Sols imperméabilisés, immeubles de plusieurs centaines de mètres de haut, deux sinistres erreurs à éviter. Cela semble tomber sous le sens, mais sait-on exactement pourquoi ? Voici quelques doses concentrées d’explications sur les conséquences de ces erreurs, avant de plonger en 2014 dans la découverte d’alternatives revigorantes.
1. Surfaces dures et coûts cachés de l’imperméabilisation : à la recherche d’alternatives
La tradition raconte que la maman de Moïse aurait abandonné sur l’eau son bébé dans un berceau de paille enduit de bitume. L’obsession de l’imperméabilisation ne date pas d’hier, et l’idée de survie y est toujours associée. Mettre sa famille à couvert, sortir les parapluies, ériger des digues, se réfugier sous un préau quand l’ondée passe, macadamiser un chemin creux pour que les véhicules ne s’y enlisent plus…
De plus en plus, pourtant, les vertus protectrices des matières étanches sont mises en balance avec un besoin tout aussi primordial de perméabilité. Cela s’exprime de manière très nette dans une publication récente de l’Agence Européenne de l’Environnement, « Hard Surfaces, Hidden Costs », brochure de 31 pages en anglais, disponible sur simple demande auprès de bookshop.europa.eu. Dès la page 5, elle annonce la couleur : « Un problème sous nos pieds » – le problème est partout, et chacun de nous participe à la moquette de béton, de pavés et d’asphalte qui se tisse jour après jour.
On y voit exposées trois manières de faire face à l’imperméabilisation des sols :
option 1 : limiter l’emprise de la couverture du sol ;
option 2 : faire de cette couverture une étanchéification partielle ;
option 3 :compenser l’étanchéification par des surfaces découvertes.
La brochure européenne établit entre ces voies une gradation du plus raisonnable au moins recommandable.
Limiter la couverture du sol revient, pour l’Europe, à définir des plafonds d’urbanisation et à réutiliser les sols déjà urbanisés. Libre à chaque état de définir s’il assumera l’ambition d’un recyclage intégral de ses « Brownfields » (friches industrielles) et de ses « Greyfields » (friches commerciales, parkings, routes abandonnées, anciens hôpitaux, immeubles de bureaux vides), ou s’il tentera de définir ces fameux plafonds. Le Brabant Wallon n’a-t-il pas déjà atteint une saturation très illustrative ? N’est-il pas temps pour lui de se redévelopper à l’intérieur des parcelles déjà consacrées à la résidence et aux services ?
Faire de chaque projet un projet aussi peu étanche que possible, deuxième option, n’oblige pas à s’abriter sous un toit percé. Il s’agit de prévoir avec chaque projet une panoplie d’actions permettant au sol de rester aussi à découvert et productif que possible.
Dalles alvéolées, plantes grimpantes, murs verts, jardins, sol à découvert, gravier, cours pavées au mortier de sable, toitures plantées, buissons et arbustes en haie, grands arbres mâtures, tous ces éléments participent à une meilleure absorption des eaux de pluie et à l’isolation des bâtiments. A l’échelle du pâté de maisons ou du quartier, ils contribuent à la restauration de la biodiversité, à la régulation de l’égouttage, mais aussi à faire baisser la température en cas d’ensoleillement intense.
La brochure ne dit pas qu’il faut maintenir cette « verdure salvatrice » quand elle est déjà présente là où le projet veut prendre place. Cela aurait certainement valu la peine de le préciser. La fédération IEW estime en effet que tout projet doit se faire fort de l’accompagner et de la prolonger. Une lecture au premier degré de la brochure pourrait donner à penser que les parties « vertes » d’un projet doivent nécessairement être neuves aussi.
La compensation, troisième et dernière option, impose de restaurer la perméabilité d’une surface équivalente à celle que le projet va sceller, à proximité. Le critère présidant au choix de la surface à « réouvrir » est que cette localisation permette l’épanouissement d’un écosystème équivalent à celui qui sera perdu. Une dizaine d’hectares de terre cultivée devront par exemple être compensés par des hectares remis en condition pour cultiver de manière optimale, et non par des hectares de pelouse plantés d’arbustes et de bancs. Le focus de la compensation, l’Europe y insiste, se fixe sur la perte de fonctions du sol à un endroit donné et sur la restauration de ces fonctions à proximité immédiate.
La brochure illustre la compensation comme suit :
récolte de la couche arable du sol à imperméabiliser pour rétablir sur des sols pollués récemment réhabilités, tels ceux traités par la SPAQUE, une qualité propre à la culture ;
descellement par « scrapage » de la surface étanche jusqu’à atteindre le sol sous-jacent ; cette opération lourde est malheureusement rarement entreprise à cause de ses coûts présumés ;
un montant imposé à toute démarche d’imperméabilisation, déterminé par les états ;
une bourse d’échange pour assurer la mise en circulation de certificats liés aux mesures de compensation par unité de surface.
On le voit, la compensation erre sur la tranche du couteau, entre grand effort concret au bénéfice de tous et marché d’échange de valeurs vivant pour lui-même, avec les risques de dérives que l’on a connu par exemple pour les quotas de carbone et les certificats verts. Bien indifférentes à la réalité de l’objectif premier, les deux dernières illustrations ne devraient selon moi même pas être envisagées en Wallonie. Quant aux deux premières, elles devraient idéalement être goupillées : phase de scrapage et phase de rétablissement.
Une nouvelle manière d’examiner les demandes de permis ?
La Fédération IEW plaide déjà de très longue date pour que la conscience de l’effet délétère des imperméabilisations soit permanente, au lieu d’être une préoccupation par à-coups, au gré d’épisodes orageux effrayants. Cette conscience est liée à une gestion responsable du territoire, basée sur une vision claire des tenants et aboutissants – des sources et des exutoires, dans ce cas précis. Chaque demande de permis doit être l’occasion d’une réflexion sur l’emprise au sol des surfaces imperméabilisées.
Il ne s’agit plus de dire « après moi les mouches », mais de considérer son propre projet comme LA goutte qui pourrait faire déborder le vase. Une responsabilisation environnementale qui touche l’aménagement du territoire et l’urbanisme au cœur de leurs pratiques.
Particulièrement cruciale pour le déplacement des véhicules, la création d’une voie asphaltée devra donc, à en croire la brochure européenne, être davantage soupesée, voire évitée, afin de maintenir dans des limites acceptables la surface de sol imperméabilisée. A plus forte raison encore, une surface destinée à recevoir du parking sera mise sur la sellette. Cette approche raisonnable ne plaît sans doute pas à tous les acteurs. Mais à long terme, il en restera probablement peu pour se plaindre de ce genre de précaution.
Des textes préparatoires à la brochure sont téléchargeables sur Internet, avec cette précaution qu’il s’agit de documents de travail des services de la Commission européenne publiés à titre informatif, qui n’expriment pas la position officielle de la Commission sur cette question, ni ne préjugent de cette position. Les observations des utilisateurs de ces documents de travail peuvent être envoyées à l’adresse électronique suivante: env-soil-sealing@ec.europa.eu.
2. Table rase et tours imposées – ou retirées – de force
Les tours d’habitation et de bureau sont aujourd’hui remises à l’avant du buffet comme une solution rationnelle et créative aux problèmes de démographie et de nécessaire densification des noyaux urbains. Elles sont pourtant loin du compte, notamment sur le plan environnemental et social, comme s’attachent à le démontrer les journalistes de Reporterre dans deux articles intitulés « Des tours pour densifier les villes ? Un désastre énergétique » et « Les hautes tours comme figure de l’hubris ».
L’hubris, qui s’écrit plus couramment « hybris », est un mot dérivé du grec désignant une fierté de mauvais aloi qui s’illustre en particulier dans le plaisir d’humilier autrui. Le choix du terme est tout sauf anodin, puisque l’auteur s’attache à montrer cette arrogance à l’œuvre tant dans la forme urbanistique de la tour que dans le discours promotionnel qui l’emballe : « de telles constructions seront forcément merveilleuses : cela laisse dubitatif. Admettons plutôt qu’il y en aura des médiocres et des sublimes, des banales et des subtiles. S’il existait une procédure capable de ne produire que de la qualité architecturale, que ne le savions-nous plus tôt ? Il nous faut ensuite mesurer la complexité de fabrication, de fonctionnement, de maintenance et de sécurité de tels édifices. Dans l’imaginaire sécuritaire actuel, l’usage de ces bâtiments ne participe pas à la fabrique d’une ville ouverte, passante. Pour l’avoir chacun déjà éprouvé, on se représente aisément le quotidien de digicodes, de fouilles, de contrôles biométriques, de vidéosurveillance qu’une telle complexité génère (…) De plus le gigantisme de ces plateaux “libres” renforce encore l’artificialisation et la tertiarisation de la vie urbaine. Même équipés de technologies interactives, l’usage de tels lieux se double d’un sentiment d’enfermement physique palpable. On y pénètre souvent par des réseaux enterrés pour y parcourir des “espaces de distribution” articulés autour de noyaux d’ascenseur aveugles. On passe ensuite des journées “hors-sol“, encapsulé dans ces plate-forme off shore standardisées, sans contact avec l’air de la ville, et au sentiment de liberté qui l’accompagne toujours un peu. »
Les tours ont néanmoins et surtout l’avantage d’être visibles de loin, c’est pourquoi des villes comme Marseille entendent peu à peu liquider de multiples groupes d’immeubles plus trappus, plus anciens, très habités, pour élever à la place deux-trois tours à la silhouette reconnaissable, histoire de se refaire un skyline (ou une skyline ? Qu’importe, l’idée est de tout façon absurde). C’est ce genre d’objectif fort peu démographique que cherche aussi à rencontrer la tour des finances, projet de bord de Meuse qui voudrait faire face à la gare des Guillemins de Liège.
« Laisser des traces du passé, c’est installer les bâtiments dans la durée, c’est aussi accepter la différence des mémoires. » Paul Chemetov, architecte et urbaniste français, publiait en mai 2012 dans le Monde un article qui a fait date : « Cessons de démolir des logements habitables ». Il y affirme que ces démolitions d’immeubles du XXe siècle, pratiquées en France mais aussi ailleurs, lui rappellent la phrase de Mao Zedong : « C’est sur les pages blanches qu’on écrit les plus beaux poèmes. » On devine que le poème chinois lui a semblé particulièrement indigeste.
Paul Chemetov ne dénonce pas une forme précise, architecturale, mais la main qui balaie d’un même mouvement la coquille et les vies qui s’y déroulent. Vouloir créer une identité de ville en faisant fi des identités qui y vivent déjà, c’est se conduire en conquistador, en président de république bananière qui s’imagine régner sur des bananes. A Glasgow un peu avant 1999, dans les années précédant l’année où cette ville fut celle de la culture – tiens, comme Marseille en 2013 – ce sont les habitants de tours de logement social qui ont refusé de se laisser déloger… quoi, ça leur plaisait des vivre dans des clapiers à poules, sans balcon, au milieu d’un immense terre-plein complètement vague ? Ils ne comprenaient donc pas que leur hautes tours de béton brut faisaient moche dans une cité marquée par le génie de Charles Rennie Mackintosh ?
En guise de conclusion temporaire… deux colloques
C’est bien beau de vouloir « construire la ville sur la ville » (Merci au concours EUROPAN d’avoir inventé l’expression, il y a plus de quinze ans !) mais cela ne peut en aucun cas signifier s’asseoir de tout son poids sur ce qui est déjà là, ni boucher par des immeubles tous les espaces entre maisons, ni remplir les cours et jardins ni systématiquement ménager des espaces habitables en second rang. Cela ne peut non plus signifier de monter en hauteur au-delà des gabarits à taille humaine, sous prétexte d’user moins de surface au sol. Parce que pour rester ou redevenir habitable, un lieu de vie doit d’abord fournir de l’intimité, de la joie et de la liberté. Alors rendez-vous en 2014 pour une collecte de lieux qui réussissent ce triple pari en respectant l’environnement ? Nous vous attendons sur le seuil.
Entre-temps, deux colloques, l’un ce lundi 14 octobre 2013 dès 13h à l’Acinapolis de Jambes, l’autre le 26 novembre 2013 au Palais des Congrès de Liège, vous offrent l’occasion d’approfondir le sujet.
1. Colloque du Réseau Wallonie Nature, « La nature dans les activités humaines : contraintes ou opportunités ? », organisé par la DG03 (Agriculture, Ressources naturelles et Environnement) du Service Public de Wallonie ce lundi 14 octobre.
Les inscriptions sont clôturées, mais vous pouvez tenter votre chance auprès de Catherine Hautegard.
2. Colloque de la Conférence Permanente de Développement Territorial, « Densification et qualité de vie. Quel projet pour le territoire wallon ? », qui se déroulera de 8h15 à 16h45 le 26 novembre prochain. Même le site Bimby en parle !
La date limite d’inscription est fixée au 14 novembre.
- Sur les bienfaits d’un sol à découvert : « La tentation du bitume », de Olivier RAZEMON et Eric HAMELIN, Rue de l’échiquier, 2012.
- Sur le grand ratage de l’urbanisme à l’américaine : James Howard Kunstler parle d’une autre tentation, celle de la petite cabane dans les bois – sans bois – dans une vidéo mise en ligne en 2007. Attention, c’est en anglais d’Amérique du Nord ! James Howard Kunstler a donné cette conférence filmée en 2004. Avec son franc-parler, il réussit à captiver sur un sujet toujours et ô combien, d’actualité, que d’aucuns laisseraient volontiers pour mort. Le modèle suburbain étasunien a essaimé aux quatre coins du Monde sans avoir eu le temps de vérifier sa viabilité et son efficacité environnementale et humaine sur ses propres terres. Il passe pourtant pour LA solution moderne, rentable et universelle d’aménagement du territoire. Quand Kunstler démontre, images à l’appui, comment la « petite cabane dans les bois » a fait le vide autour d’elle, les rires de la salle soulignent la justesse de son propos.
- Sur le « New Urbanism » : Dès les années 1960, des urbanistes et architectes américains ont essayé de revenir en arrière pour juguler l’épanchement de l’urbanisation en pavillons dans des clos s’étendant à l’infini. Jane Jacobs était la figure de proue de ce mouvement qui dénonçait la ségrégation des fonctions, le tout à l’automobile et les maisons-kleenex. La forme la plus visible qui en a résulté est le développement de nouvelles agglomérations, sous le fanion du « New Urbanism », calquées sur le cadastre serré et irrégulier des villes européennes. Mais on ne peut créer une ville soi-disant historique en une paire de semestre. Le résultat s’est souvent apparenté à un décor de film, ce que le « Truman Show » de Peter Weir a démontré à souhait en faisant figurer Seaside, ville conçue selon les principes du New Urbanism, comme un des protagonistes du piège tendu au pauvre Jim Carrey. Les valeurs immobilières de Seaside ont été multipliées par 300, au passage. Le mouvement garde cependant son enthousiasme et suscite en interne des remises en cause qui, peut-être, conduiront un jour à la construction d’une ville moderne vivable et financièrement accessible à tous. « Learning from Poundbury, Research for the West Dorset District Council and the Duchy of Cornwall », de WATSON, BENTLEY, ROAF et SMITH, Oxford Brookes University, 2004.
Photographie : Bruxelles – Mont des arts – 2010, Hélène Ancion