Une carte blanche publiée dans Le Soir du 12/02/2025 et La Libre du 13/02/2025 et rédigée par Jean Mansuy et Pierre Courbe.
Le gouvernement « Arizona » rendra-t-il notre mobilité plus « durable » ? On pouvait craindre, au vu des programmes de certains partis à la table des négociations, un enterrement des politiques de mobilité « vertes ». Les pelles ont bien été sorties, mais cet enterrement n’aura finalement pas (encore ?) lieu : les négociations ont tempéré les velléités climatosceptiques et techno-utopistes de certains partenaires de majorité.
On craignait un détricotage complet des engagements pris en faveur du train sous la précédente législature. Finalement, le gouvernement fédéral impose à la SNCB des efforts financiers importants (675 millions d’euros sur 5 ans, soit environ 3% de son budget d’exploitation) mais « confirme le contrat de service public avec la SNCB, le contrat de performance d’Infrabel, ainsi que les plans d’investissements pluriannuels ».
On craignait le retour du projet farfelu de liaison ferroviaire de Charleroi Airport, pourtant enterré en 2022 à la suite d’une étude du consultant Stratec. Le projet a, in extremis, rejoint les oubliettes de l’histoire.
On craignait un désintérêt pour le retrofit électrique des véhicules à moteur à combustion et, finalement, le gouvernement fédéral déclare vouloir l’encourager.
Le texte contient même quelques aspects très positifs, comme l’attention portée à l’intégration des transports en commun, via « de meilleures synergies entre les trams, les bus et les trains » et l’introduction « d’un billet combiné ou d’un abonnement, qui peuvent ensuite être utilisés pour le train, le bus, le tram, ainsi que pour d’autres options de transport possibles », la volonté de soutenir le développement de l’offre ferroviaire internationale, notamment de nuit (bien que la couverture des frais d’utilisation d’infrastructure risque de ne pas être renouvelée…), ou encore l’amélioration de la combinaison train-vélo.
Côté entreprises, on peut également noter le soutien à l’électrification des camionnettes, via « une déduction temporairement augmentée pour les camionnettes et les camions électriques » ou encore la généralisation du budget mobilité.
Le tableau est cependant (très) loin d’être idyllique. Les mesures annoncées sont clairement insuffisantes pour atteindre les objectifs climatiques que la Belgique s’est elle-même fixés. Par exemple, l’harmonisation, à cinq euros, de la taxe d’embarquement dans les avions n’augmente que très modérément le montant de celle-ci pour les vols intra- (+3€) et hors (+1€) UE, tandis qu’elle divise par 2 la taxe sur les vols très courts (moins de 500km). Bien insuffisant pour inciter à voler moins et à prendre le train plutôt que l’avion. Et inexplicable quand on sait que nos pays voisins (à l’exception du Luxembourg) appliquent des tarifs beaucoup plus élevés
De plus, l’accord ouvre clairement la porte à la fermeture de points d’arrêt. S’il précise bien qu’« il n’est pas question de démanteler ou de fermer des lignes ferroviaires », la mise en place d’un « reporting financier [qui] répartira les coûts et les recettes par ligne ferroviaire avec une distinction claire entre le transport de marchandises et de voyageurs » risque également d’induire un sous-investissement dans les petites lignes, certes peu rentables économiquement mais cruciales dans une optique de service public et de mobilité durable. Ces mesures sont des cadeaux faits à la SNCB et à sa dirigeante Sophie Dutordoir (étiquetée CD&V), qui avait déjà proposé la fermeture de 22 points d’arrêt (dont 18 en Wallonie…) en mars 2023. Si des garde-fous ont heureusement été ajoutés, tout comme la possibilité d’ouverture de nouveaux arrêts, il conviendra de rester vigilant pour s’assurer que les centaines de navetteurs concernés par des suppressions éventuelles ne restent pas à quai.
Enfin, l’accord comporte un gros furoncle : le recul des ambitions en matière d’électrification des véhicules, et en particulier des voitures de société. « Le gouvernement maintiendra le pourcentage maximal de déduction fiscale pour les hybrides à 75 % jusqu’à la fin de 2027. Il diminuera ensuite à 65 % en 2028 et à 57,5 % en 2029 (en parallèle avec la réduction pour les véhicules électriques). Ces taux de déduction s’appliqueront pendant toute la durée d’utilisation du véhicule par le même propriétaire ou locataire. Les coûts de carburant des hybrides resteront déductibles à hauteur de 50 % jusqu’à la fin de 2027. Les coûts d’électricité des hybrides bénéficieront de la même déductibilité que ceux des modèles électriques ». Or de nombreux véhicules hybrides fonctionnent la grande majorité du temps sur leur moteur thermique, et le fameux « carburant des hybrides » est… de l’essence. Un rétropédalage d’autant plus absurde que le secteur automobile n’en était pas forcément demandeur. En outre, la fiscalité applicable aux voitures de société continue à ne faire aucune distinction entre une petite voiture électrique de masse et de puissance raisonnable et un gros SUV électrique pesant plus de 2 tonnes et développant plus de 250 chevaux…
L’accord de gouvernement signé par les partenaires de l’Arizona possède donc la capacité de nous rapprocher un (tout petit) peu d’une mobilité durable, grâce à un soutien renouvelé (mais limité financièrement) au transport ferroviaire, mais également celle, par le recul des ambitions sur l’électrification et le refus obstiné de promouvoir les voitures légères et peu puissantes, de nous rapprocher de l’abysse climatique. Le secteur du transport émet 1/4 des gaz à effet de serre belges… le nouveau ministre de la Mobilité, Jean-Luc Crucke, également en charge du climat, aura donc la lourde responsabilité d’effectuer les arbitrages nécessaires au respect des engagements belges en matière d’atténuation du dérèglement climatique. Ceci alors même que la grande précision de l’accord de gouvernement limite sa marge de manœuvre et que la Commission Européenne demande à la Belgique de revoir son plan national énergie-climat, jugé nettement insuffisant.