Tiny Housing : le très petit logement en question

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En novembre 2016, pour notre Mardi tabou] consacré au petit logement, les orateurs du jour étaient Jacques Teller et Nicolas Bernard, avec des exposés complémentaires et passionnants. Compte-rendu en deux étapes : d’abord dans cette nIEWs, l’analyse typologique de [Jacques Teller, du LEMA, sur la réalité statistique, humaine et urbanistique du petit et du très petit logement. Dans une prochaine nIEWs, Nicolas Bernard nous emmènera explorer les frontières du droit, entre logement et aménagement du territoire.

Jacques Teller est professeur en urbanisme et en aménagement du territoire à l’ULg, en charge de la gestion des missions de recherche et de formation de la Conférence Permanente du Développement Territorial (CPDT) pour la composante Université de Liège de la plateforme interuniversitaire. Il a ainsi coordonné de nombreux projets que IEW a eu l’occasion de vous présenter, comme le « Référentiel Quartiers durables » ou encore l’Atlas des Paysages de Wallonie.

Dans le droit fil de son travail au LEMA (Analyse et gestion de l’environnement local), Jacques a mis tout son enthousiasme pour satisfaire à la demande d’IEW, à savoir, explorer le sujet des « Tiny Houses » en faisant parler les chiffres et les formes urbaines. Il a proposé de partager la chaire avec Nicolas Bernard pour une approche juridique du sujet. Riche idée, puisque les aspects multiples et parfois âpres du petit logement ont ainsi pu être abordés en une seule séance.

Voici donc, pour débuter notre série, le volet typologique. En complément à ce compte-rendu écrit, le montage est disponible ici.

Qu’appelle-t-on un petit logement ?

Jacques a récolté des données en Belgique et en Wallonie. Il est parti de ces chiffres pour comparer nos situations statistiques avec les moyennes étrangères.

Un logement en Belgique mesure en moyenne 127 m². Au Grand-Duché de Luxembourg, la moyenne atteint 140 m². La moyenne européenne descend à 102m². En Wallonie, c’est 100 m². Toujours en Belgique, la taille moyenne des logements occupés par leur propriétaire est de 135 m² ; s’agissant de locataires, la surface descend à 91m². Un tel écart est similaire dans tous les pays observés. Par contre, le parc locatif du logement social belge a la particularité de présenter une surface moyenne très proche de celle du locatif classique – dit aussi « marché privé » – ce qui n’est le cas pour aucun autre pays recensé sur ce premier tableau.

Si on classe les pays européens selon la surface moyenne du logement en ville, dans la périphérie et à la campagne, la Belgique présente davantage de similitudes avec Chypre, juste à côté de nous dans le classement, qu’avec la France, l’Allemagne ou le Grand-Duché. En ville, la surface moyenne par logement est plus importante que dans la majorité des autres pays. En périphérie, c’est encore plus accentué, nous sommes tout en haut du classement. Pour les logements sis en zone rurale, c’est l’inverse.

StatBel distingue cinq catégories qui segmentent le parc pris dans son ensemble :

  • inférieur à 35m², ou « très petit logement »
  • entre 35 et 54m², ou « petit logement »
  • entre 55 et 104m²,
  • entre 105 et 124m²,
  • supérieur à 124m².

Le segment du très petit logement couvre 9% du parc belge. Ce segment a doublé en l’espace de 10 ans, entre 1991 et 2001. La tendance à l’augmentation s’observe aujourd’hui encore, même si les données les plus récentes manquent pour établir des comparaisons strictes.

Qui vit dans les petits logements ? Les couples mariés avec enfants sont nettement moins représentés que les isolés et les familles monoparentales. Dans les plus petites surfaces occupées par le plus grand nombre de personnes, les familles belges sont très peu présentes.

Tout est question de proportion : avec, en 2001, plus de 11 % des ménages de sept personnes qui se partagent 55 m² ou moins, cela fait beaucoup, beaucoup de monde à l’étroit. Ce manque d’espace est très contraignant.

Où sont localisés les ménages occupant des petits logements ? En ville, principalement. Le niveau socio-économique ? Les moyennes sont drastiques : plus de 40 % de ces foyers disposent d’un seul revenu de remplacement. Mais on observe aussi un glissement d’autres groupes socio-économiques vers des surfaces plus réduites : entre 1991 et 2001, les occupants de petit logement disposant de deux revenus à temps plein sont passés de 12 % à 27 % ; ceux disposant d’un seul revenu : 23 % à 34 %. La hausse de la création et de l’occupation de petits logements est patente en ville et en périphérie, où elle passe de 26 % à 31 %. En zone rurale, c’est encore plus spectaculaire avec un passage de 14 % à 24 %. C’est là que le petit logement a crû le plus.

L’offre et la demande

Y a-t-il une inertie du parc de logement ? L’enquête « Qualité du logement » de 2012-13 confirme que rien ne change : les locataires sont toujours majoritaires dans les logements de plus petite taille et disparaissent pratiquement dans la catégorie groupant les surfaces supérieures à 200 m².

Cette distribution est observable et persistante, soit, encore faut-il tenter de l’expliquer. Et se poser la question suivante : pourquoi produit-on du logement, de telle ou telle taille ?

Les facteurs qui conduisent à choisir du petit logement sont, principalement :

  • la décohabitation,
  • le prix élevé du logement,
  • les nouveaux modèles de ménages.
  • mais aussi la proximité du « centre » et de ses aménités.

Pourquoi de tels logements sont-ils mis sur le marché ?

Typiquement, lorsqu’il existe des aménités, une proximité à des services, le prix augmente. Pour celui qui propose, le risque est réduit car son offre répond à une demande. Le bien présente en outre un bon taux de revente sur le marché. La location reste un atout en portefeuille, tant pour les constructeurs que pour les propriétaires. Par contre, le coût de production du logement est plus important au m² si la surface est petite.

Quant aux pouvoirs publics, s’ils tendent à promouvoir une offre de plus petite taille, c’est notamment pour garder des jeunes ménages qui, sans ce type de logement, auraient du mal à rester dans leur commune d’origine. Cela leur permet par ailleurs d’encadrer la production informelle de logements et de réguler le cohousing. En termes de revalorisation du patrimoine immobilier existant, la démarche fait aussi de plus en plus sens pour les pouvoirs publics, pour éviter la vacance du bâti. Un ménage dure entre 20 et 50 ans, un bâtiment entre 150 et 180 ans.

La sous-occupation du logement est également liée au rythme des vies familiales. Les ménages ont une structure de plus en plus complexe. La famille n’est pas la même au cours de la semaine ou du mois. Il en résulte une occupation en accordéon, à laquelle l’habitation ne correspond pas nécessairement.

Si l’on se place du côté de la production de logements, les principaux freins sont le coût au m², dont on a déjà parlé, avec de gros investissements pénalisants en termes de démarches, pour une si petite surface. Le confort peut sembler moindre en raison de l’équation classique « grande surface = bien-être ». Un logement de petite taille offre moins de possibilités d’évolution et de transformation. Enfin, ne l’oublions pas, il existe une aversion locative en Belgique, c’est un trait culturel.

D’autres freins à la production de petits logements sont encore davantage liés à des croyances : risque locatif, dégradation de l’image de marque du bien immobilier, division qui fait peur. On constate que des communes qui ont atteint leur « quota » de familles défavorisées craignent de multiplier les offres et donc d’augmenter ce type de « clientèle ».

Retournement

Aux USA, en 2012, dans la foulée de la crise 2008, les « Tiny Houses » font parler d’elles. On les montre sur Internet, elles commencent à donner une meilleure image du logement de petite taille. Souvent, le dispositif semble plus spacieux avec le fish-eye ou le grand-angle utilisés pour capturer ces intérieurs très soignés. Mais ce qui compte, c’est que cette publicité amorce un revirement pour le concept de petit logement, bien au-delà des Etats-Unis.

Distinguons trois formules architecturales et urbanistiques :

a) le système pavillonnaire :

  • ouvertures sur presque tous les côtés
  • une seule prise d’eau
  • traction (le logement peut être mobile, comme une caravane)

Une filière immobilière se met en place avec des arguments sur la frugalité, la réduction du nombre d’objets. Ces résidences miniatures bénéficient d’une isolation, elles sont saines. Le sous-dimensionnement est utilisé pour éviter le permis. Cependant, il ne faudrait pas voir là une démarche d’évitement. On ne peut pas dissocier les décisions liées au Tiny Housing par rapport aux choix de vie. Les liens sont nombreux. Il y a derrière la démarche une très forte présence de l’image de soi, l’envie d’une valorisation du « chez soi » par d’autres indicateurs que la surface ou la hauteur de l’investissement. En fonction des réglementations locales, la rapidité d’accès est relativement grande, plus encore lorsqu’on court-circuite le parcours officiel.

b) Le rehaussement

  • Construction d’un étage supplémentaire
  • S’immerger dans la ville et en être partie prenante

De nombreuses filières se sont mises en place. Une intervention sur le toit, ce n’est pas trop complexe, c’est aussi plus vite autorisé. Et ça isole la toiture !Il y a des arguments légaux, des arguments de nature urbanistique comme celui de la parcimonie : on comble, on densifie, on ne fait qu’augmenter un peu à la fois…

Mais nous ne pouvons ignorer que, sous couvert de rehaussement, le marché immobilier produit parfois aussi de gigantesques duplex avec vue imprenable. Ce n’est alors plus du « petit logement » qui se cache dans ces nouvelles structures.

c) La subdivision

  • Au départ d’un seul bâtiment, création de plusieurs lots habitables séparément
  • Cela n’use pas de nouvelles surfaces

Le rural et l’urbain connaissent de nombreuses manifestations de la volonté de transformer, subdiviser les grands logements existants. Les communes aiment à renforcer la polarité des centres de villages et des périphéries. Mais cette subdivision touche en réalité tout le territoire, parce qu’elle génère des plus-values immobilières, elle augmente la variété de l’offre, les jeunes peuvent s’y installer. Pour les particuliers, c’est l’occasion de remettre le logement initial aux normes en rentabilisant la transformation. C’est aussi un projet de vie trans/ intergénérationnel qui permet de gérer l’intimité et le parcours de vie. Cela permet de rester chez soi dans les deux sens du terme.

Ces différentes formules sont à suivre de très près.

Conclusion en forme de questions

Quel regard le Tiny Housing pose-t-il sur notre société et sur notre territoire ?
Comment gérer la compétition entre les différentes formes de logement ?

La réponse « Tiny House » fait sens face aux grandes surfaces de logement disponibles en Belgique, souvent sous-utilisées. Il existe en outre un déficit flagrant de logement social et de logement de qualité à un prix abordable. Le Tiny Housing interroge donc aujourd’hui de manière directe la qualité et la quantité de logements, notamment sociaux, dans notre région.

Des trois formules décrites ci-dessus, c’est la subdivision qui correspond probablement le mieux aux attentes des communes et des candidats parce qu’elle peut avoir lieu partout, avec n’importe quel type de bâtiment ; ensuite, elle a l’avantage de maximiser l’usage des réseaux techniques existants. Mais elle peut aussi créer des effets de hausse des prix sur les autres logements, tout comme le rehaussement, d’ailleurs. Sur le plan paysager et architectural, avec la subdivision, la complexification s’opère sur un bâtiment existant, pour lui assurer une occupation. L’impact est donc moindre que si l’on produisait la même quantité de logements sur des parcelles non urbanisées.

L’essentiel à ne pas perdre de vue : le baromètre du logement social. Il est sympathique de parler de revalorisation de la précarité, mais il subsiste une vraie forme de discrimination vis à vis des personnes à la recherche d’un logement abordable.

En savoir plus :

L’exposé de Jacques Teller en images : disponible ici

Pour les amateurs de Tiny Houses qui comprennent le néérlandais :

Pour faire connaissance avec des acteurs-clés du dossier, voici un bon début :

Crédit photographique : Hélène Ancion 2017