Avec 70.000 tonnes de produits toxiques utilisés annuellement, la France fait partie des gros consommateurs de pesticides dont les impacts environnementaux et sanitaires sont avérés depuis de longues années. Paradoxalement, l’État français favorise la vente des pesticides qui bénéficient d’un taux de TVA réduit. Manque à gagner donc qui vient s’ajouter à celui des coûts externes à charge de la collectivité. En ces temps de rigueur budgétaire, une meilleure considération fiscale des pesticides serait à la fois salutaire à l’environnement mais aussi au porte-feuilles public ! Et cela vaut également pour la Belgique où les coûts externes liés à la production et l’utilisation des pesticides sont inexistants dans les prix de vente.
France : appel à une “règle d’or” pour les pesticides
La vente de pesticides en France bénéficie d’un taux de TVA réduit de 5,5 %, le taux normal s’élevant à 19,6 %. Cet abattement fiscal a été mis en place pour “aider le secteur agricole, en permettant aux exploitants d’acheter des produits à moindre prix pour protéger leurs récoltes et sécuriser les rendements”[Source : Ministère de l’écologie française, en réponse à une question de la députée de Nanterre Jacqueline Fraysse]]. Pourtant, l’utilisation massive de pesticides par le secteur agricole a [des répercussions sanitaires et environnementales désastreuses (pollution de l’eau et de l’air, cancers, maladies neuro-dégénératives, …).
Cet avantage fiscal n’a pas empêché l’émergence d’initiatives diverses et multiples visant à réduire la consommation de pesticides en France. Parmi celles-ci : le plan Ecophyto 2018, issu du Grenelle de l’Environnement, et qui prévoit de réduire de moitié la consommation de produits phytosanitaires endéans les 10 ans. Ce plan vise également à retirer du marché les substances considérées comme les plus “préoccupantes”. Petit bémol, ces mesures sont sérieusement conditionnées et devraient ainsi être freinées si d’aventure elles avaient un coût non raisonnable sur le secteur. Un suivi régulier et rigoureux permettra de veiller à ce que cette mesure ne subissent le même sort que beaucoup d’autres initiées dans ce Grenelle dont une excellent critique a été réalisée par Laure Noualhat, alias bridget kyoto.
Mais revenons-en à la disposition fiscale favorisant la vente de pesticides. Celle-ci se justifie d’autant moins que tant producteurs qu’utilisateurs (agricoles pour la plupart) échappent quasiment à tout impôt. Le système profite particulièrement aux premiers dont le chiffre d’affaire annuel issu de la vente de produits phytosanitaires donc dépasse les 2 milliards d’euros. Beau pactole quand on sait que, de leur côté, les Agences françaises chargées de la dépollution de l’eau (en grande partie imputable aux épandages agricoles) perçoivent à peine quelques centaines millions d’euros par an, qui proviennent en réalité du citoyen français, par le biais de sa facture de consommation en eau (dont 95 % seraient alloués à des mesures de lutte contre la pollution de l’eau).
Appliquer le taux de TVA normal aux pesticides – ce que préconise par ailleurs le Conseil des prélèvements obligatoires->http://www.ccomptes.fr/fr/CPO/Accueil.html] (Rapport 2010, [Entreprises et niches fiscales et sociales) – permettrait de palier à cette situation injuste tout en augmentant les recettes de l’Etat, ce qui n’est pas inutile en ces temps de crise. À l’heure où celui-ci traque la moindre niche fiscale, austérité budgétaire oblige, il devrait également penser à imposer les comportements préjudiciables à l’environnement, parmi lesquels l’utilisation néfaste de produits phytosanitaires.
La Belgique ? Peu mieux faire !
En Belgique aussi les pesticides ont encore de beaux jours devant eux : ils bénéficient également d’un taux de TVA réduit de 12 %.
Feu la loi sur les éco-taxe avait tenté de remédier à la chose. Pour rappel, son principe était relativement simple : taxer les produits nocifs à l’environnement dans le but de décourager leur consommation et de favoriser la transition vers des produits substituts. Figuraient donc en bonne place, à côté des piles, récipients pour boissons et autres appareils jetables, les pesticides. Mais les lobbys ont été efficaces puisque les gros utilisateurs de pesticides (agriculture) en étaient exemptés…
Cette taxe a depuis lors été remplacée par une taxe fédérale, liée à la charge polluante des pesticides (par catégorie), mesure que l’OCDE considère comme“ un pas dans la bonne direction”. Néanmoins, l’organisation internationale déplore que celle-ci soit “beaucoup plus faible pour les usages professionnels (majoritaires) que pour les usages domestiques” et que son taux soit généralement bas. Ce taux, lié au poids des matières actives, est en outre très favorable aux produits les plus toxiques. Et l’organisation internationale de préconiser une taxe plus élevée et ce, en coordination avec les pays voisins (risque d’échanges transfrontaliers) ou une taxe portant sur l’utilisation et non l’achat, des pesticides.
Sur ce plan, et de manière plus générale, les ONG d’environnement appellent d’ailleurs les partis à la table des négociations de mettre un ensemble de dispositions fiscales en faveur de l’environnement. Parmi celle-ci on retrouve une taxe sur les pesticides dont l’application serait différenciée en fonction du type d’utilisation (professionnels versus particuliers), avec un taux plus élevé pour les particuliers qui ont trop souvent tendance à négliger les conditions d’utilisation (et donc en utilise trop) ainsi que le traitement correct des déchets d’emballage. Cette disposition permettrait non seulement de limiter les impacts négatifs des pesticides (santé, environnement, biodiversité, …) mais aussi d’inciter le développement d’alternatives durables. Une partie des recettes pourrait être reversée aux organismes publics et privés qui aujourd’hui supportent les coûts externes liés à l’utilisation des pesticides.
L’OCDE, dans son dernier rapport sur la Belgique, abonde dans le même sens, arguant que “la pollution due aux pesticides devrait être limitée au moyen d’une taxe sur les pesticides reflétant leur teneur en produits polluants et d’une réglementation plus stricte sur leur utilisation”. De plus, l’organisation internationale estime cette taxe devrait “refléter l’externalité qu’ils (les utilisateurs) imposent”.
La taxe suédoise sur les pesticides, un cas d’école
En matière de fiscalité environnementale, les pays nordiques peuvent se targuer d’avoir une longueur d’avance sur leurs homologues européens. C’est notamment le cas de la Suède qui introduisit, entre autres, en 1994 une taxe auprès des fabricants et importateurs de pesticides afin d’encourager les pratiques agricoles durables et de réduire les risques pour l’environnement. Le taux de la taxe est déterminé en fonction de la composition des produits (initialement fixé à 4 SEK (0,86 euro) par kilo de matière active, le taux atteint aujourd’hui 30 SEK (3,38 euros)). Les recettes dégagées, 59 millions SEK (6,68 millions euros) en 2005, servent principalement à financer des mesures de lutte contre la pollution. Cette mesure, conjuguée à d’autres politiques (interdiction des matières actives les plus dangereuses, formation sur les techniques d’épandage de pesticides, soutien à l’agriculture biologique, etc.), a contribué à réduire de 65 % l’utilisation des pesticides sur la période 1985-2003.
Extrait de nIEWs n°98,
la Lettre d’information de la Fédération.
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Appel à une “règle d’or” pour les pesticides
OCDE, 2011, Études économiques de l’OCDE : Belgique 2011