Suite à la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima, le débat sur le nucléaire s’est imposé au sein de l’Union européenne. Un vrai débat, puisque des voix discordantes se font entendre, notamment lorsqu’il s’agit des stress-tests que subiront les 143 réacteurs qu’abritent les 27 Etats membres. Or, en matière de sécurité nucléaire il est hors de question de pouvoir se contenter d’un compromis!
Très vite, face au caractère incontrôlable de la situation à Fukushima, tous les pays de l’Union s’étaient mis d’accord sur l’urgence de pratiquer des tests de résistance aux situations de crise sur l’ensemble du parc nucléaire européen. Cette décision unanime a toutefois laissé la place à des dissensions dès lors qu’il fallut arrêter les critères proposés pour détecter d’éventuelles défaillances dans la gestion des risques de centrales. Jeudi dernier (12/5), le Commissaire européen à l’énergie n’est pas parvenu à gagner l’adhésion générale et de nouvelles discussions sont prévues ces 19 et 20 mai à Prague.
Alors que la sécurité et la santé de millions de citoyens sont en jeu, la tendance était ces derniers temps de revoir à la baisse les exigences quant à la sécurité des centrales. La WENRA (Western Union Nuclear Regulators’ Association, composée d’organismes régulateurs de nucléaire) a ainsi présenté la semaine dernière un projet de cahier des charges passablement écrémé puisqu’il faisait l’impasse sur les risques d’attaques terroristes, d’accidents d’avion, de cyber-attaques ou de défaillances humaines. Seules les catastrophes naturelles (séismes, inondations… mais pas sécheresses, un «oubli» inquiétant lorsqu’on sait l’importance des besoins en eau pour assurer le refroidissement des réacteurs) auraient été envisagées, la WENRA considérant que certains risques, comme le terrorisme, ne relevaient pas de la «sûreté nucléaire» mais de la sécurité nationale. Elle préconisait par ailleurs que ces tests soient effectués par les exploitants des centrales. On peut raisonnablement douter du zèle des exploitants nucléaires lorsqu’il s’agira de trouver des défaillances à leurs poules aux oeufs d’or…
Certaines groupes politiques (le groupe des Verts au Parlement européen, les partis verts allemands et autrichiens) ainsi que des associations environnementales (Greenpeace) ont immédiatement réagi pour dénoncer les recommandations du WENRA qui vident les stress-tests de leur substance. Et de pointer du doigt un lobby pro-nucléaire, avec France et Royaume-Unis en tête (les deux plus importantes “puissances” nucléaires de l’Union), en vue d’adopter des critères à minima. Greenpeace a qualifié les propositions du WENRA d’«exercice bureaucratique émoussé» et réclame que les tests soient menés de façon transparente et indépendante, soient obligatoires, complets et entraînent la fermeture rapide des centrales défaillantes.
Le Commissaire européen à l’énergie, Günther Oettinger, appuyé par la Chancelière allemande Angela Merkel, soutient «la volonté de définir des tests les plus exigeants et les plus globaux possible». Le Ministre autrichien de l’Environnement a également dénoncé la faiblesse des critères avancés par WENRA et l’absence d’organismes indépendants pour effectués les tests. L’Autriche se proposerait pour contre-expertiser les rapports émis par les Etats, dont celui de la France.
Ces voix seront-elles suffisamment fortes pour rallier l’adhésion des 27? Rien n’est moins sûr. Mercredi, le Président de la Commission, José Manuel Baroso a clairement laissé entendre que dans cette histoire, la chèvre et le chou seraient ménagés. Certes, il souhaite que «ces tests couvrent le plus large éventail possible de situations» mais il souhaite également «laisser suffisamment de liberté aux Etats qui décideraient, sans obligation, des différents types de stress soumis à leurs centrales». On imagine le ouf de soulagement du nucléaire français! L’ASN (Agence française de Sécurité Nucléaire) avait en effet déjà déclaré que les phénomènes naturels seraient pris en compte mais que le risque terroriste ne serait pas considéré «dans l’immédiat», faute de «délai suffisant pour mener des études sur ce sujet». Faut-il rappeler pourquoi Ben Laden était l’ennemi publique mondial n°1 après les évènements tragiques du 11 septembre 2001?
Les pays limitrophes aux grandes puissances nucléaires doivent-ils se soumettre au diktat imposé par quelques grands groupes industriels qui, par leurs activités à très haut risque, jouent la vie de millions de citoyens à la roulette russe? Une récente étude parue dans «Nature» (Reactors, residents & risk- 21 avril 2011 http://www.nature.com/news/2011/110421/full/472400a/box/2.html) a calculé le nombre d’habitants vivant dans des rayons plus ou moins proches des différents réacteurs actifs à travers le monde. On voit clairement qu’en cas de problème dans certaines centrales proches des frontières belges les conséquences chez nous seraient dramatiques. (Centrale de Chooz, en France: 2,56 millions d’habitants dans un rayon de 75 Km, 18 millions d’habitants dans un rayon de 150 Km. Centrale de Borseele, aux Pays-Bas: 5,65 millions d’habitants dans un rayon de 75 km et 23,4 millions dans un rayon de 150 km.)
Les nuages radioactifs ne connaissent pas les frontières et c’est bien ça l’enjeu, ce qui rend essentiel que TOUS les pays de l’UE adoptent, de façon inconditionnelle, les critères communs les plus stricts, ne négligeant aucune circonstance et anticipant même l’inconcevable!