Après l’échec de l’ « objectif 2010 » qui avait pour ambition d’arrêter l’érosion de la biodiversité, la Commission européenne propose une nouvelle stratégie pour 2020 dont les grandes lignes ne sont en rien plus ambitieuses…
Elle reprend, à peu de choses près, les objectifs adoptés à Nagoya en octobre 2010 dans le cadre de la Convention pour la Diversité Biologique. Il s’agit donc, d’ici 2020, d’enrayer le taux d’extinction des espèces, de rétablir autant que possible les écosystèmes naturels dans l’UE et de contribuer davantage à la lutte contre la perte de biodiversité au niveau mondial. Pour réaliser ces objectifs, la Commission identifie six domaines d’actions particuliers, qu’elle a décliné en une vingtaine de mesures.
Objectif 1 : Natura 2000 – renforcer l’amélioration de l’état de conservation des habitats naturels de 100 %, et de 50 % pour les espèces.
Différentes mesures sont proposées pour remplir cet objectif dont l’ambition est toute relative… La Commission propose en effet d’améliorer les états de conservation par rapport à ce qui aurait été fait sans sa stratégie. Et, comme la Directive Natura 2000 ne donne aucun objectif temporel en terme de restauration des habitats, une telle formulation risque bien d’aboutir au moment de l’évaluation au trop connu constat de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine…
Parmi les mesures concrètes proposées, la Commission incite les États membres à mettre en ½uvre la Directive « Natura 2000 » (adoption des périmètres marins, mise en place des régimes de protection et des plans de gestion) et s’engage à la faire respecter… La Commission propose également d’organiser le partage d’expérience, des bonnes pratiques et de favoriser la collaboration entre États. Voilà qui devrait épargner des recours et actions judiciaires à l’encontre des États récalcitrants.
Dans le même ordre d’idée, la stratégie veillera à fournir un financement adéquat… sans pour autant annoncer de moyens supplémentaires.
Enfin, la Commission propose de renforcer la communication autour de Natura 2000, via une campagne « grand public » en 2013 et l’implication des secteurs dans une communication plus ciblées. La Commission envisage aussi la formation des juges et des magistrats à cette matière particulièrement ardue.
Manifestement, la Commission cherche à rattraper les plus mauvais élèves européens mais ne renforce en rien la Directive. Pourtant, elle présente une lacune importante en ce qu’elle ne fixe pas d’objectifs temporels clairs en terme de restauration des états de conservation des habitats naturels et des espèces. Ce type de mesure n’est pourtant pas inconcevable : il existe dans la Directive-cadre eau, pour laquelle le principe est même inversé : il faut demander une dérogation à la Commission pour ne pas assurer le bon état dans les temps impartis. A nos yeux, la bouteille n’est même pas à moitié vide, elle est totalement vide, point !
Les États de conservation au niveau européen, comme wallon d’ailleurs, sont déplorables. Or, l’Union Européenne s’est engagée à Nagoya à restaurer 15 % des écosystèmes dégradés. Seuil qui n’est même pas contraignant pour les écosystèmes inclus dans le réseau Natura 2000…
Objectif 2 : préserver les écosystèmes et leurs services par la mise en place d’une « infrastructure verte » et grâce au rétablissement d’au moins 15 % des écosystèmes dégradés.
Il s’agit ici de mesures relativement neuves pour rencontrer cet objectif adopté à Nagoya. La Commission élaborera l’année prochaine une stratégie sur « l’infrastructure verte » qui s’inscrira dans la planification spatiale des territoires et contribuera à restaurer et maintenir les connectivités entre écosystèmes (incluant les connectivités nécessaires pour les habitats et espèces Natura 2000) ainsi qu’à la restauration et la préservation des services écosystémiques. Ce projet devrait également prévoir des moyens financiers adéquats dont les budgets proviendraient d’un meilleur ciblage des financements européens (en d’autres termes, on ne dépensera pas plus pour la biodiversité mais mieux…) et de partenariats publics-privés (dont seul le principe est énoncé). Les États membres devront pour leur part, d’ici à 2014, élaborer un cadre stratégique pour établir des priorités pour rétablir leurs écosystèmes.
La Commission va également élaborer une méthode d’évaluation de l’impact des projets, des plans et programmes en faveur de la biodiversité et se penchera d’ici 2015 sur une initiative visant à éviter toute perte nette pour les écosystèmes et leurs services, par exemple via un régime de compensations. La Commission espère ainsi intégrer la valeur des services rendus par les écosystèmes dans l’élaboration des politiques, « quand c’est possible ».
Un objectif peu ambitieux puisqu’il ne va pas au-delà de nos engagements internationaux, sans moyens nouveaux et avec un projet dont les contours sont particulièrement flous, notamment sur le statut de cette « infrastructure verte ».
Objectif 3 : renforcer la contribution de l’agriculture et de la foresterie à l’amélioration de la biodiversité via les mesures « biodiversités » agricoles incluses dans la réforme de la PAC et l’élaboration de plans de gestion forestier au sein des propriétés publiques et grandes propriétés privées.
Cet objectif vise à la fois la biodiversité en général et la réalisation de l’objectif 1, soit améliorer l’état de conservation des espèces et des habitats naturels en Natura 2000.
Sur le volet agricole, la réforme de la PAC fait l’objet d’intenses débats au niveau européen. Cet objectif n’apporte rien de neuf sur ce qui a déjà été dit. Les moyens proposés se limitent au verdissement des aides directes dont une partie serait liée à des mesures environnementales (prairies, rotation diversifiée, jachère écologique, …), une amélioration de la conditionnalité et une affectation plus importante des budgets du développement rural au profit de la biodiversité.
Sur le volet forestier, la Commission envisage de financer la mise en place de plans de gestion forestier et le maintien, voire la restauration des services écosystémiques fournis par les forêts multifonctionnelles, en finançant ces services par leurs bénéficiaires. De plus, les États membres « devront veiller » à ce que les plans de gestion incluent « si possible » : le maintien d’un niveau suffisant de bois mort, la préservation des étendues sauvages, ainsi qu’un minimum de garantie en terme de gestion durable et d’adaptation aux changements climatiques.
Les mesures agricoles et forestières constituent l’élément clé de toute stratégie puisque la zone agricole et les forêts occupent près de 90 % du territoire européen. Cette stratégie aurait du préciser et recommander des critères de durabilité en agriculture. L’absence de critères est difficilement compréhensible car quelques pays se sont déjà avancés sur ce thème, à travers la mise en place d’un seuil minimal en terme de surfaces de compensation écologique pour la biodiversité, à mettre en ½uvre au sein de toutes les exploitations. Des critères d’autant plus nécessaires que certains pays pratiquent systématiquement la « cogestion » avec leur secteur agricole, ce qui rend illusoire toute intégration de la biodiversité en agriculture qui ne soit pas imposée par le niveau Européen. Un constat valable pour la Wallonie, à l’exception peut-être des 3,5 % de la zone agricole concernée par Natura 2000…
En forêt, la proposition de plan de gestion est réellement insuffisante si l’on analyse les termes extrêmement frileux de cette proposition au regard du travail sur les forêts entrepris par le Parlement européen. La réalisation d’un plan de gestion pour les grandes propriétés constitue une bonne pratique qui serait pourtant partiellement financée par les pouvoirs publics. A cela s’ajoute quelques mesures « biodiversité » qui ne semblent pas intéresser outre mesure la Commission alors qu’elles sont cruciales pour l’intégration de la biodiversité en forêt. Enfin, sur ce point, le texte est même dangereux. Il consacre le principe (novateur selon la proposition !!) de faire payer aux bénéficiaires les services environnementaux issus de la biodiversité. La Commission ne décide de rien mais elle tranche sur ce point : il faudra payer les gestionnaires forestiers pour maintenir les services écosystémiques tel l’épuration de l’eau ou l’accès récréatif à la forêt… A défaut de volonté politique, ce sera au contribuable ou au consommateur de payer mais manifestement pas au gestionnaire qui ne fait pourtant qu’emprunter un patrimoine que nous espérions commun, le temps d’une génération. En l’état, le texte ne devrait pas améliorer grandement la biodiversité wallonne mais il ouvre la porte à une discussion sur le contenu du plan de gestion et les mesures à mettre en ½uvre sur le volet biodiversité en forêt privée, porte déjà entrouverte par le dossier Natura 2000.
Objectif 4 : garantir l’utilisation durable des ressources liées à la pêche.
Il s’agit ici aussi de ne rien faire de plus, si ce n’est de préciser les étapes pour atteindre le bon état écologique, conformément à la directive-cadre «Stratégie pour le milieu marin».
Objectif 5: lutter contre les espèces exotiques envahissantes.
La proposition va dans le sens de ce qui s’est mis en place dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique. Elle se donne pour objectif d’endiguer ou éradiquer les principales espèces envahissantes. La Commission intégrera des questions de biodiversité supplémentaires dans les régimes phyto- et zoosanitaires et mettra en place un instrument législatif ad hoc pour ces espèces d’ici à 2012.
Dans ce domaine, qui fait consensus mais qui n’est pas l’enjeu majeur, la Commission envisage un instrument législatif… Voilà probablement un domaine pour lequel une meilleure collaboration et coordination entre États membres était certainement nécessaire sans pour autant aller jusqu’à la mise en place d’un instrument législatif. Une mesure qui pourrait cadrer et renforcer les actions déjà mises en ½uvre en Région wallonne et qui devrait faciliter la coordination avec nos voisins.
Objectif 6: Contribuer à la lutte contre la perte de biodiversité au niveau mondial.
En temps qu’importatrice majeure de ressources naturelles, la Commission cherchera à réduire les causes indirectes de la perte de biodiversité liées au commerce en prenant des mesures visant à atténuer les conséquences des modes de consommation de l’UE, en repérant et en évaluant les effets potentiels sur la biodiversité de la libéralisation du commerce et des investissements.
La Commission collaborera avec les États membres et les acteurs clés en vue de donner les bons signaux de marché pour la conservation de la biodiversité, notamment en s’employant à réformer et à supprimer progressivement les subventions néfastes tant au niveau de l’UE que des États membres, et en offrant des incitations positives pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
La commission et les États membres apporteront également une « juste contribution » en faveur de la conservation de la biodiversité mondiale dans le cadre des Nations Unies et cherchera à améliorer l’utilisation de ces budgets. Enfin, conformément à ses engagements, la Commission proposera une législation visant à mettre en ½uvre dans l’UE le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation.
Une fois de plus, la stratégie n’envisage rien de moins que de mettre en ½uvre les engagements européens pris à Nagoya… Une contribution « a minima » de l’Union Européenne à cet enjeu international pour lequel notre responsabilité est majeure. La question des importations agricoles à des fins alimentaires ou énergétiques illustre clairement l’absence d’intégration de la biodiversité dans notre politique commerciale. Et ce n’est pas cette stratégie qui laisse augurer un réel changement. De même, la question des subsides néfastes à la biodiversité est au c½ur du débat sur la PAC : les aides directes agricoles participent à la dégradation de la biodiversité comme les subsides au secteur de la pêche. La Commission qui les réforme actuellement ne parvient même pas à les réduire ou à les lier à une réelle prise en compte de la biodiversité…
Business As Usual
Cette proposition de stratégie est certes plus lisible et concrète que le plan d’actions précédent. Elle laisse cependant une place prépondérante à des arbitrages qui auront lieu ailleurs, dans le cadre du budget ou des multiples réformes en cours. Les objectifs annoncés manquent cruellement d’ambition : il s’agit davantage d’une compilation d’actions en cours ou de concrétisations des engagements récents que d’une réelle stratégie. Cette communication enfonce des portes ouvertes et recule devant la question essentielle de l’agriculture et de la sylviculture. Sans indicateurs clairs et mesurables pour assurer que ces secteurs soient soutenables, l’épuisement des espèces continuera.
Le niveau d’ambition des différents objectifs est le résultat de ce qui est politiquement acceptable et ne représente a fortiori pas l’ampleur des efforts qu’il serait stratégiquement nécessaire de réaliser. Il reste que cette stratégie doit encore être avalisée par les ministres de l’environnement européens qui pourraient exiger des objectifs chiffrés et plus ambitieux. Certains pays y semblent favorables et ont appelé à l’adoption de propositions ambitieuses. A suivre, lors du Conseil du 17 juin prochain.
Extrait de nIEWs 92, (12 au 26 mai 2011),
la Lettre d’information de la Fédération.
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