Dans l’ordre des choses, lorsqu’il a franchi l’étape de l’adoption en 3e lecture par le gouvernement, un projet de décret relatif à l’Aménagement du territoire se doit de passer par le Parlement de Wallonie. C’est là que se trouve actuellement le Code de Développement Territorial, depuis novembre dernier, précisément dans la Commission d’Aménagement du Territoire et Environnement, dite aussi « Commission Di Antonio ». Le CoDT en a encore pour un petit moment à se faire examiner sous toutes les coutures. Après des semaines d’ajustement et plusieurs séances d’auditions, les vrais débats viennent à peine de commencer. Livre après livre, on va enfin savoir ce que les députés proposent comme amendements. Ceux d’IEW ? Cela nous arrangerait fort bien, et cela arrangerait aussi l’environnement !
Ce sont en tout cinq nIEWs qui font cette semaine l’exercice d’analyser la portée environnementale du projet de décret CoDT. Le présent article revient sur les principes qui ont guidé l’avis de la Fédération IEW.
L’avis de la Fédération Inter-Environnement Wallonie est basé sur des réflexions et débats menés avec ses membres et appelés à se poursuivre au-delà de l’adoption définitive du décret. Le Ministre Carlo Di Antonio a en effet annoncé que IEW ferait partie de la task force mandatée pour évaluer le fonctionnement du CoDT tous les deux ans environ. Nous n’y sommes pas encore, mais nous en prenons bonne note.
Vis à vis du texte dans son état actuel, le regard porté par IEW prend la forme d’une trilogie : parcimonie, patrimoine et participation. A travers chacun de ces prismes, l’objectif est de faire respecter l’environnement au sens large du terme.
La Fédération Inter-Environnement Wallonie estime en effet que les enjeux sociaux, économiques et culturels de notre région sont indissociables :
d’une meilleure répartition des usages du sol
de la reconnaissance de ses richesses architecturales et naturelles ordinaires
du développement de sa biodiversité
de l’engagement de ses citoyens
P comme Parcimonie
Le décret en projet peut-il atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, à savoir, freiner l’étalement urbain ? Non. Pour tendre à freiner l’urbanisation de manière effective, et non seulement oratoire, il devrait circonscrire beaucoup plus nettement l’impossibilité d’urbaniser les zones non urbanisables du plan de secteur.
En vertu du texte en projet, la dérogation au plan de secteur permet encore l’éparpillement de la résidence et des activités. Quant à la consommation d’espace pour les parcs d’activités économiques, elle bénéficie de plusieurs outils – anciens et nouveaux – qui lui permettent de faire fi de tous les engagements en termes de parcimonie vis à vis du territoire.
Une approche globale amène à craindre pour l’avenir des fonctions dites « faibles » : nature, agriculture, forêts, ruralité. Car à force d’assouplir sur plusieurs fronts, le CoDT n’empêche rien, pas même en zone non urbanisable. La question du respect du standstill se pose de manière urgente.
IEW propose sept amendements relatifs à la parcimonie. La compensation planologique est particulièrement visée par ces amendements, comme l’évoque la nIEWs d’Audrey Mathieu. Arrêtons-nous ici sur la ZACC, qui a trop souvent servi d’alibi à une utilisation peu parcimonieuse du sol.
Dans l’appellation « zone d’aménagement communal concerté » ou ZACC, la Fédération conteste le bien-fondé du terme « communal » et propose que la ZACC devienne ZAC. Supprimer cet adjectif simplifie les termes et évite que le citoyen – ou le mandataire – continue à penser que la commune fait ce qu’elle veut dans cette zone. Cela vaut aussi pour la ZACCI ; l’appellation « zone d’aménagement communal concerté à caractère industriel » ayant d’ailleurs déjà fait sauter un C de l’acronyme.
IEW propose en sus que les « Zones d’aménagement concerté » soient regroupées avec les autres zones de type urbanisable, en vertu de l’affirmation figurant dans le projet de Code (et transposée telle quelle du CWATUPe), selon laquelle le plan de secteur comporte des zones destinées à l’urbanisation et d’autres qui sont non urbanisables. Sans entre deux. Il faut donc admettre la ZAC et la ZACI, soit parmi les zones urbanisables, soit parmi les non-urbanisables. Faute de quoi, elles constituent une troisième catégorie, troisième catégorie qui n’est actuellement toujours pas prévue dans le prescrit.
Par rapport aux pratiques en cours dans notre région, la jurisprudence et l’usage confirment l’utilisation de ZACC et ZACCI pour compenser l’urbanisation de zones non urbanisables lors de révisions partielles du plan de secteur, ainsi que le paiement de droits élevés de succession sur les terrains non bâtis situés en ZACC, ce qui confirme qu’elles sont considérées comme des zones potentiellement urbanisables, et non pas neutres. Le nouveau Code devrait jouer plus « franc-jeu » avec cette réalité d’usage, ou oser établir l’absolue neutralité des zones d’aménagement concerté.
P comme Patrimoine
La réforme du Code emprunte la voie d’une transformation générale des normes en dispositions à valeur indicative. Je souhaite simplement rappeler qu’une norme, c’est un repère à l’aide duquel les projets peuvent être traités de manière égale. Voilà un avantage à bien peser avant de verser allègrement dans des outils à valeur indicative. La jurisprudence de l’indicatif sera, certainement, un champ d’expérience fascinant, mais les dossiers ne seront pas moins compliqués à interpréter. Sur la simplification et la sécurité juridique apportées par le régime indicatif, de nombreux citoyens, chercheurs et associations se permettent d’être dubitatifs. Pour les projets situés en centres anciens protégés, sur le trajet de haies, ou dans les parages des arbres, la tension monte d’un cran et la défense de la norme se retrouve au cœur de l’argumentaire d’IEW.
La Fédération IEW souhaite rappeler l’importance, en aménagement du territoire comme en urbanisme, de tenir compte et de respecter l’existant : la biodiversité et les terrains non urbanisés, mais aussi les habitants, les projets collectifs et individuels, le bâti déjà en place, l’économie locale, la végétation, les espaces publics.
La Fédération IEW attire l’attention sur le fait que les meilleurs projets, les plus durables, sont ceux qui ont tiré parti de marqueurs paysagers sans les oblitérer, à l’image, par exemple, de la réaffectation des moulins de Beez, de l’aménagement du croisement de canaux à Houdeng-Goegnies ou de la restauration de la Poste de Verviers. Au lieu de faire table rase, ces projets ont permis à des identités paysagères fortes, riches et variées de se maintenir et de polariser à nouveau l’intérêt.
Parmi les vingt-deux amendements proposés par la Fédération dans le volet Patrimoine, plusieurs modifications substantielles visent à réintroduire la norme là où elle est se justifie en termes de sécurité juridique, d’égalité de traitement des dossiers et de protection de l’environnement. IEW propose également de supprimer le PRU et d’utiliser à bon escient la notion de réseau écologique.
IEW invite les parlementaires à modifier l’article relatif au Guide Communal d’Urbanisme pour laisser la faculté aux communes d’y inscrire des normes urbanistiques, par exemple en zone de centre ancien protégé, mais également en matière de terrains non urbanisés, afin de limiter, à leur échelle, l’emprise de l’urbanisation.
En ce qui concerne le Guide Régional d’Urbanisme, IEW estime qu’il DOIT comporter des normes. Leur présence dans le Guide Régional ne peut être une simple faculté laissée au pouvoir discrétionnaire de l’autorité. Il ne s’agit pas d’une option facultative mais d’une part intrinsèque du Guide Régional.
Concernant l’outil « Périmètre de Remembrement Urbain » ou PRU, la Fédération IEW estime qu’il n’a plus sa place dans le Code. Le PRU perpétue la boulimie de terrains à exproprier et de constructions à démolir, dans une démonstration d’incapacité à faire projet avec l’existant. Il est aujourd’hui redondant vis à vis d’une série d’outils que le projet de décret crée ou adapte. L’expérience accumulée depuis sa création démontre en outre que le PRU n’a pas atteint sur le terrain ses objectifs de simplification et d’accélération des procédures. Non, vaste Wallonie, on ne peut pas te dépenser sans compter… ni t’urbaniser en pratiquant la politique de la table rase !
Enfin, en rappelant l’obligation de tenir compte du réseau écologique, évoqué dans la nIEWs de Lionel Delvaux, les parlementaires permettront au CoDT en projet de réconcilier un tant soit peu l’œuvre d’urbanisation et le cadre qui l’accueille.
P comme Participation
Le décret en projet voit les articles relatifs à la consultation d’instances et à la participation citoyenne largement remaniés par rapport aux documents adoptés précédemment. Depuis le début du chantier de l’évaluation du CWATUPe, puis de sa réforme, la Fédération a été attentive à l’évolution du régime en matière de participation et n’a pas manqué d’en dénoncer les lacunes.
Les quinze amendements proposés par IEW sont essentiellement liés à l’information du public et aux procédures d’enquête publique ou d’annonce de projet. Ils forment un éventail qui court du plus consensuel au plus risqué.
Ainsi, à l’instar de nombreux citoyens, la Fédération souhaite que la notification de l’avis d’enquête publique inclue les propriétaires des immeubles concernés. Au risque de rencontrer peut-être moins d’assentiment, IEW recommande la suppression de toutes les dispositions relatives à la délivrance des permis par le parlement. Le permis par décret est en effet à nouveau présenté dans la boîte à outil de l’Aménagement du Territoire et ce, malgré une très forte remise en cause juridique.
L’évaluation des premières années de pratique permettra de tirer des conclusions sur le fonctionnement du nouveau processus participatif organisé par le décret en projet. Deux nIEWs de Jean-François Pütz (ici et ici) mettent l’accent sur le chapitre « Participation » et la raison d’être des amendements proposés.
Bon travail aux parlementaires de tout bord et rendez-vous au printemps (ou en été ?) 2016 pour l’adoption d’un texte que nous espérons plus conforme à nos attentes…
En savoir plus :
Au Parlement de Wallonie, le texte intégral des débats de la Commission d’environnement, d’aménagement du territoire et des transports est public. Il est téléchargeable moyennant un formulaire de recherche disponible ici : https://www.parlement-wallonie.be/pwpages?p=pub-form
Les auditions, en janvier 2016, de la Fonctionnaire déléguée Anne-Valérie Barlet et de Thibaut Ceder pour l’Union des Villes et Communes de Wallonie ont su éclairer les parlementaires quant aux besoins des acteurs de premier rang de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme régional.
L’illustration de cet article est une poignée en laiton sur une porte à Somme-Leuze (Hogne), photo extraite de « Fagne et Famenne », Architecture rurale de Wallonie, page 219. Dans cet ouvrage publié chez Pierre Mardaga Editeur en 1988, la clinche/clenche est datée du XIXe siècle. La porte et le panneau latéral sont peut-être au moins aussi vieux, s’ils existent encore.