Le projet d’accord de libre-échange transatlantique (TTIP) avec les Etats-Unis a déjà été largement décrié par les organisations de protection de la santé et de l’environnement, notamment sur l’importance de ne pas intégrer le secteur chimique dans cet accord. Si les réponses de la Commission se sont voulues rassurantes, un document «confidentiel » démontre lui que les inquiétudes sont loin d’être infondées…
Jusqu’ici, face aux multiples reproches formulés par la société civile, la Commission Européenne a voulu se montrer rassurante. Mais dans un document qui vient d’être publié par CIEL, ClientEarth et NRDC analysent le contenu d’un texte relatif au TTIP de la Commission Européenne qui suit de bien trop près les recommandations du secteur de la chimie – et traduit indéniablement sa volonté de réduire les différences règlementaires entre les USA et l’UE, au profit de la législation la plus laxiste. Ainsi, on peut retrouver dans ce texte plusieurs options reprises dans la proposition de l’industrie chimique de décembre 2013 : la cohérence règlementaire, incluant les Etats-membres de l’UE et les Etats américains ; l’utilisation croissante des analyses de coûts-bénéfices ; des méthodes d’évaluation des risques et dangers harmonisées ; une priorisation commune des substances ; une plus grande cohérence dans la classification et l’étiquetage ; le partage des données et la protection des données confidentielles ; un alignement des législations sur les problématiques émergentes (comme les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux).
Plusieurs (gros) problèmes se poseraient si l’on persiste dans cette voie:
1. Le TTIP gèlerait le développement et la mise en œuvre d’une législation plus forte et plus protectrice de la santé : un cadre institutionnel de coopération règlementaire ralentirait les procédures et imposerait non seulement la réalisation d’analyses de cout-bénéfices, mais aussi d’analyses des coûts d’une nouvelle législation sur le marché transatlantique (et non pas des bénéfices pour la société d’une loi plus protectrice de la santé ou de l’environnement)
2. Il mettrait à mal le leadership européen sur les perturbateurs endocriniens, les nanomatériaux et d’autres issues émergentes et urgentes. L’Union Européenne a été pionnière dans la prise en compte de problématiques émergentes comme les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux. Mais l’United States Trade Representative a déjà maintes fois souligné que les efforts européens constituent des barrières au marché – et a indiqué dans un rapport comment le TTIP pourrait être utilisé pour alléger ces barrières. On peut effectivement y lire : « Given that TTIP’s potential benefits stem in large part from the parties’ ability to significantly reduce or eliminate nontariff barriers, addressing nontariff barriers in the form of regulatory restrictions that impose significant costs, create unnecessary barriers , reduce efficiency in the transatlantic market , and limit the capacity of U.S. and EU firms to innovate and compete in global markets, is a key aspect of achieving the more integrated transatlantic marketplace envisaged by TTIP ». Nulle mention de la protection de la santé humaine et de l’environnement atteinte grâce à ces « barrières non tarifaires » – sus à la santé, vive le marché !
3. Il empêcherait les Etats américains et les Etats-membres de l’Union Européenne de prendre des mesures pour pallier à l’inaction du gouvernement fédéral américain et de la Commission Européenne. La législation des Etats américains est globalement bien plus avancée que la législation américaine fédérale. 30 Etats ont en effet développé des mesures pour prévenir ou réduire l’exposition des consommateurs et des travailleurs aux substances chimiques toxiques, ainsi que la contamination de l’environnement. Une cohérence règlementaire telle que proposée saborderait les possibilités des Etats à protéger leurs concitoyens.
4. Il limiterait l’accès à l’information du public et bloquerait l’innovation par l’utilisation de l’argument de la « confidentialité des données ».
Dernier point : nul besoin d’un TTIP US-EU pour créer des synergies, elles se construisent déjà, par l’intermédiaire de l’OCDE et par une collaboration entre l’Agence américaine de protection de l’environnement et l’Agence européenne des substances chimiques. L’intégration des substances chimiques dans le TTIP n’apporterait aucune valeur ajoutée aux citoyens européens – mais permettrait effectivement aux industries et gouvernements étrangers de renforcer leur influence sur les processus législatifs européens, sous le couvert d’une « coopération règlementaire » …