Il fut une époque, il y a longtemps, où nous avions 2 voitures. Oui, je l’avoue : une pour papa et une pour maman. Une nuit, une personne saoule au volant a foncé dans la première qui a par la force du choc, a défoncé la seconde. Donc, en quelques instants, ces deux voitures ont été hors d’usage.
Un accident brutal… qui fut à l’origine d’une remise en question de notre façon de nous déplacer et de la concrétisation d’un shift modal (quasiment complet) de la voiture vers les transports en commun et le vélo. La dimension économique n’était pas totalement étrangère à ce choix, mais cela ne change rien au caractère vertueux de cette rupture.
La crise du Corona, et plus particulièrement encore, celle, climatique, qui la suit de très près, bien que plus discrètement, sont-elles également et réellement des ruptures porteuses d’espoir ?
Ce 11 juin, un Webinaire était organisé par Luxembourg Créative et portait sur le thème suivant : Comment le tourisme peut-il s’adapter aux mutations en cours ?
Y étaient invités un anthropologue, Olivier Wathelet (aussi accompagnateur en innovation via la société « Users Matter »), Marie-Eve Hannard Députée provinciale (Développement touristique et Fédération touristique du Luxembourg belge), et deux entrepreneurs dans le domaine du tourisme « vert » : Fabien Ledecq, co-fondateur du projet (Coopérative « Mon lit dans les arbres ») et Olivier Delmée, Owner (Ardennes Rando, Trek aventure, Thematika : La Maison du voyage). Plus de 60 participants ont assisté à cette conférence, ce qui témoigne de l’intérêt pour le sujet.
Durant cette conférence, l’anthropologue a demandé aux deux entrepreneurs d’expliquer comment ils avaient fait naître et évoluer leur projet tout au long de son histoire en se basant sur les principes du « Design Thinking ». Et, question nous intéressant plus particulièrement, dans le contexte que nous connaissons actuellement : comment avaient-ils tourné des difficultés ou des ruptures en avantage ou en renforcement de leur identité et de leurs valeurs ?
Et l’anthropologue de souligner que l’un des avantages de cette crise du Corona, c’est qu’elle nous a permis de (ou forcé à) nous détacher, un moment au moins, de nos habitudes. Et que c’est ce détachement qui peut être source d’innovation.
Selon Olivier Wathelet, la crise va changer nos habitudes de façon durable1, mais il n’y aura pas de réponse unique à la crise, davantage une polarisation des comportements. En d’autres termes, on ne peut pas affirmer que ce qui est fait par les gens en temps de crise correspond à ce qu’ils feront au sortir de la crise. Par exemple, en matière de voyage, certaines personnes auront davantage tendance à se centrer sur leur environnement proche et à rester dans la logique d’une proximité qu’ils ont expérimentée dans le cadre du confinement, tandis que d’autres auront envie de parcourir le monde.
L’avantage de la crise, c’est le champ d’expérimentation qu’elle offre. Selon Olivier Wathelet, il est donc très important de saisir ce moment pour proposer de nouvelles solutions. Et il cite à cet égard les villes qui ont profité du confinement pour proposer les aménagements favorables aux cyclistes.
Pendant le débat qui a suivi les présentations, une question clé fut posée: comment ces entrepreneurs touristiques, qui ont réussi à s’adapter à diverses crises et à surmonter une série de difficultés, comptent-ils faire face à la crise climatique ? La question était en particulier adressée à Olivier Delmée, dont une part importante des activités consiste à organiser des trekkings partout dans le monde (avec des voyages en avion pour arriver à la destination).
Et celui-ci a répondu de façon très honnête et réaliste, en expliquant qu’il proposait la compensation carbone pour ses voyages, qu’il essayait de réduire l’impact du voyage dans la destination, qu’il essayait d’organiser de plus en plus de randonnées dans les Ardennes, et que… cette préoccupation qui ne le laissait pas indifférent conduirait peut-être à la fin du tourisme !
Et suite à son intervention, la question de savoir ce que font les pouvoirs publics pour répondre à cette problématique fut mise sur la table.
Pour réagir à la crise, chacune des trois régions de Belgique a dépensé des millions d’euros dans le cadre de plans de relance et de communication pour soutenir le tissu économique touristique et attirer les Belges vers des destinations de proximité. Alors que dans ce cadre, la Wallonie, via sa campagne « Changer d’air ! », valorise notamment son patrimoine naturel et la mobilité douce, la Flandre, adopte un discours plus disruptif qui nomme très explicitement des principes du tourisme durable (« L’été 2020 sera différent et tellement mieux… nous voyagerons autrement… en soutenant notre économie locale… tellement mieux parce que voyager en Belgique est meilleur pour l’environnement…et puis, il y a le nouveau voyageur qui lui (…) est conscient de l’empreinte écologique de son voyage. Intégrer l’aspect durable au voyage sélectionné apporte une belle valeur ajoutée à votre séjour et profite à l’environnement, aux habitants et à toute la communauté… »2).
La Flandre n’est pas la seule à profiter de ce moment pour adopter clairement ce type de discours : la Finlande, par exemple, a mis en ligne sur son site de promotion touristique (VisitFinland) une très belle vidéo pour promouvoir non seulement son patrimoine naturel mais également les principes d’un tourisme plus durable.
On attend donc de voir de quelle façon cette crise du Corona sera la rupture nécessaire pour que, d’une part, les touristes belges pratiquent effectivement un tourisme de proximité3, et d’autre part, les pouvoirs publics des autres régions osent parler ouvertement de durabilité à travers leur promotion, comme l’ont fait la Flandre et la Finlande. Et ceci passera notamment par une valorisation active des établissements labellisés, tels que les Clé Verte / Green Key.