Entre un « retour à l’âge des cavernes » et l’avènement d’une « techno-utopie », la transition énergétique nous impose de trouver un chemin médian … Et l’urgence étant ce qu’elle est, nous n’avons pas de temps à perdre avec les discours simplistes.
Sur la question de la solution à apporter à la crise climatique, les positions les plus extrêmes se sont cristallisées et sont ressassées dans les conversations entre amis ou en famille, sur les réseaux sociaux et dans les médias également. D’un côté, les appels à la décroissance, au changement de paradigme économique ou à un certain retour à la simplicité, portés par de nombreux militants climatiques, mais aussi par des représentants du monde économique1 sont aujourd’hui monnaie courante. Mais de l’autre, elles ont également suscité des réactions de rejets parfois virulentes. « Catastrophiste », « pessimiste », ces militants du climat ne feraient plus confiance à l’Homme et à sa capacité de développer des solutions. Pour les tenants de cette option plus « optimiste », il conviendrait d’assurer une croissance des consommations nécessaire au bien-être de l’homme et le salut reposerait exclusivement dans la recherche de solutions technologiques2…
L’hyper médiatique Damien Ernst, professeur à l’université de Liège occupe, au sein de ces derniers, une place de leader d’opinion de choix au niveau belge francophone. Il décrit son approche comme « technico-optimiste pour l’écologie ». Et il pourchasse le « catastrophisme » ambiant alors qu’« il nous suffit de construire de très belles machines pour vivre de manière confortable en harmonie avec notre nature. »
Dans une conférence disponible sur Youtube, Mr Ernst développe quelque peu sa vision… : pour chaque problème une solution technologique simple, le tout toujours présenté avec bonhomie et optimisme.
Reprenons sa « vision ».
La révolution numéro 1 est le renouvelable, « tellement bon marché » qu’il nous émancipe totalement au niveau énergétique. La variabilité des renouvelables serait contrebalancée par un réseau mondial reliant les champs de panneaux photovoltaïques du Sahara aux barrières d’éoliennes du Groenland. Une fois émancipé de la limite énergétique (« une énergie pratiquement illimitée »), le professeur développe milles « projets » technologiques souvent forts éloignés de sa sphère de compétence… Ainsi, l’excès de CO2 dans l’atmosphère devrait juste être pompé par des supers ventilateurs (« quand vous avez de l’eau dans votre cave, vous la pompez ! »), et le CO2 collecté serait retransformé en méthane (au prix de besoins énergétiques gigantesques, ce qui ne pose pas de problème dans son monde où l’énergie serait illimitée… ). Enfin, la question de la production alimentaire serait réglée par la création de fermes usines dans lesquelles des robots doués d’une intelligence artificielle tueraient les pucerons avec des lazers…
Sans rentrer dans un débat technique sur la possibilité physique de développer toutes ces technologies à une échelle industrielle (toutes ces technologies reposent sur des mécanismes chimiques et physiques souvent très anciens) nous pouvons tout de même poser certaines questions.
- Sur la question des réseaux électriques, Damien Ernst est certainement un chercheur éclairé et compétent. Toutefois, l’option des champs de photovoltaïque du Sahara connectés aux champs d’éoliennes du Groenland dénote d’une profonde méconnaissance de la complexité du monde. Sur papier, la planète terre est effectivement alimentée par un flux énergétique solaire quasi illimité. Mais en pratique, les surfaces nécessaires pour produire l’énergie nécessaire aux multiples projets du docteur Ernst requerraient d’étendre nos productions énergétiques sur des territoires immenses et cette option représente assurément un challenge (très) difficile à gérer d’un point de vue géostratégique.
- Damien Ernst est un énergéticien qui omet systématiquement l’autre grand défi environnemental, celui de la sur-utilisation des ressources naturelles. Ce que ces champs de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes et ces supers grid requerraient de métaux (cuivre, métaux rares … ) et autres matières premières n’apparaît juste jamais dans son équation.
Soyons clair, IEW développe depuis des années des scénarios 100% renouvelable et nous sommes persuadés3 que c’est de loin la meilleure option que nous ayons à notre disposition en matière de production d’énergie. Toutefois nous n’allons pas –comme le fait Damien Ernst- jusqu’à prétendre que ce sont des technologies sans impact sur l’environnement qui rendraient ainsi l’accès à l’énergie « illimité »… Nous insistons systématiquement, par exemple sur l’importance primordiale de la réduction de la demande.
Damien Ernst finit sa présentation par un débonnaire : « je pense que toutes ces technologies n’arriveront pas avant 2030 ». Hélas, selon le GIEC, c’est aujourd’hui que nous devons entamer une décarbonation drastique de nos sociétés. En outre, il est largement permis de penser autrement que le professeur sur l’avènement prochain de toutes ces « belles machines ». Ainsi, les technologies de capture du CO2 sont “unproven at the scale that we’ll need them”4 pour des experts en ces matières.
Autre exemple. La méthanation, c’est à dire une réaction de synthèse du méthane (CH4) à partir de dihydrogène (H2) et de monoxyde de carbone (CO) ou de dioxyde de carbone (CO2) en présence d’un catalyseur est un procédé extrêmement énergivore qui dépend donc totalement d’une énergie illimitée. Quant à la fameuse intelligence artificielle qui animera les robots tueurs de pucerons, il est évident qu’on navigue là davantage dans la spéculation pure et la science-fiction plutôt que dans un quelconque discours de rationalité scientifique…
Sauf à estimer que les travaux du GIEC sont incorrects (ce que ne dit pas Damien Ernst), le rythme de décarbonation de la société nécessaire au maintien d’une température propice à la survie d’une société harmonieuse va bien au-delà de ce que les « technologistes » les plus optimistes peuvent imaginer. Sans augmentation de la consommation d’énergie, nous devrions ainsi diviser par 21 l’intensité carbone de nos productions énergétiques, et cela sans reporter le problème ailleurs (càd sur l’utilisation des autres ressources, des sols, des forêts… )5. Il n’est pas imaginable d’atteindre une telle diminution par un simple recours à la technologie.
La naïveté réside aujourd’hui autant chez ceux qui nient les acquis de la révolution industrielle, càd l’ amélioration globale des conditions de vie d’un majorité d’humains, que chez ceux qui prétendent que nous pouvons maintenir notre « train de vie » sans toucher au disque dur de nos sociétés, sans revoir un modèle qui nous pousse à consommer des ressources et de l’énergie bien au-delà des capacités de notre environnement.
Entre Technofreak et Technophobe, une pensée médiane émerge heureusement. Nous indiquions récemment que, notamment au niveau politique, la nouvelle Déclaration de politique régionale du gouvernement de Wallonie souligne que « « l’urgence climatique et les dégradations environnementales sont telles que la société tout entière est appelée à modifier ses comportements en profondeur. » Ou encore, les propos tenus par le patron de patrons wallon dernièrement :« on ne peut plus baser l’économie sur l’extraction de matières et d’énergie fossile, on ne peut plus faire comme s’il n’y avait pas de limites. Il n’y a pas de solution au niveau de consommation des ressources où nous sommes. »6.
L’enjeux environnemental requiert du discernement.
C’est un défi complexe qui nécessite la mise en oeuvre de mesures variées
allant de l’amélioration technologique à des modifications sociales profondes
(notre brique dans le ventre, notre surconsommation de viande… ). Au final, il
est urgent de développer une vision crédible qui se situera forcément entre les
fantaisies technologistes à la Damien Ernst et les grands soirs climatiques…
- Jaques Crahay président de l’UWE “Ce modèle est dans l’impasse mais le reconnaître est très compliqué pour un dirigeant car son entreprise dépend de ce modèle. »;
Manifeste de Caya, association d’entrepreneurs de la transition ; https://www.groupeone.be/pour-une-economie-regenerative-respectueuse-des-limites-planetaires/ : “Ces constats montrent clairement que le système économique mondial d’aujourd’hui nous mène à notre perte. » - Olivier de Wasseige notamment, administrateur délégué à l’UWE « on peut avoir aujourd’hui de la croissance tout en essayant d’atteindre des objectifs environnementaux, il faut arrêter de faire cette dichotomie ».
- Our energy future 2016
- James Mulligan, carbon removal expert at World Resources Institute, cité dans le guardian
- Estimation faite par Tim Jackson dans son livre “prospérité sans croissance”
- Jaques Crahay, président de l’UWE, septembre 2019