« Manger demain » : c’est parti !

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A l’initiative du Ministre de la Transition écologique, Carlo Di Antonio, le Gouvernement Wallon a, approuvé la stratégie « Manger demain » . Vers un système alimentaire durable en Wallonie. Nous pouvons nous réjouir que ce thème soit mis à l’agenda politique et que des moyens financiers soient dégagés pour la mettre en oeuvre. En effet, une somme de 750.000€ par an – soit 10 équivalents temps plein – reconduite 3 fois va être octroyée pour la coordonner. A cela s’ajoute un million d’euros qui sera destiné à financer des projets. Précisons que ce financement est prélevé dans l’enveloppe développement durable existante… qui n’a donc pas été augmentée. Quatre aspects de cette stratégie sont abordés ici : le processus d’élaboration de celle-ci, le principe directeur de transversalité, le choix de la thématique des cantines et la mise sur pied d’un Collège wallon de l’alimentation durable. 

Le processus d’élaboration de la stratégie 

Comme le rappelle le texte de la Stratégie, le Ministre a lancé des Assises de l’alimentation durable en 2017. La première phase de celles-ci a consisté en l’élaboration d’un référentiel « vers un système alimentaire durable (SAD) » (annexe 1 de la stratégie, p 22) avec la participation d’une centaine d’acteurs privés, publics, associatifs provenant du système alimentaire wallon. En parallèle, des forums alimentaires locaux avec des citoyens ont été organisés en Wallonie. En s’inspirant des résultats de ces deux processus, le Ministre et son équipe ont élaboré la stratégie alimentation durable qui priorise de façon importante les actions à mettre en place. 

Nous pensons qu’il aurait été opportun que cette stratégie puisse également faire l’objet d’une consultation auprès des parties prenantes et des citoyens afin de l’améliorer, et de conforter … ou pas  les choix stratégiques posés par le ministre.  En effet, la phase d’élaboration du référentiel a surtout consisté, par axe stratégique 1, en la définition par les acteurs d’objectifs opérationnels et en la constitution de longues listes d’actions possibles. En jargon de l’intelligence collective, il s’agit plutôt d’une phase de divergence. Pour aller plus loin dans le processus d’intelligence collective, il aurait été intéressant d’avoir une phase dite de convergence avec comme objectifs d’identifier quels acteurs étaient prêt à mener en priorité quelles actions, d’établir des synergies possibles entre les acteurs pour y parvenir,  d’identifier celles qui leur semblaient plus difficiles à mettre en œuvre et pourquoi, les  besoins pour y parvenir, etc. Il est en effet indispensable, pour construire un SAD, que chaque acteur du système se responsabilise pour construire les changements nécessaires. 

Le principe directeur de transversalité

Dans la stratégie comme dans le référentiel, le principe de transversalité est épinglé comme un élément fondamental de réussite dans la construction d’un SAD. Dans le référentiel, un principe d’approche systémique est ainsi défini : « le système alimentaire est abordé dans toute sa complexité, en veillant à l’intégration horizontale (prise en compte simultanée des dimensions économiques, sociales et environnementales) et verticale (cohérence entre les niveaux de pouvoir et les échelles géographiques) des politiques ». Dans la stratégie on relève la phrase suivante : « Même si cette stratégie est portée par le Ministre de l’Environnement et de la Transition écologique, elle se doit d’être intégrée dans l’ensemble des autres compétences ministérielles concernées : l’agriculture, la santé, l’action sociale, l’emploi, l’économie, l’éducation, … « . Pour construire cette transversalité, les deux mesures proposées sont d’une part de coordonner des politiques en lien avec l’alimentation durable et d’autre part, d’analyser et mettre en synergie les différents plans d’actions gouvernementaux en lien avec l’alimentation durable. Six plans ont été identifiés à ce stade 2.  

Pour la 1ère mesure, deux réunions minimums de travail intercabinet par an sont prévues afin d’effectuer une analyse commune de l’avancée de ces 6 plans d’action, d’identifier des besoins complémentaires en termes de politiques publiques. Pour assurer un travail véritablement transversal, il est nécessaire que l’ensemble du GW travaille sur l’alimentation durable de façon concertée en se dotant d’outils concrets allant bien au-delà de 2 réunions par an. Imaginons-nous un seul instant une équipe constitué de créatifs, d’ingénieurs, de développeurs, de marketeurs, qui se voient deux fois par an pour mettre sur le marché un nouveau produit ou service ? Il s’agit de sortir de la politique du pré carré où chaque ministre s’occupe de ces petites affaires pour construire une politique gouvernemental alimentaire. Un changement culturel profond est indispensable. La cellule autonome d’avis en Développement durable, sans doute perfectible, aurait pu permettre de faire un pas dans cette direction puisqu’elle remettait des avis écrits pour que les projets réglementaires en cours d’élaboration contribuent davantage à un développement durable. Celle-ci a malheureusement été supprimée en juillet dernier. 

Par ailleurs, le travail de transversalité ne peut se limiter à ces 6 plans. Qu’en est-il des plans comme le plan de développement rural, le plan d’investissement wallon etc ? Si on veut changer le système alimentaire en profondeur, ces plans doivent aussi être analysés et modifiés pour être en cohérence avec les axes stratégiques d’un SAD. 

Le choix de la thématique prioritaire : les cantines 

Nous rejoignons l’analyse faite dans le document sur la nécessité et l’intérêt de travailler avec les cantines. Ce secteur est en effet transversal et a un potentiel important d’accélération de la transition alimentaire. Les mesures proposées dans la stratégie sont surtout axées sur le consommateur final. Nous insistons sur la nécessité d’avoir une approche globale par filière de la production à la consommation et pas une approche uniquement consommateur. En effet, les cantines pionnières sur le chemin de l’alimentation durable épinglent fréquemment la logistique et l’approvisionnement comme des freins importants. A nouveau et concrètement, cette approche nécessite d’avoir une vision et une mise en œuvre transversale au sein du gouvernement. 

Un Collège wallon de l’Alimentation Durable

La stratégie prévoit de mettre en place un Collège wallon de l’Alimentation Durable (CwAD) qui permettra de rassembler des expertises complémentaires pour enrichir les connaissances sectorielles et/ou individuelles et concrétiser une vision de l’alimentation durable de façon à la fois holistique et inspirée des réalités du terrain. 

Tout d’abord, il nous paraît important d’éclaircir le statut juridique de ce CwAD, ces objectifs, ces procédures. Quelle sera sa spécificité par rapport à la fonction consultative – qui vient d’être réformée – en particulier par rapport au pôle ruralité ? Quelles seront les obligations des différents ministres vis-à-vis de ce CwAD en terme de consultation, de suivi des avis ? 

S’agissant d’un nouveau conseil, il importe de s’appuyer sur les constats déjà formulés par de nombreux acteurs de la société civile et du privé dans d’autres circonstances. « Les conditions d‘engagement dans les processus participatifs multiacteurs pour la planification des politiques en RW sont à améliorer de manière substantielle : souhait de dialogue avec les acteurs et les pouvoirs publics sur la durée, clarté dans les intentions et suivi des processus participatifs par ceux-ci, disponibilité de ressources humaines et financières pour participer. Une majorité d’acteurs estiment qu’ils ne sont pas impliqués suffisamment en amont lors de l’élaboration des politiques publiques voire des projets financés par ceux-ci. Les marges de manœuvre pour faire évoluer les textes et les projets sont alors considérés comme trop faibles. » 

La participation, tout comme la transversalité d’ailleurs, sont des termes à la mode. Il est essentiel de leur donner de la substance sous-peine de tuer les processus dans l’œuf. Comme le résume Stéphen Boucher « Quand le participatif et le collaboratif sont vus comme des gadgets, ils produisent ce qu’on attend des gadgets : de la piètre qualité. Une démarche réellement participative et collaborative ne devrait pourtant avoir qu’une raison d’être : permettre à l’intelligence collective d’émerger. (…) « Il faut prendre le temps de débattre ouvertement des gagnants, des perdants, des effets collatéraux et des compromis inéluctables pour passer d’une situation insuffisante, sauf pour certains qui en bénéficient, à une situation plus satisfaisante globalement, même si certains auront plus de difficultés et devront être accompagnés dans ce changement. » 3

Ce CwAD pourrait servir de lieu d’expérimentation de l’intelligence collective où on prendrait le temps de discuter et développer des solutions innovantes sur des sujets complexes, parfois polémiques comme la nécessaire réduction de la production et de la consommation de viande en Wallonie, l’exportation vs la . Un lieu où les conflits d’idées seraient bienvenus et conduits avec bienveillance et compétence par des facilitateurs aguerris de manière à faire émerger les conditions de l’intelligence collective : participation et transparence, compréhension mutuelle, recherche collective de solutions. Un lieu d’innovation, rêvons un peu, pour créer une nouvelle culture de la participation, où l’on pourrait expérimenter de nouveaux modes de prise de décisions. Le vote a en effet ses limites car il gomme les freins et difficultés identifiées par les parties prenantes. A titre d’exemple, la ville de Flint au Etats-unis utilise la méthode par consentement issu de la sociocratie. Ce modèle met l’accent sur l’expression et la résolution des objections. 

Quoi que fasse ce CwAD, une évaluation régulière de ce nouvel organe sera nécessaire par et pour les parties prenantes. 

Pour conclure et poursuivre les discussions sur ce sujet de la démocratie alimentaire, nous vous donnons RV le 19 février à Namur pour un événement co-organisé par plusieurs organisations dont IEW intitulé « La Démocratie au service de l’assiette pour tous. Comment assurer collectivement une transition vers des systèmes alimentaires justes et durables au niveau (supra) local ? » 


  1. Les 5 objectifs stratégiques définis dans le référentiel sont : garantir la disponibilité et l’accès de tous à une alimentation relevant d’un système alimentaire durable; contribuer à la bonne santé et au bien-être des citoyens; générer de la prospérité socio-économique; préserver l’environnement; offrir un niveau de connaissances et de compétences élevé en matière de système alimentaire durable; mettre en œuvre des mécanismes de gouvernance responsables et efficaces
  2.  Le programme wallon de lutte contre les pertes et gaspillages alimentaires, le plan stratégique pour le développement de l’agriculture biologique en wallonie à l’horizon 2020, la 2ème stratégie wallonne de Développement durable, le plan de lutte contre la pauvreté, le plan prévention et promotion de la santé en Wallonie à l’horizon 2030, le plan stratégique wallon en environnement santé (ENVIes)
  3. Stephen Boucher, Petit manuel de créativité politique. Comment libérer l’audace collective. Editions du félin, 2017 p.115.