Le 2 mai dernier, le référentiel « vers un système alimentaire durable en Wallonie » a été présenté à Namur. « Pour construire celui-ci, un processus participatif a été mené par le département du Développement durable entre juin 2017 et avril 2018. Il a impliqué près d’une centaine de structures, représentant les différents acteurs du système alimentaire wallon (…) C’est sur la base de tous les apports reçus que le référentiel a été établi, en prenant soin de couvrir l’ensemble des dimensions liées à l’alimentation (emplois, santé, environnement, équité sociale, prospérité, etc.) et de refléter les préoccupations et sensibilités de chacun. Il se structure selon 8 principes généraux et 6 objectifs stratégiques, dont 2 transversaux et 4 thématiques. Chaque objectif stratégique est décliné en objectifs opérationnels et en leviers d’action. (…) Pour qu’il contribue à accélérer la transition vers un système alimentaire durable en Wallonie, chaque acteur, qu’il soit public ou privé, est invité à s’approprier ce document et à situer son action dans l’atteinte de ces objectifs.(1) »
Lors de la présentation de ce référentiel, 8 acteurs représentant différents secteurs ont été invités à s’exprimer. Une chose m’a frappée: chaque personne m’a semblé tenir son discours habituel, restant dans son rôle bien rodé, défendant les intérêts de son secteur. Une des intervenantes a estimé que les avis entendus lors du tour de table montrait qu’il restait de nombreuses incompréhensions entre les acteurs.
Un tel processus de « co-construction » multiacteurs partant d’une page blanche, le premier en Wallonie soulignons-le, est bien sûr intéressant. Cependant, le résultat ressemble in fine davantage à un catalogue d’actions identifiés par les uns et les autres qu’à des solutions réellement inclusives, systémiques qui tiennent compte des enjeux des uns et des autres.
Comment construire des solutions inclusives?
En se basant sur les expériences de dynamique de groupe, Sam Kaner, facilitateur et expert en processus collaboratif depuis 40 ans a développé un modèle incluant 3 phases nécessaires à la construction de décisions et de solutions inclusives.
Figure 1: « le diamant de la prise de décision participative », figure extraite, de Sam Kaner et al, Facilitator’s guide to participatory decision-making, p. 20, 3ème édition, Jossey-bass, 2014
Quand un groupe commence à travailler sur des enjeux complexes comme ceux liés au développement de systèmes alimentaires durables en Wallonie, les premiers moments de discussion sont souvent l’expression des positions habituelles, des solutions qui sont les plus simples à identifier. Si la discussion est close rapidement, les solutions proposées sont peu innovantes et… souvent inopérantes (business as asual sur la figure 1). En début de discussion, les visions des personnes varient sur de nombreux paramètres : objectifs, priorités, définitions des enjeux, facteurs de succès, ressources nécessaires, personnes à inviter autour de la table, options d’actions envisagées etc… Pour réconcilier ces différences, la 1ère étape appelée phase de divergence est de rendre visible les enjeux, les multiples points de vue nécessairement présents dans le cadre d’enjeux complexes… sans chercher à les résoudre. Pour permettre cette mise en évidence, il est nécessaire d’encourager chaque participant à suspendre son jugement et à accepter les différentes perspectives.
Après cette première période de pensée divergente, la plupart des groupes – si on leur en laisse le temps et si ils n’ont pas conclu avant – rentre dans une zone que Kaner appelle zone de grognements (groan zone in English). L’objectif du groupe est alors de développer un cadre de compréhension mutuelle. C’est une phase où les conflits d’idées sont bien présents et où le risque d’ incompréhension mutuelle est grand, augmentant ainsi la confusion, l’impatience, la nervosité des participants et le manque d’écoute. La présence d’un facilitateur expérimenté, empathique qui valide les différences, aide les personnes à s’écouter, fait des liens, est essentiel.
Une fois que le groupe a développé un cadre de compréhension mutuelle, tout parait plus simple et aller de soi. Le rythme des discussions s’accélèrent, les idées prennent formes. Le sentiment de confiance au sein du groupe est présent. En comprenant davantage les perspectives de chacun, ils peuvent progressivement intégrer leurs propres objectifs et besoins à ceux des autres participants. Ils dégagent des solutions inclusives ensemble, les planifient et les évaluent. Les solutions inclusives ne sont pas des compromis; elles conviennent à toutes les personnes qui ont un intérêt dans le résultat. Elles impliquent généralement la découverte de toutes nouvelles options; elles sont rarement évidentes et émergent grâce à la persistance du groupe.
Tout au long de ces trois phases, il est indispensable de renforcer les liens entre les personnes. Les personnes qui se connaissent ont plus de chance de se comprendre, de trouver un terrain d’entente et des solutions ensemble que des personnes qui ne se connaissent pas. Créer un espace où les personnes peuvent apprendre à mieux se connaître personnellement au-delà de leur rôle est donc aussi un ingrédient important. Les personnes se voient alors comme des personnes à part entière et pas uniquement comme des opposants ou des alliés.
Développer une culture de la participation
Pour développer des solutions inclusives, Sam Kaner insiste sur la nécessité de construire une culture de la participation qui repose sur 4 valeurs essentielles:
- la participation de tous les membres du groupe : les participants sont invités à exprimer leurs opinions et à dire ce qu’ils pensent. Ils apprennent à parler en profondeur des sujets conflictuels, à partager des idées même quand elles sont à l’état d’ébauche. Ils apprennent à découvrir et à reconnaître les différences de point de vue inhérentes à tous les groupes;
- une compréhension mutuelle: pour qu’un groupe atteigne un accord durable, il est nécessaire que les membres du groupe comprennent et acceptent la légitimité des besoins et des objectifs des uns et des autres. Cette reconnaissance mutuelle permet de se mettre à la place de l’autre, condition sine qua non pour développer des solutions innovantes qui tiennent compte des intérêts de toutes les parties;
- des solutions inclusives adéquates pour chacun : ce sont des solutions qui émergent de l’intégration de tous les besoins et perspectives avec l’idée sous-jacente que chacun possède une partie de la vérité ;
- une responsabilité partagée: le groupe construira une véritable transformation, si chaque acteur prend ses responsabilités pour donner les informations nécessaires aux meilleures prises de décisions, pour construire les solutions et pour les mettre en œuvre.
Le processus menant à la construction du référentiel a jeté les bases d’un travail collaboratif entre les acteurs. Il ne se terminera pas ici. Comme l’indique le site du SPW, « le référentiel pourra déboucher sur des dynamiques plus opérationnelles, faciliter les échanges et renforcer la collaboration entre les multiples acteurs, favoriser la recherche de cohérence et générer une véritable mobilisation collective en faveur de la transition vers un système alimentaire plus durable en Wallonie. » Puissent les travaux de Sam Kaner nous inspirer..
Sources :
Sam Kaner et al, Facilitator’s guide to participatory decision-making, 3ème édition, Jossey-bass, 2014