Tax-Shift et environnement : analyse des choix du gouvernement Michel

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Quel est l’apport environnemental des mesures fiscales du gouvernement Michel ? Depuis plusieurs années, Inter-Environnement Wallonie plaide pour la mise en place d’une véritable fiscalité environnementale : une série de mesures ont ainsi été proposées in illo tempore, appuyant notamment le principe d’un glissement de la fiscalité sur le travail vers une fiscalité sur les consommations polluantes. Les premiers pas d’une fiscalité verte en Belgique ? Analyse.

Le produit des taxes environnementales (les taxes sur l’énergie, le transport ou la pollution) en Belgique est l’un des plus faibles d’Europe. Pour l’année 2011, 4,74% des recettes fiscales récoltées par l’État provenaient de cette « fiscalité verte », ce qui plaçait notre pays à la dernière place de l’UE, loin derrière les Etats nordiques (8% en moyenne) ou notre voisin néerlandais (10,15%). Or cette fiscalité constitue un vrai levier pour modifier les comportements polluants et favoriser les alternatives durables.

Accises sur les carburants : il faut faire plus que rattraper l’inflation

La taxation des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) est un des leviers d’actions majeurs à la disposition des gouvernements pour lutter contre la pollution de l’air et contre les changements climatiques.

La Belgique est l’un des pays européens favorisant le plus le diesel par rapport à l’essence : la différence entre les accises appliquées à l’essence et celles appliquées au diesel était au premier janvier 2015 de 0,1864 €/l, contre 0,1142 €/l en moyenne européenne. IEW plaide pour un alignement des accises diesel sur celles de l’essence, et donc une annulation (par le haut) de cette différence.

Le Gouvernement fédéral entendrait relever les accises diesel de 0,013 €/l chaque année de 2016 à 2018, soit une hausse de 0,039 €/l à l’issue des 3 années. Avec des accises s’élevant actuellement à 0,4288 €/l pour le diesel (contre 0,6152 €/l pour l’essence), cette hausse reste assez symbolique : une inflation de 3 % réduirait cette augmentation nominale des accises à un simple statu quo en termes de valeur réelle. On peut cependant souligner que ce faisant, le Gouvernement stoppe une diminution des niveaux de taxation réels du diesel qui était en cours depuis 2011.

Pour l’essence, par contre, le taux nominal des accises n’ayant quasiment pas varié depuis 2007, la valeur réelle de la taxation poursuit sa diminution.

Il nous semble donc incongru de qualifier d’environnementale cette mesure strictement budgétaire. Les bonnes raisons ne manquent pourtant pas pour adopter une approche de « neutralité technologique » – taxer de manière identique les différents carburants – comme exposé dans notre analyse publiée par le SPF Finances et dans notre carte blanche commune avec la Fondation Contre le Cancer.

Mise à jour du 15 sept 2015 : Il existe un flou persistant quant au montant exact de la future hausse des accises sur le diesel. Selon des informations contradictoires parues dans la presse, la hausse totale d’ici 2018 pourrait être de 3,9 à environ 10 eurocents par litre. Il semble toutefois que, comme pour d’autres aspects du tax-shift, le détail de la mesure envisagée ne soit par encore totalement arrêté par le Gouvernement. L’incertitude persiste aussi sur le montant des futures accises de l’essence, que le Gouvernement pourrait revoir à la baisse. Ceci renforcerait la diminution déjà en cours de la taxation réelle de l’essence que nous évoquions ci-dessus.

TVA sur l’électricité ramenée à 21 % : retour au bon sens

La TVA sur l’électricité avait été diminuée de 21 % à 6 % par le précédent gouvernement au 1er avril 2014, dans le cadre d’un « plan de relance Di Rupo ». La motivation affichée était de soutenir le pouvoir d’achat des ménages et relancer l’économie. Mais en coulisse, cette décision semblait plus liée à la crainte de devoir faire face à une augmentation automatique de l’index à un moment où ce mécanisme divisait fortement les partenaires gouvernementaux.

Nous expliquions alors qu’en pratique la mesure aurait un bilan social et environnemental négatif, favorisant in fine la surconsommation d’électricité pour les ménages aisés, sans améliorer le pouvoir d’achat des ménages précaires. Voir notre analyse de l’époque : TVA de 6% sur l’électricité : un cadeau électoral antisocial et polluant ?. Les économistes Eric de Keuleneer et Etienne de Callataÿ se sont également montrés particulièrement critiques de cette TVA réduite[[« Il est assez absurde, pour aider les plus bas revenus, de conserver une mesure qui profite à tout le monde (NDLR et majoritairement aux ménages les plus aisés). Dans l’arsenal dont disposent les pouvoirs publics, il y a des outils plus ciblés ». Etienne de Callataÿ, L’Echo, 24 juillet 2015.]].

Disons-le donc sans ambiguïté : la TVA à 6 % était une mauvaise idée et c’est une bonne chose que le Gouvernement actuel fasse marche arrière. Disons aussi clairement que n’importe quel parti qui reconnait que nous sommes dans une économie de marché et qui préconise de favoriser les économies d’énergie devrait en toute logique soutenir une augmentation du prix de celle-ci. C’est une manière particulièrement directe et efficace d’encourager les comportements économiseurs d’énergie. Même si ce n’est pas un message facile, l’attitude responsable ne serait-elle pas de prendre la peine d’expliquer les raisons pour lesquelles le prix moyen de l’énergie devra augmenter ces prochaines années ?

Cela dit, on objectera avec raison que l’énergie n’est pas tout à fait un bien comme un autre. Qu’il s’agit, pour une part au moins, d’un bien de première nécessité. Pour Inter-Environnement Wallonie, des mesures d’accompagnement telle qu’une tarification progressive de l’électricité sont nécessaires. En rendant les consommations de base plus accessibles et en augmentant le coût des grosses consommations, la tarification progressive et solidaire marque la reconnaissance de l’existence de besoins de base essentiels, qui ne peuvent être mis sur le même pied que les consommations d’agrément.

Rente nucléaire abaissée : révélateur d’une faiblesse économique croissante du nucléaire

La taxe sur la rente nucléaire avait été fixée à 550 millions d’euros en 2012. L’accord entre l’État et les producteurs (Electrabel-Engie majoritairement et EDF-Luminus pour une part minoritaire) de juillet 2015 prévoit que ce montant sera ramené à 200 millions pour l’année 2015 (405 millions avaient été budgétés initialement) et 150 millions en 2016[[A ces contributions, certains articles de presse ajoutent 100 millions d’euros pour 2015 et 20 millions d’euros pour 2016, suite à une transaction entre l’Etat et Electrabel relative à la non-utilisation des sites de production. Il faut préciser que ces derniers montants sont sans liens avec la rente nucléaire, il sont liés à une loi du 8 décembre 2006.]]. A partir de 2017, le montant devient variable en fonction des marges d’Electrabel (qui limite ainsi un risque financier bien réel, en reportant sur l’État belge une part de l’incertitude sur la rentabilité des centrales). L’importante baisse de la taxe nucléaire est justifiée par la baisse du prix de gros de l’électricité et la moindre production des centrales nucléaires due à une disponibilité des réacteurs qui s’est avérée particulièrement aléatoire ces dernières années.

Dans le même temps, les engagements additionnels de l’État face à Electrabel principalement (convention Tihange 1 signée et convention Doel 1 et 2 en cours de discussion) représentent une forme de soutien dont la valeur financière est difficile à estimer, mais qui est assurément non-négligeable. Sans ces engagements et garanties étatiques (notamment un dédommagement à sens unique en cas d’arrêt anticipé), Electrabel-Engie refuserait de prolonger l’aventure nucléaire sur notre territoire.

Ce double mouvement d’affaiblissement sensible des recettes fiscales d’un parc nucléaire dont aucun réacteur n’est encore officiellement à la retraite (selon le Gouvernement), et de soutien non fiscal additionnel de l’État, indique que l’électricité nucléaire belge est économiquement bien moins compétitive qu’il y a quelques années. Si la tendance se poursuit, l’hypothèse que l’électricité nucléaire belge ne soit plus rentable avant 2025 doit être considérée. Les opérateurs pourraient alors logiquement décider de fermer anticipativement certaines centrales, à l’instar de ce qui se passe en Suède.

Dans ces conditions où l’attrait économique du nucléaire se voit fortement réduit, la question sociétale du maintien du risque nucléaire pour la population se pose plus que jamais à nos politiques.

Voitures de société : le tabou persistant

Conseil supérieur des finances, OCDE, Commission européenne, ONGs d’environnement, politologues, économistes… recommandent au Gouvernement fédéral – depuis des années – de réformer le régime des voitures-salaires.

Le tax-shift constituait une opportunité unique pour ce faire. En effet, les voitures-salaires sont présentées comme un palliatif au problème d’une fiscalité sur le travail trop élevée. Dès lors qu’on diminue très substantiellement celle-ci, il semble logique de retirer le palliatif. Mais non, on n’y touche pas. Irrationalité quand tu nous tiens… Ainsi, le Gouvernement continue d’avoir raison seul contre tous – ou presque : employeurs et centrales syndicales d’employés le soutiennent, unis dans un aveuglement désolant.

A l’heure où l’on s’interroge sur les effets sociaux des différentes mesures du tax shift, on ne touche donc pas à cette disposition qui est l’une des plus inégalitaires de notre système fiscal.

Conclusion

Malgré certaines avancées, les mesures du gouvernement Michel ne devraient pas permettre à la Belgique de rattraper son retard sur la scène européenne en matière de fiscalité environnementale. La timidité des mesures prises (accises), associée à des tabous persistant sur d’autres mesures prioritaires (voitures de société), rendent bien maigre l’apport environnemental du tax-shift.

Les pouvoirs publics semblent rester, une fois de plus, dans une logique principalement budgétaire dans leur taxation des comportements polluants. Le terme « fiscalité environnementale » sert plus à vendre des mesures budgétaires qu’à viser une réelle diminution des comportements les plus polluants qui impactent nos sociétés. Il faut d’ailleurs remarquer que si certains comportements polluants seront légèrement plus taxés (l’usage du diesel, par exemple), aucun financement additionnel des alternatives plus durables (le rail, par exemple) n’est prévu dans ce tax-shift.

Et nous ne pouvons que regretter l’absence de débats publics de qualité : la question de l’augmentation du prix de l’énergie, aussi délicate qu’inévitable dans le contexte de transition énergétique que nous connaissons, mériterait un débat moins caricatural de la part de nombreux acteurs.

Lien vers le cahier de revendications « fiscalité environnementale » des ONG (Brusselse Raad voor het Leefmilieu, Bond Beter Leefmilieu, Inter-Environnement Wallonie, Greenpeace et WWF).