtant très claire : une fois qu’une substance est identifiée comme extrêmement préoccupante, l’obtention d’une autorisation pour un maintien de son utilisation doit être dûment justifiée. Or, le BEE a réalisé l’analyse pour trois substances, et les conclusions sont claires : deux d’entre elles ne devraient pas recevoir d’autorisation.
L’analyse du BEE porte sur plusieurs critères :
la demande d’autorisation porte sur des usages spécifiques et bien documentés ;
l’information soumise par le demandeur répond aux exigences de la règlementation ;
l’information était accessible au public ;
le demandeur démontre un controle adéquat des risques ;
le demandeur montre qu’il n’y a pas d’alternative adaptée ;
le demandeur démontre que les avantages socio-économiques liés à l’autorisation de la substance sont supérieurs aux risques ;
l’analyse du RAC[[Le RAC est le comité d’évaluation des risques. Il prépare l’opinion de l’ECHA sur les risques pour la santé et l’environnement. Il se base sur les données fournies par le demandeur d’autorisation ainsi que sur les informations fournies par les tierces parties durant la consultation publique menée pour chaque substance faisant l’objet de cette procédure.]] et du SEAC[[LE SEAC est le comité d’analyse socio-économique. Il prépare l’opinion de l’ECHA sur les impacts socio-économiques liés à l’interdiction d’une substance.]] .
Sur base de ces critères, l’autorisation du HBCDD dans le polystyrène expansé ignifugé devrait être recalée :
les applications soumises à autorisation sont très larges ;
les émissions dans l’environnement et les émissions causées par les utilisateurs en aval ne sont pas suffisamment documentées et aucune évaluation de l’exposition des travailleurs n’a été fournie ;
une bonne partie des informations est étiquetée comme « confidentielle » ;
le demandeur n’a pas démontré que le risque est contrôlé de manière adéquate ;
les informations fournies dans le cadre de la consultation publique démontrent l’existence d’alternatives adéquates ;
l’analyse socio-économique du demandeur n’est pas réaliste.
Seule l’analyse faite par le RAC obtient une évaluation positive, l’analyse du SEAC et sa décision d’autoriser cette substance pour quatre ans étant quant à elle inadéquate au vu de la disponibilité d’une alternative en quantité suffisante. La convention de Stockholm prévoit l’interdiction de toutes les utilisations du HBCDD pour 2020. La substitution devra être réalisée d’ici là – il est donc temps de l’impulser au niveau européen !
L’autorisation du DEHP dans les PVCs reçoit également une évaluation négative :
la demande d’autorisation est excessivement large et ne précise pas quelles sont les utilisations concernées par cette demande ;
les impacts potentiels pour l’environnement et la santé n’ont pas tous été évalués par les demandeurs ;
une grande partie des informations n’a pas été rendue accessible au public ;
les demandeurs n’ont pas démontré que le risque est contrôlé de manière adéquate ;
les demandeurs n’ont pas démontré l’absence d’alternatives adéquates, alors que les informations fournies par des tierces parties durant la consultation publique ont montré que des alternatives sont disponibles pour de nombreuses utilisations ;
le RAC s’est basé sur des informations confidentielle pour forger son opinion et n’a pas tenu compte du caractère de perturbateur endocrinien du DEHP. Dans son avis, le RAC souligne par ailleurs que le demandeur n’a pas démontré le contrôle adéquat des risques pour les travailleurs ;
enfin, alors que le demandeur n’a pas démontré que l’avantage socio-économique est supérieur aux risques, le SEAC recommande d’accorder une autorisation de quatre ans à cette substance.
Seule substance pour laquelle le processus est jugé comme globalement adéquat par le BEE : l’utilisation de DEHP dans les pales de ventilation de moteurs aéronautiques. Quelques bémols cependant : malgré la disponibilité d’une alternative pour 2016, Rolls Royce a demandé une autorisation pour 3 ans, sans fournir le plan de substitution suggéré par l’ECHA. L’analyse socio-économique s’appuie sur la menace de délocalisation de la production si la substance devait être interdite ; l’analyse du SEAC propose une autorisation pour 7 ans, alors que le dossier d’analyse des alternatives montre que celles-ci seront disponibles endéans 18 mois.
La vigilance sera donc de mise lors du vote des États-membres, qui devrait avoir lieu au mois de septembre, pour assurer que seules les applications spécifiques, pour lesquelles les risques sont maitrisés et les alternatives non encore disponibles se voient accorder une autorisation. Et de manière plus globale, c’est toute la stratégie de soutien au développement des alternatives qui doit être renforcée, tant en terme d’implication des fabricants et utilisateurs des substituts dans le cadre du processus d’autorisation que dans le soutien à la recherche de ces alternatives.